Comment un groupe alémanique a escroqué un Français
Spécialisé dans la vente et la construction de maisons de retraite en Suisse et en Allemagne, l’Alsacien Laurent Helfrich pensait n’avoir cédé que 10% de son groupe. Au final, son nouvel associé a réussi à prendre le contrôle d’un groupe valant 150 millions. Notre récit.

L’histoire commence aux alentours de 2007. Entrepreneur atypique, Laurent Helfrich s’est progressivement spécialisé dans la vente et la construction de maisons de retraite et d’appartements médicalisés pour les personnes âgées en Allemagne et en Suisse. En tant que spécialiste, il est mandaté par les plus grands groupes de gestion d’EMS et d’EHPAD en Europe. Citons par exemple, le groupe Korian, le numéro 1 du secteur en France, qui a investi en Allemagne, grâce à Laurent Helfrich, dans l’achat de 4000 lits médicalisés.
Mandaté par Mulliez
Vu sa très bonne expérience, il est man- daté en 2007 par le groupe «Maison de famille», appartenant à Gérard Mulliez, un des principaux actionnaires du groupe Auchan, à l’époque la famille la plus riche de France, pour investir en Suisse et acheter ou créer un groupe immobilier de maisons de retraite et appartements médicalisés de 1000 lits.
A cette fin, il rachète en 2008 la société Dinett Holding AG et crée, seul, le groupe Rivierabau, spécialisé dans l’immobilier. Il crée des filiales et assure leur gestion de 2008 à 2012. En quelques mois, grâce à son expérience, il obtient de la part des banques le financement nécessaire et achète plus de 100’000 m2 de terrains constructibles.
En parallèle à cela, il crée en septembre 2010, une filiale à 100% de Dinett Holding, Innovation Solar Holding. Celle-ci a pour but d’aider les plus défavorisés dans le monde afin de récolter les plastiques usagés non valorisés avec une nouvelle technologie qui permet de transformer 1 kg de plastique en carburant. Pour développer une franchise à l’international, il signe en l’espace de trois ans des contrats pour plus de 250 millions d’euros. Pour réaliser ces contrats, il décide alors de vendre fin octobre 2015, 10% des actions de Dinett Holding pour 10 millions de francs au propriétaire d’une holding alémanique, avec une option portant sur 25% supplémentaires pour 25 millions, qui auraient dû être honorés d’ici fin 2018.
Malgré des bénéfices de plus de 9 millions de francs, nets d’impôts, le nouveau propriétaire de 10% de Dinett Holding n’a non seulement jamais exercé son option, mais surtout il a mis en place un stratagème afin de transférer les actifs de Dinett Holding dans des structures qu’il maîtrisait. Dans un second temps, il a déposé le bilan de Dinett Holding le 14 juillet 2017. Depuis lors, Laurent Helfrich se bat devant les juridictions du pays pour obtenir justice.
Revenons plus en détail sur cette affaire rocambolesque. En 2023, Laurent Helfrich décide de nommer une de ses connaissances, Robert Partouche, comme administrateur des quatre sociétés immobilières du groupe Rivierabau, toutes situées dans la région de Thoune, soit: Büelbad, Kandersteg, Résidence 2000 Watt et City Résidence Interlaken. Ayant dès lors accès aux documents comptables de ces sociétés, il les analyse et décide de déposer plusieurs plaintes pénales auprès du Ministère public de l’Oberland.
Administrateur menacé

«Il semble que ces sociétés aient été vidées de leurs actifs. Ceux-ci ayant été cédés ou transférés sans contrepartie aucune, et ce, dans une chronologie qui rend vraisemblable la gestion fautive ou déloyale. Plus alarmant encore, j’ai été informé que diverses plaintes pénales avaient été déposées le 1er juin 2018 par l’administrateur qui me précédait, lequel avait effectué les mêmes constats que moi. Cependant ce dernier m’a informé avoir été menacé jusqu’à ce qu’il retire ses plaintes», peut-on lire dans la dénonciation pénale de Robert Partouche. Ce dernier a aussi découvert qu’une action en responsabilité contre l’Etat de Berne pour les fautes qu’aurait commises l’Office des faillites de l’Oberland dans l’administration de la faillite de la société Dinett Holding, anciennement société-mère de Rivierabau et de ses sociétés filles.
«En ma qualité d’administrateur des sociétés Rivierabau et de ses sociétés filles, j’ai pris connaissance de la documentation liée à la gestion desdites sociétés.
Les immeubles détenus par X avaient appartenu tout d’abord auxdites sociétés du groupe Rivierabau. La régularité de leurs transferts respectifs prêtait à de sérieux doutes», nous confie Robert Partouche.
Ce dernier a constaté que l’actionnaire du groupe X ne détenait que 10% de la société mère, Dinett Holding, ce qui ne lui permettait en aucun cas de pouvoir décider du transfert des actifs financiers et immobiliers sans le consentement formel d’une assemblée générale des actionnaires majoritaires de Dinett. Il découvre encore qu’une offre d’achat de HRS datée de février 2017 pour 11,1 millions de francs pour l’achat d’un terrain à Oberwangen n’a pas été acceptée et qu’au final ce terrain a été transféré au groupe X (actionnaire à 10% de Dinett Holding) en décembre 2017 pour 7,7 millions de francs.
Une interdiction de vendre

En résumé, les quatre entités juridiques détenant des actifs immobiliers se sont vues vidées intégralement de ceux-ci au profit du seul groupe X, sans que celui-ci ne verse aucune contrepartie financière ou comptable aux sociétés susmentionnées. De surcroît, ce transfert a eu lieu sans l’autorisation de l’actionnaire majoritaire, la famille Helfrich. Pire encore, une interdiction de vendre les immeubles avait pourtant été clairement signifiée par Antoine Bonvin, président de la société mère, à l’ensemble des administrateurs des sociétés filles...
Il en ressort le stratagème suivant: des créances ont été créées au profit du groupe X dans les sociétés propriétaires des actifs immobiliers concernées. Et, d’autre part, ces créances fictives ont servi à payer des droits d’emption qui avaient été inscrits par l’administrateur doté de la signature individuelle de Dinett Holding, au bénéfice de son groupe X. L’analyse montre que l’administrateur en question n’a versé aucun argent en contrepartie du transfert des actifs immobiliers. Cela a été effectué par le jeu de compensation des créances fictives. Cela a été rendu possible après le dépôt de bilan du 14 juillet 2017, requis et obtenu par le fameux administrateur unique détenant 10% de Dinett Holding.
«Il faut savoir que la collaboratrice de l’Office des faillites de l’Oberland a accepté de colloquer une créance de 10 millions de francs, manifestement non valable, ce qui a eu pour résultat d’interdire la révocation de la faillite de Dinett Holding. Ceci, alors qu’à cet instant de la procédure de faillite, toutes les dettes de Dinett Holding avaient été soit payées, soit garanties au sens de la loi». Autrement dit, sans la décision indue de l’Office, les transferts des actifs immobiliers n’auraient pu être effectués. D’après Robert Partouche, le préjudice qui en résulte est estimé à plus de 70 millions de francs.
Jugement rendu
Le principal protagoniste de cette sup- posée escroquerie a été maintenu au conseil d’administration de Dinett Hol- ding par la collaboratrice de l’Office des faillites de l’Oberland jusqu’au 9 janvier 2019, malgré le dépôt de bilan. «Cela lui a permis d’effectuer des actes de gestion sans avoir de compte à rendre». Le 13 mai 2020, le Tribunal régional de l' Oberland a rendu un jugement qui constate l’erreur commise par l’Office des faillites de l’Oberland en ce qui concerne la pseudo créance de 10 millions de francs.
Parmi les autres constatations effectuées, le fait que les contrats authentiques effectués par le notaire mandaté dans le cadre de ces transactions immobilières aient été constitués de feuilles volantes sur lesquelles on ne retrouve jamais les signatures de l’ensemble des parties. Les parties au contrat auraient toutes signé sur des feuilles différentes pour un montant total d’environ 37 millions de francs. Robert Partouche a demandé au Ministère public qu’il fasse évaluer les plus-values fiscales, estimées à plus de 7 millions de francs sur la vente des terrains non bâtis, non versées au fisc par le notaire et le groupe X. Pour sa part, la famille Helfrich a déposé une action en responsabilité auprès de la Direction du Département de l’intérieur et de la justice du canton de Berne. La valeur litigieuse a été estimée entre 16,85 millions et 90 millions de francs. A suivre.
Les actifs concernés
A Interlaken, le projet prévoyait un nouveau bâtiment comprenant 36 lots en PPE et 22 appartements locatifs répartis sur trois étages et deux sous-sols. Au rez-de-chaussée, il y avait également 1130 m2 pour du commercial. Le bâtiment devait aussi accueillir un hôtel de 94 chambres. On parle d’un projet d’une valeur de 70 millions de francs. Un autre projet sur le site de Gunten prévoyait plusieurs dizaines d’appartements, des parkings et un wellness.