Genève

Construire en ville devient un Tetris géant

À bout touchant, la nouvelle Cité Léopard est sur le point d’offrir 284 logements au petit territoire dense (2,65 km) et central de Carouge. Un projet qui n’aura pas été simple mais qui se veut à l’image de la construction de demain.

Un jeu de couleurs différencie l’extérieur de la cour intérieure
Un jeu de couleurs différencie l’extérieur de la cour intérieure - Copyright (c) Localarchitecture
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Faire rentrer un rectangle dans une forme triangulaire est vraisemblablement impossible... Alors lorsque des projets immobiliers tentent d’ériger des quartiers entiers au sein d’un maillage urbain déjà existant, la tâche s’annonce ardue. Pourtant au début des années 2000, de nombreux promoteurs se sont lancés le défi à Carouge Est (GE). Face à cette pression immobilière sur l’ensemble du secteur et aux formes d’immeubles projetées ne répondant pas à des logiques foncières cohérentes, le Canton et la Commune ont dû cadrer cet essor topographique. En 2008, un plan guide a donc été élaboré pour planifier ces développements avec une seule et même idée directrice.

Faire place nette à la Cité Léopard

Les appartements seront livrés fin 2024diaporama
Les appartements seront livrés fin 2024

Depuis, plusieurs pièces du puzzle ont déjà pu s’imbriquer, leurs habitants vivant encore au milieu d’un espace public en chantier permanent. Et ce, d’autant plus avec la construction de la Cité Léopard, un îlot de logements à l’angle des rues de la Fontenette et des Moraines qui a subi quelques remous. Située dans une zone industrielle et artisanale, anciennement occupée par cinq barres de modestes immeubles bâtis dans les années 1950 pour loger des familles ouvrières, cette frange de nouveau quartier a dû libérer l’espace, et le faire de la bonne manière.

«Le fait est qu’il y avait 160 logements existants sur place qu’il fallait détruire. Or, la gestion des baux qui avaient été signés au fil du temps était réellement précaire, avec des contrats à termes fixes pour des personnes démunies n’ayant aucun moyen de trouver un bail identique ailleurs (en raison du prix aussi bas que l’état du bâtiment ne le laissait paraître). Nous avons mis en place une cellule spéciale pour trouver des solutions non pas juridiques mais humaines afin de reloger les habitants», témoigne François Sautier, directeur de Construction Perret. L’autre défi de ce projet, afin de repartir d’une feuille blanche, aura été de présenter la «nouvelle Cité Léopard» à la poignée de résidents qui y vivaient depuis ses débuts, en 1954. «Il y avait des seniors qui s’étaient mariés ici, qui avaient vu leur fils y naître et pour qui ce renouveau était un véritable crève-coeur», ajoute François Sautier. Mais le processus a pu se mettre en marche, usines, menuiseries et imprimeries se muant petit à petit pour laisser place à une nuée de logements.

Le parti pris architectural

Les façades minérales sont ornées de balcons en ossature bois avec une géométrie en mouvementdiaporama
Les façades minérales sont ornées de balcons en ossature bois avec une géométrie en mouvement

Pour cela, la SUVA, propriétaire majoritaire (85%) de cet îlot aux côtés d’un propriétaire privé (5%) et de la Ville de Carouge (10%), a organisé un concours d’architecture en 2010 afin de dessiner les contours de cet ensemble en devenir. Un travail ayant été salué parmi tant d’autres: celui du cabinet Localarchitecture qui a su prendre appui sur le contexte environnant afin de ne pas détonner. «L’idée était de s’inspirer de l’îlot Carougeois typique, ouvert au public avec quatre grands passages pour que les promeneurs puissent entrer au centre de cet îlot inspiré du Vieux-Carouge et de ses placettes méditerranéennes, permettant de se rencontrer et de se rafraîchir au milieu de la végétation prévue. Nous avons d’ailleurs choisi de garder au minimum 50% de pleine terre et de placer le parking en souterrain», souligne Livia Esposito de chez Localarchitecture.

Avant de poursuivre: «Nous avons joué sur les contrastes avec des atmosphères différentes que l’on soit à l’extérieur ou à l’intérieur de l’îlot. Il y a des façades principalement minérales où l’on vient casser la rigidité de l’extérieur avec des balcons en ossature bois et une géométrie en mouvement à l’intérieur. On transite ainsi de la sphère du voisinage très urbaine vers une sphère bien plus domestique et conviviale dans la cour intérieure.» Ceci marqué également par un changement de couleur en façade (rouge-brique dehors en référence au passé industriel et vert-familial à l’intérieur, plus naturel) et par le sol pavé qui change lui aussi de teinte, devenant de plus en plus clair lorsque l’on pénètre dans l’enceinte de l’îlot.

De même, le terrain étant en pente, les architectes ont dû s’adapter et ont effacé l’horizontalité des immeubles pour créer une nouvelle ligne de gabarits qui redessine le visuel en toiture. Un bâtiment qui pourra accueillir 284 appartements et une vraie galerie commerçante aux rez-de-chaussée qui jouera sur la transparence des devantures et des espaces traversants. Enfin, une ludothèque et un café-restaurant pour l’insertion professionnelle sont attendus ces prochains mois. «Un double usage de l’équipement a été imaginé pour cela, avec un système de cloison mobile qui permettra aux habitants d’utiliser la pièce même lorsque la ludothèque sera fermée. Le café-restaurant, qui aura des horaires étendus, devrait ouvrir le 1er avril pour aider les habitants à vivre cette transition», complète l’architecte Livia Esposito.

Un exemple pour le PAV

Mais ce mégaprojet qui devrait être livré fin novembre, ne mettra pas un point final au dessin urbanistique futur de Carouge (qui doublera à terme sa population). Le quartier étant érigé au gré des libérations de terrains, elles-mêmes dépendantes des entreprises pouvant se déplacer ou non, des activités comme celle de la menuiserie jouxtant la Cité Léopard sont encore en cours. Mais le quartier prend forme et inspirera l’autre grand projet d’extension de la ville: Praille-Acacias-Vernets (PAV). Des leçons pouvant être tirées et répétées autours des Vernets ou du secteur de Pictet pour élaborer tous ces quartiers en transition perpétuelle sur un temps long. La construction du futur centre-ville aura donc des fauxairs de Tetris et demandera de la maîtrise. Pas simple!