Dossier

Bilan carbone : pourquoi le bois n’a-t-il pas remplacé le béton ?

Les réticences vis-à-vis du bois sont surtout psychologiques. Les écoles d’architecture avaient longtemps souligné les avantages du béton tout en se focalisant à l’excès sur les inconvénients du bois. Les modèles de travail actuels portent encore les traces de ces préjugés. Dossier.

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Utiliser moins de béton pour réduire son empreinte carbone

Renoncer à 40% de la quantité de béton habituellement utilisée pour lui substituer du bois afin de bâtir certaines parties d’une tour de plus de 60 mètres de haut permet de réduire de moitié son empreinte carbone. Notamment grâce à la préfabrication. « Chez ERNE, nous ne construisons pas en bois, mais nous construisons avec du bois », souligne d’emblée Cyril Baumann, directeur chez ERNE Holzbau SA et responsable pour la Suisse romande basé à Penthalaz (VD). « Nous ne sommes pas un bureau d’ingénieurs. Nous sommes des constructeurs, et nous intégrons donc tous les matériaux ». La construction bois, qui a pour but de remplacer par du bois des matériaux conventionnels comme le béton ou l’acier, est de plus en plus envisagée par les clients, notamment en raison des objectifs climatiques de réduction du CO2.

« Mais à ce jour, aucun grand groupe n’a encore réalisé la tour la plus élevée de Suisse romande la moins nuisible en CO2 qui comporterait une majeure partie en bois », constate Cyril Baumann, .

Pour visiter la tour la plus élevée de Suisse construite avec du bois, il faut se rendre en Suisse alémanique, à Risch-Rotkreuz (SZ). Il s’agit de la tour ARBO de Suurstoffi, une tour de construction composite bois-béton de 15 étages de plus de 60 mètres de haut.

« Bien entendu, le bois n’est pas, par définition, un matériau qui n’aurait que des avantages. Et le béton n’a pas que des inconvénients. Il faut calculer l’effet global sur le bilan carbone et tenir compte de la nature du projet. Si vous voulez réaliser un sous-sol, par exemple, il est évident que le béton est le moyen plus approprié, et ce n’est pas une bonne idée de recourir au bois », précise le spécialiste.

Avant 2005, l’Association des établissements cantonaux d’assurance incendie (AEAI) se méfiait un peu du bois. On pensait que le bois n’était pas un matériau comme les autres. On considérait qu’il était synonyme de risque accru d’incendie. Puis la technologie a évolué, et l’AEAI a progressivement lâché la bride.

« Après avoir introduit trois niveaux de normes de sécurité pour le bois en 2010, puis six niveaux de sécurité en 2015, ils ont vu comment, en 10 ans, la qualité de la mise en œuvre s’est améliorée. Et ils ont fini par juger le bois pour ses qualités réelles », résume l’expert.

Une technologie déjà mature

« Aujourd’hui, même si certains architectes formatés par la filière béton peinent à l’admettre, on ne parle plus de prototypes, mais d’une technologie mature qui a déjà atteint le stade de l’industrialisation », insiste Cyril Baumann. « Les utopistes qui ne jurent que par le bois ont préparé le terrain. Mais nous ne voulons pas nous adresser qu’à une poignée de convaincus. Il y a 15 ans, nous avons dû être malins pour ne pas brusquer le marché : pour combattre ces réticences psychologiques, il a fallu parfois cacher le bois, et parfois le montrer ».

Car les gens privilégient l’aspect visible : ils ont tendance à juger un bâtiment à partir de la dernière couche de revêtement extérieur. Si elle est en bois, ils en déduisent que toute la maison est en bois. Et inversement, si la dernière couche est en béton, ils imaginent à tort que toute la construction est en béton.

Mais si l’on supprime une certaine quantité de béton et d’acier, on peut, par exemple, remplacer une dalle en béton armé par une dalle composite bois-béton sans que ce soit visible depuis l’extérieur. Il n’en demeure pas moins qu’en renonçant à 40% de béton, on aura considérablement contribué, de manière invisible, à réduire l’empreinte carbone.

« Si l’on généralisait cette règle, la pollution ainsi évitée serait déjà énorme ! Encore faudrait-il que les normes SIA intègrent les objectifs climatiques et prévoient des règles de réduction du volume du béton au profit de matériaux moins nuisibles, ce qui va sans doute prendre des années ».

Mais ce qui est disruptif dans ce contexte, ce n’est pas le bois en tant que tel, c’est l’invention de la préfabrication hors site. Par exemple, pour les parties en bois, composites ou non. « Imaginez que vous voulez construire une voiture à partir de ses pièces détachées. Vous avez deux possibilités : soit vous assemblez ces pièces, parfois sous la pluie, et c’est la solution habituelle du chantier. Soit vous assemblez ces pièces dans une usine, bien à l’abri de la météo, et c’est la préfabrication hors site. Quelle est la méthode la plus rentable et la plus durable ? Évidemment celle de l’usine ! Car la préfabrication, c’est moins de déchets sur site, moins de transports de matériaux et de personnes, et une amélioration incontestable du bilan carbone », conclut Cyril Baumann.

Les mêmes performances que le béton avec un meilleur bilan carbone

Nils Baertschi, ingénieur bois, spécialiste en protection incendie AEAI et directeur de Cambium Ingénierie SA à Yverdon, souligne que « les préjugés sur le bois concernent surtout les constructions de grande ou moyenne hauteur ».

« Il faut effectivement faire très attention, mais on y arrive quand même. Du moment que l’architecte fait l’effort de faire quelque chose en bois, on peut avoir les mêmes performances que le béton avec un meilleur bilan carbone. À condition de respecter les normes de protection incendie, d’isolation phonique et de physique du bâtiment, contrainte qui vaut tant pour le béton que pour le bois.

Et ce n’est pas parce que nous sommes des ingénieurs bois que nous prônons le bois à tout prix. Nous proposons toujours la solution la plus rationnelle et la plus adaptée. Pour le projet Vortex (voir photo), qui n’est pas un prototype, on s’est efforcé d’être le plus pragmatique possible en vue d’une grande répétitivité dans l’industrialisation des processus et l’optimisation des matériaux.

J’ai travaillé 15 ans dans la menuiserie-charpenterie André SA à Yens-sur-Morges dans cette optique d’industrialisation. En tant qu’ingénieur HES/SIA en construction bois, après un CAS physique du bâtiment et un brevet de spécialiste incendie, j’impose aux spécialistes de Cambium une vision globale permettant d’offrir toutes les prestations liées à la construction bois.

Le bois n’est pas forcément plus cher que le béton. C’est plutôt l’attitude subjective vis-à-vis du bois qui n’est pas la même. Alors qu’il voit souvent le béton sous l’angle utilitaire, le client est enclin à être plus exigeant avec le bois en privilégiant l’aspect esthétique, ce qui renchérit parfois le projet, mais pas nécessairement.

Pourquoi ne pas utiliser, p. ex., un bois durable pré-grisaillé ? On laisse au préalable vieillir le bois durant toute une saison. Ainsi, le bardage d’une façade aura déjà une patine : c’est l’un des meilleurs moyens de ne pas avoir de frais d’entretien.

De manière générale, si les plans climatiques cantonaux deviennent plus contraignants, les normes SIA seront forcées d’évoluer. Si nous voulons réduire notre empreinte carbone, nous avons tout intérêt à recourir de manière accrue au bois ».