Bernard Nicod: «Les dindons de la farce»
Que ce soit avec la problématique de l’accès à la propriété pour les primoaccédants ou avec le développement de «courtiers» faisant miroiter des économies via le versement d’un forfait, Bernard Nicod ne cache pas son irritation.

Alors que les taux hypothécaires à terme fixe de 10 ans ont quasiment doublé en quelques semaines, il n’en va pas de même pour les rendements sur l’épargne, qui restent figés aux alentours de 0,2%. Du côté de la Banque nationale suisse (BNS), on continue à se tâter. Renoncer, ne serait-ce que partiellement à l’intérêt négatif (actuellement de 0,75%) n’est pas encore à l’ordre du jour, la BNS craignant, ce faisant, d’alimenter l’inflation.
Bernard Nicod qu’en est-il des prix dans l’immobilier? Ils semblent toujours aussi élevés. Qu’en pensez-vous?

Rien ne semble altérer la bonne santé du marché de l’immobilier. La demande dépassant l’offre dans bien des régions, les prix s’affichent toujours à la hausse, même si cette dernière n’est plus aussi marquée qu’au cours de l’année écoulée.
Il n’empêche: selon la banque Raiffeisen, le prix des maisons individuelles a augmenté de près de 10% au cours des douze mois écoulés, voir même plus en région lémanique. Quant au prix des appartements, la hausse a été moins forte, mais a quand-même dépassé les 6%.
Cette croissance vous inquiète-t-elle?
«L’accession à la propriété va être encore plus difficile. Une aberration!»
Il y a de quoi! L’accession à la propriété, un parcours déjà semé d’embuche, va être encore plus difficile avec un durcissement prévu des conditions de financement. C’est une aberration lorsque l’on sait que la Suisse est déjà le pays d’Europe au plus faible taux de propriétaires (autour de 37%) et que malgré la hausse de prix, être propriétaire reste fréquemment moins coûteux que de rester locataire, ce dont la plupart des candidats à l’acquisition sont conscients.
La Finma (autorité de surveillance des marchés financiers), inquiète de l’évolution de l’endettement, oblige désormais les prêteurs hypothécaires à constituer davantage de réserves pour tous les crédits qu’ils accordent, dans le but évident de les décourager. Et elle a sans doute applaudi des deux mains en apprenant que la motion approuvée par le Conseil national, permettant d’utiliser les avoirs du 2e pilier pour la totalité des fonds propres (et pas seulement la moitié, comme prévu actuellement), avait été rejetée au Conseil des Etats.
Parmi vos autres sujets d’inquiétude, il y a la question du courtage. Exact?
Les courtiers qui œuvrent au sein de mon groupe sont certes des employés, mais ce sont surtout des entrepreneurs. Ils sont amenés à investir leur temps sans savoir à l’avance si leurs efforts seront couronnés de succès, car ils ne seront rémunérés que si le mandat qu’il espèrent obtenir de leur client aboutira à une vente chez le notaire.
«L’évaluation faite en ligne et basée sur des algorithmes ne tient pas compte de plusieurs critères importants»
Dans un premier temps, ils prendront contact avec le vendeur et procéderont à une évaluation détaillée afin de pouvoir conseiller ce dernier quant au prix auquel leur bien immobilier pourra être mis sur le marché.
S’ils n’obtiennent pas de mandat, les choses en resteront là et le vendeur n’aura rien à payer. Si mandat il y a, ils prépareront le dossier de vente, prendront en charge le marketing et la publicité, feront appel à leurs réseaux et organiseront des visites qui se feront en leur présence. Enfin, si tout se passe bien, il y aura signature d’un acte notarié et... rémunération du courtier.
En revanche, dans le cas d’une agence pratiquant un forfait, outre le fait que nombre de courtiers sont plus des amateurs que des professionnels expérimentés, le client devra verser une avance, généralement de plusieurs milliers de francs; somme perdue s’il ne trouve pas preneur pour son bien au prix souhaité.
Vous estimez que les vendeurs risquent de payer davantage avec la formule au forfait? Pouvez-vous nous donner un exemple chiffré?
Madame et Monsieur X souhaitent vendre leur appartement de Lausanne pour vivre leur retraite à la montagne. Appâtés par le courtage forfaitaire proposé à 11’000 francs, ils mandatent l’agence Y. Une première évaluation immobilière faite en ligne sur le site internet de l’agence indique une fourchette de 1’090’000 à 1’210’000 de francs. Ravis, ils signent un mandat, versent une avance de 3500 francs et leur bien est mis en vente pour 1’160’000 francs
Or, comme c’est hélas trop souvent le cas, l’évaluation faite en ligne et basée sur des algorithmes ne tient pas compte de plusieurs critères importants tels que la qualité de la construction, l’état d’entretien, l’isolation, les commerces, écoles, transports publics à proximité, etc.) et donc, il n’y a pas d’intéressés à ce prix. Leur courtier leur explique alors que le marché étant ce qu’il est, que la situation économique étant ce qu’elle est et que les taux hypothécaires étant ce qu’ils sont, mieux vaut réduire le prix à 1’050’000, ce qu’ils acceptent. Deux intéressés viennent pour des visites (facturées séparément par l’agence, car pas comprises dans le forfait) et finalement, l’appartement est vendu pour 990’000 francs. Madame et Monsieur X touchent 970’000 francs après paiement du forfait convenu.
Voici le schéma si ce même couple s’adresse à un courtier traditionnel. Ce dernier visite les lieux, présente une expertise détaillée et, connaissant son marché, estime que le bien pourra être vendu aux alentours de 1’070’000 francs. Il prépare le dossier de vente, contacte des clients potentiels (qui font partie de son réseau et de celui de son agence), organise et participe activement aux visites, met en exergue les éléments positifs du bien, conseille les intéressés en matière de financement et trouve preneur pour 1’045’000. Une fois la commission de 31’350 payée, il restera aux vendeurs 1’013’650 francs, soit 43’640 francs de plus que s’ils s’étaient adressés à une agence au forfait. Certes, la commission aura été plus élevée, mais auront-ils pour autant des regrets?