Canton de Neuchâtel

Chauffage à distance: la course a débuté

Rentabilité, concurrence des réseaux, nouvelle clientèle... la production de chaleur centralisée est en train de s’imposer non sans difficultés. Au prix de certains efforts, les communes neuchâteloises se dotent peu à peu de cette solution afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2040.

La Suisse s’est engagée à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050
La Suisse s’est engagée à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 - Copyright (c) Freepik
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Qui dit changement climatique, dit banquise qui disparaît, montée des eaux record et typhons dévastateurs. Tant d’exemples qui nous touchent et qui nous paraissent à la fois si lointains... Or, depuis quelques temps, ces phénomènes anormaux se font de plus en plus concrets dans le canton de Neuchâtel. Notamment lors d’épisodes de sécheresses sur le lac des Brenets, de violentes tempêtes à La Chaux-de-Fonds ou de crues dans le lac de Neuchâtel. Tout cela sur fond de crise énergétique, en conséquence de la guerre en Ukraine. Alors les autorités neuchâteloises ont décidé d’agir, et vite.

Quand le climat fait la loi

Ainsi, outre la loi sur l’énergie ou celle sur le CO2 qui établissent des objectifs globaux au niveau national, le canton de Neuchâtel s’est lui-même engagé dans sa propre loi sur l’énergie (entrée en vigueur en 2021) à atteindre la neutralité carbone d’ici 2040. Un pari risqué mais qui repose sur de nombreuses subventions et interdictions progressives qui ont déjà fait leurs preuves. Parmi elles, la fin souhaitée des solutions fossiles pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire des bâtiments. Tout renouvellement de chaudières (au gaz ou au mazout) devant se faire dorénavant par du renouvelable. Autrement dit: par une pompe à chaleur, une chaudière au bois ou par un raccordement au réseau de chauffage à distance (pour autant qu’il présente au moins 50% d’énergies renouvelables).

Encouragé par cette course lancée contre les émissions de CO2 , le chauffage à distance poursuit donc sa prise de vitesse malgré les obstacles posés sur son chemin. Un parcours emprunté par le fournisseur d’énergie Viteos (100’000 clients dans le canton) qui a fait l’objet d’une conférence début octobre, organisée par HabitatDurable Neuchâtel, l’association de propriétaires soucieux de la durabilité de leur construction. Voici ce qu’il fallait retenir de cette soirée commentée par Nicolas Zwahlen, responsable des réseaux thermiques chez Viteos.

Pour commencer, qu’est-ce que le CAD?

Le chauffage à distance (CAD) est un réseau thermique qui consiste à utiliser la chaleur excédentaire dégagée par de grandes installations de production (par exemple les usines d’incinération) ou produite au moyen d’énergies renouvelables, pour couvrir les besoins en chauffage et en eau chaude sanitaire des habitations ou autres bâtiments connectés.

Concrètement, comment cela fonctionne?

Le réseau de chauffage à distance est en train d’être déployé dans le canton par Viteosdiaporama
Le réseau de chauffage à distance est en train d’être déployé dans le canton par Viteos

L’idée n’est pas nouvelle. En effet, la première ville de Suisse à se doter d’un chauffage à distance n’est autre que La Chaux-de-Fonds en 1926. Davantage sous le feu des projecteurs aujourd’hui, ce système se compose d’un producteur de chaleur (une usine d’incinération, du bois ou encore le lac), relié à un réseau de transport (principalement enterré, sous nos jardins, nos routes et nos champs), qui achemine la chaleur dans des conduites de gros diamètre, qui rapetissent à mesure que l’on s’approche des maisons et vers les échangeurs installés dans chaque lieu de destination. À savoir que la chaleur de ces réseaux fonctionne en circuit fermé et donc ne passe jamais directement dans nos robinets. Créer ces lignes sur des kilomètres en ville implique de ce fait de nombreuses complications, ce qui justifie, entre autres, une généralisation du CAD encore mesurée.

Le point sur l’avancée cantonale

Dans le canton de Neuchâtel, un bon tiers des besoins en chauffage des bâtiments est actuellement couvert par le gaz naturel, un autre tiers par le mazout. De son côté, le chauffage à distance représente pour l’heure seulement 10% de la consommation. Une part qui devrait croître dans les années à venir avec le bannissement des systèmes de production de chaleur à énergie fossile, bien que trois grands défis préoccupent les acteurs de ce marché en pleine expansion.

Défi N°1: Développer le réseau

Jusque-là, les propriétaires de biens immobiliers qui se chauffaient au fossile disposaient soit d’une cuve à mazout, soit d’une connexion au réseau de gaz disponible. Un réseau de gaz dense et interconnecté avec l’international qui avait été soigneusement établi aux quatre coins du monde au cours des dernières décennies. Puis, en plus du transport de gaz par conduites, une voie maritime (gaz importé par bateau, déposé dans les ports d’Europe pour être injecté dans le réseau) a récemment émergé pour compléter le maillage déjà présent. Désormais, outre le fait qu’il faille installer des conduites supplémentaires pour le chauffage à distance dans un soussol déjà très encombré par les réseaux d’eau, d’électricité, d’évacuation des eaux usées et de gaz justement, les fournisseurs d’énergie se retrouvent avec des réseaux à gérer en parallèle. «Là où nous souhaitons étendre le chauffage à distance, nous avons défini qu’au plus tard quinze ans après l’installation du CAD, le réseau de gaz serait coupé. Nous ne laisserons pas la possibilité aux clients de choisir car on ne pourra décemment pas poursuivre l’approvisionnement du gaz juste pour trois adresses», souligne l’expert Nicolas Zwahlen.

Défi N°2: Assurer le financement

Malgré un déploiement voulu et en cours du chauffage à distance, le canton et les divers fournisseurs d’énergie se retrouvent devant une équation difficile à résoudre, visant à trouver l’équilibre entre infrastructure déjà existante et à venir. Le responsable de Viteos, Nicolas Zwahlen, décrit la situation: «Nous ne devons pas seulement regarder ce que nous coûte le développement de ce tout autre type de réseau qu’est celui du chauffage à distance mais également tenir compte du fait que celui du gaz n’est pas encore en fin d’amortissement et a encore une valeur importante.» Une comptabilité à deux vitesses qui ne doit pas pour autant avoir de retombées négatives sur le client final puisqu’il faudra ensuite réussir à convaincre ce dernier de se raccorder au chauffage à distance rapidement grâce à des tarifs attractifs.

Défi N°3: Réussir la transition

Mais c’est bien là que le bât blesse... les propriétaires Le chauffage à distance de Neuchâtel sera alimenté par le lac. Unsplash sont poussés par la loi climat cantonale à agir dès maintenant. Or, si le réseau de chauffage à distance est trop cher ou pas encore disponible, le client se tournera vers les deux autres options qui s’offrent à lui: la pompe à chaleur individuelle ou la chaudière à bois. Le déploiement du CAD doit donc se faire le plus vite possible assure Nicolas Zwahlen de chez Viteos. «Si on veut passer ce cap énergétique vers le renouvelable, nous ne pouvons plus attendre dix ou quinze ans. Tout ce que nous ne faisons pas aujourd’hui, c’est de la clientèle en moins et une rentabilité qui s’éloigne», poursuit-il. Et se développer vite ne veut pas dire n’importe où puisqu’il s’agira de viser en priorité les zones densément bâties.

Enfin, quelle source de chaleur choisir?

Le chauffage à distance de Neuchâtel sera alimenté par le lacdiaporama
Le chauffage à distance de Neuchâtel sera alimenté par le lac

Reste qu’il faut encore pouvoir produire cette chaleur à distance de manière renouvelable. Un autre point épineux qui s’assimile là aussi à un exercice d’équilibriste. En l’occurrence, un équilibre à trouver entre les ressources disponibles dans chaque secteur de déploiement. Autrefois, le bois était la solution miracle par défaut, produisant de la chaleur de façon écologique partout, pour tous. Mais sujet à la surexploitation, le bois de forêt local montre à présent ses limites et n’aura pas la capacité de remplacer totalement les besoins actuellement couverts par le mazout ou le gaz. Dans le canton de Neuchâtel, plusieurs schémas se dessinent alors. Tandis que La Chaux-de-Fonds comptera grandement sur les rejets de chaleurs émanant d’unités de traitement de déchets, Neuchâtel se concentrera sur la source quasi illimitée que représente son lac et seul le Locle devra se débrouiller, faute de mieux, pour augmenter encore la part de bois dans son réseau et alimenter toujours plus sa centrale du Technicum.

Les multiples avantages du CAD

En remplaçant son chauffage fossile par un raccordement à un réseau de chaleur à distance, il est possible de réaliser jusqu’à 16% d’économies sur une période de 20 ans. Ne connaissant pratiquement pas de fluctuations de prix (car les sources de chaleurs sont produites localement), cela permet d’établir un budget précis à long terme. Finalement, le chauffage à distance est de surcroît plus facile à utiliser car il évite de se soucier de l’achat d’énergie et son système ne nécessite pratiquement aucun entretien contrairement à une chaudière ou une cheminée par exemple.