Des légumes sur un toit perchés
La start-up Légumes perchés, créée en 2020, s'est donné pour mission de reconnecter le citoyen urbain à la nature en installant des potagers notamment sur les toits des immeubles. La graine a bien germé.

Le contraste est saisissant. A un jet de l’échangeur autoroutier de Crissier, dans cette zone mi-industrielle mi-résidentielle bétonnée de l’Ouest lausannois, des légumes prennent leur aise dans des bacs perchés sur les toits de trois immeubles du nouveau quartier Oassis. En tout, quelque 3000 m2 de cultures réparties dans quelque 90 bacs. De là-haut, à une vingtaine de mètres du sol, la vue du Léman au Jura est saisissante. Ce contraste entre urbanité et agriculture constitue le socle de Légumes perchés, une start-up créée en 2020. «Nous avions deux objectifs, explique l’un de ses cofondateurs Thomas Verduyn: optimiser les espaces en ville et inciter les citoyens à se reconnecter à la nature et à leur alimentation. Le toit était la meilleure option.»
Jury séduit lors d’un hackathon
L’idée avait déjà germé dans la tête de ce titulaire d’un master en système d’in- formation à HEC Lausanne pendant ses études. Lors du hackathon Smart City Day organisé par Open Geneva en 2019, lui et quatre autres étudiants avaient même séduit le jury avec leur problématique de base: comment un étudiant avec peu de moyen peut-il accéder à une nourriture saine et locale? Comment peut-il se reconnecter à la nature? A leur grande surprise, ils remportent le concours avec leur solution des toits potagers. «Dans la ville moderne, il ne faut pas oublier ce qu’on mange», philosophe-t-il en cette matinée de mai devant une rangée de bacs où poussent carottes, oignons, choux kale, courgettes, salades, menthe, mais aussi des fraises.
Fort de ce succès, Thomas Verduyn crée tout d’abord l’association Légumes perchés pour sensibiliser les gens à l’agriculture urbaine. Puis très vite, il lance la start-up du même nom avec ses amis Constantin Nifachev et David Bollier. L’association, rebaptisée Laboratoire d’agriculture urbaine (LAB-AU*), englobe les expérimentations sociales et agronomiques en lançant des prototypes. La start-up se charge de la partie conception et installation des potagers urbains, avec un accompagnement sur au moins deux ans, que ce soit sur les toits mais aussi au sol entre les immeubles, les façades et même à l’intérieur.
Fournisseurs locaux

Légumes perchés propose aux acteurs publics et privés, soucieux de la durabilité, des «espaces comestibles à but productif et social». «Nous travaillons en B to B avec les communes, promoteurs et architectes, indique Thomas Verduyn. Toutes nos installations ont le label B Corp et sont réalisées avec des fournisseurs locaux distants de moins de 80 kilomètres.
La terre pour les bacs est fournie par une société suisse.» Si l’alimentaire est essentiel dans ses projets, la start-up ne néglige pas les aspects socialisation et sensibilisation. «Nos ateliers doivent être accessibles à tous. Une grande partie est gratuite pour les habitants, car ils sont payés par les entreprises ou communes qui nous mandatent», assure le cofondateur ravi de voir un nombre grandissant de résidents (re)découvrir le jardinage tout en faisant connaissance autour des bacs. Mais loin de lui l’idée de concurrencer l’agriculture périurbaine, dont trois micro-fermes sont situées de l’autre côté de l’autoroute. Depuis son lancement, Légumes perchés connaît une belle croissance: de 100’000 francs en 2020, son chiffre d’affaires a doublé l’année dernière. Quelque 25 projets (conception, réalisation, accompagnement confondus) sont en cours de réalisation. La start-up a notamment recruté une architecte-paysagiste et une spécialiste de permaculture et compte maintenant six personnes, de 26 à 38 ans dont les profils sont complémentaires. «Dans une start-up, l’innovation compte beaucoup bien sûr, mais l’important est de savoir si l’impact est juste, si cela fait sens, s’il est durable, dit Thomas Verduyn. Nous devons concevoir des projets qui tiennent quinze, vingt ou trente ans.» Et les mandats se multiplient, de Genève à Fribourg en passant par Lausanne ou Estavayer-le-Lac, que cela soit des plans d’affectation de quartiers, comme le futur quartier de Vailly à Bernex (GE), une zone de villas, notamment à la Tour-de-Peilz (VD), ou des petits projets pour des particuliers.
Légumes et panneaux solaires
Légumes Perchés se consacre aussi à des projets pilotes et à des recherches, notamment sur la manière de réduire au maximum son empreinte carbone. Récemment, la start-up s’est lancée dans une collaboration avec ceux qui sont pourtant ses concurrents sur les toits: les installateurs de panneaux solaires. «Souvent, la surface qu’on nous alloue pour créer une ferme urbaine se réduit pour installer des panneaux photovoltaïques», regrette Thomas Verduyn. D’où l’idée de partenariat avec Insolight, une start-up basée à Renens, pour développer l’agrivoltaïsme. Le principe consiste à installer des panneaux translucides sur des bacs de potagers. «Nous avons essayé avec des fraises qui se cultivent principalement sous serres pour ne pas développer des maladies. Avec les panneaux photovoltaïques, les fruits ont le soleil, le vent, mais pas la pluie. Et en plus, on produit de l’électricité», explique Thomas Verduyn qui se réjouit de cette nouvelle perspective. Tout en rappelant qu’en 2020, Légumes perchés avaient cultivé sur les toits de Crissier, sans serre, d’«excellents melons bios étonnement sucrés».
La Suisse à la traîne
L’agriculture urbaine peut avoir des buts divers en fonction de la région. Thomas Verduyn, cofondateur de Légumes perchés, évoque le cas de Detroit aux Etats-Unis. Cette ville autrefois industrielle avait «un besoin vital de se nourrir» et a su faire de l’agriculture urbaine un antidote à la désindustrialisation. Le documentaire à succès Demain, sorti en 2015, l’a très bien illustré. En Suisse, on n’est pas dans ce besoin nourricier. La volonté des citoyens dans nos villes est plutôt dans la recherche d’une alimentation plus saine et d’un retour à la nature. Toutefois, selon Thomas Verduyn, il n’existe pas en Suisse une volonté politique de développer des projets d’agri- culture urbaine, ni de label bio hors sol. «On tient de beaux discours, mais dans la pratique les choses évoluent lentement», déplore-t-il. En Suisse, les entreprises comme la sienne sont au nombre de trois. En comparaison, rien que Paris en compte 25. Les Canadiens, eux, sont à l’avant-garde.
* https://legumesperches.ch/lab-au/