Chronique chez soi

Ça déménage!

Le déménagement fait partie des cinq premiers facteurs de stress humain. Normal: c’est un déracinement, beaucoup de cartons et un paquet d’angoisses.

Quand les déménageurs posent les cartons dans le nouvel appartement, on reste avec l’impression qu’on ne s’en sortira pas.
Quand les déménageurs posent les cartons dans le nouvel appartement, on reste avec l’impression qu’on ne s’en sortira pas. - Copyright (c) DR
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Il y a cinq sources de stress majeures pour l’être humain: le décès d’un proche, la perte d’emploi, les problèmes de santé, la séparation et... le déménagement. Oui, dans de nombreux cas, le changement de logement peut même mener à la dépression.

Moi, j’ai déménagé et je n’ai pas fait de dépression, mais disons qu’à un moment donné, j’ai pris un Xanax quand même. Et après, j’aurais eu besoin d’une semaine de cure de repos dans une clinique très chère et très calme, avec un infirmier charmant qui m’apporterait des plats bio et viendrait prendre ma tension, avec de la physio pour débloquer ma nuque, et une manucure pour réparer mes mains.

Puissante pulsion

Il y a d’abord la nuit d’avant. Dans une chambre intégralement vide, sur un matelas par terre, la tête à côté des clefs qu’il faudra bientôt rendre. Dans les autres pièces, des montagnes de cartons. C’est l’adieu à un logement dans lequel j’ai passé seize ans. Seize ans de vie de famille, les enfants petits, moyens, grands, le premier chat, et petit à petit, la vie qui s’est faite ici s’est défaite ici aussi, papa parti, le premier chat parti, un enfant veut partir, le deuxième chat arrive, un nouvel amoureux arrive, un nouvel appartement arrive et le moment de partir arrive.

J’ai toujours eu l’impression que je n’étais pas attachée aux lieux. C’est plus compliqué

J’ai toujours eu l’impression que je n’étais pas attachée aux lieux, que je pouvais, pouf, changer à n’importe quel moment sans conséquence. C’est plus compliqué on dirait: le besoin de nidification, de posséder un chez soi dans lequel on se sent bien et en sécurité, me semble désormais être une pulsion très puissante. Un copain psy m’a dit: «Nous sommes terriens, nous laissons pousser des racines. Quand on déménage, nous arrachons ces racines, et il faut les laisser repousser dans le nouveau lieu. Ça prend du temps.»

C’est à cause de cette insécurité que l’on dort généralement mal la veille d’un déménagement. Et aussi parce qu’on est déjà épuisé, alors que le pire est à venir, et que l’on projette toute une série de fantasmes négatifs sur l’avenir: cela ne va pas me plaire, les meubles n’iront pas, le camion avec toutes nos affaires va se barrer et on ne le reverra jamais, les voisins seront des connards hystériques qui appelleront les flics tous les soirs, un gratte-ciel de 25 étages sera construit juste en face, un bar avec terrasse va s’installer à côté, les taux hypothécaires vont augmenter, mon salaire va diminuer, la chaudière va lâcher au bout d’une année, ce sera trop facile à cambrioler, j’ai fait mettre les prises aux mauvais endroits. Cette dernière pensée n’était hélas pas juste un cauchemar, mais s’est révélée être une embêtante réalité.

Que de cartons!diaporama
Que de cartons!

Un Xanax, donc, et quelques heures plus tard, les cartons partent avec les déménageurs. Bonne nouvelle, le camion n’a pas disparu. Mauvaise nouvelle: le nouveau logement est deux fois plus petit que l’ancien, tout ne rentrera pas. J’ai déjà donné, jeté, débarrassé la moitié de mes affaires, mais ce qui reste remplit l’intégralité du nouvel appartement, du sol au plafond. Les déménageurs partent et nous on reste, avec l’impression qu’avec ce Tetris-là on ne s’en sortira pas. Les petites culottes sont dans le carton «habits» qui est sous les cartons «livres», qu’on ne peut pas bouger tellement ils sont lourds, ni ouvrir car on n’a pas encore de bibliothèque.

De plus, il faut encore faire l’état des lieux dans l’ancien appartement. Un moment toujours flippant. Heu oui Monsieur, les lattes de parquet qui ont sauté, c’était l’eau du bain qui a un chouïa débordé (en réalité j’avais laissé couler, disons une heure, sans m’en apercevoir). Le trou dans le mur là? Alors c’est moi qui ai essayé de mettre un tableau... oui avec la perceuse. Le machin collant sur la vitre qui ne part pas? C’était un dinosaure à l’origine, mais il a un peu fondu. C’est comme à l’examen du permis de conduire. A la fin, on attend le verdict, terrorisé. Et quand le «ouais, ça va» arrive, on a envie de sauter de joie, mais on dit juste «merci beaucoup» avec la tête basse, et on se barre le plus vite possible avant que le monsieur ne change d’avis et ne décide de garder la garantie de loyer pour lui.

Changement d'adresse: un régal!

Il y a aussi les changements d’adresse. Un régal administratif interminable, dont on croit qu’il est plus simple, parce que désormais tout se fait par Internet. Fatale erreur! Préparez-vous à des mois de courrier non arrivé, de modifications non faites, et d’heures à taper 1 ou 2 ou 3 ou 4 pour essayer de parler à un être humain.

Mais gentiment, les choses s’installent, mon scooter ne m’a jamais ramenée automatiquement à l’ancienne adresse, signe que le deuil est fait. Je me plais énormément dans mon nouvel appartement, et surtout, très important, j’ai retrouvé mes petites culottes.