Du château au campus universitaire
Construit en 1734, ce château a vu se succéder onze générations d’une même famille, avant d’être cédé en 2019 à Pepperdine University qui vient d’achever sa restauration pour 45 millions de francs. Récit historique.

Impossible de passer sous silence l’inauguration le 6 juillet dernier du château d’Hauteville entièrement restauré et situé à Blonay - Saint-Légier (au-dessus de Vevey). Il s’agit sans aucun doute de l'un des plus beaux domaines de Suisse romande. Le nouveau propriétaire, le groupe américain Pepperdine University, l’avait acquis courant 2019 pour un montant de 27 millions de francs aux trois héritiers de l’hoirie Grand d’Hauteville pour le transformer en campus. La principale étape de restauration de ce vaste chantier s’est achevée cet été et son coût s’est élevé à 45 millions de francs (dont 6 millions seront pris en charge par l’Etat de Vaud et la Confédération). Ce bien culturel suisse d’importance nationale va faire l’objet d’une publication brochée de 320 pages, avec 300 illustrations en couleurs par la section vaudoise de Patrimoine Suisse, laquelle est prévue à la fin de cet automne chez Slatkine. Retour sur l’histoire de ce lieu.

UN CHÂTEAU À LA FRANÇAISE
Avant d’accueillir depuis le 1er septembre 2023 en moyenne 80 étudiants en filière bachelor et 45 en master, ce domaine de 36,6 hectares a vu quelques célébrités le fréquenter à la fin du XVIIIe siècle, ainsi qu’au XIXe siècle. Citons le compositeur et pianiste allemand Felix Mendelssohn et l’une de ses sœurs, venus ici durant leur enfance, l’impératrice Joséphine de Beauharnais (première épouse de Napoléon 1er), sans oublier diverses têtes couronnées de Russie et d’Allemagne.
Bien avant d’intéresser la noblesse européenne, ce site surplombant le Léman fut déjà occupé par des Romains, puisque des fouilles effectuées au XIXe siècle révélèrent le tombeau d’un soldat romain avec ses armes et bijoux en bronze. L’histoire est plus précise dès 1734, année de l’acquisition du domaine par Jacques-Philippe d’Herwarth, patricien d’Augsbourg et bourgeois de Vevey. En 1760, celui-ci vendit à Pierre-Philippe Cannac, banquier à Lyon, la baronnie de Saint-Légier - La Chiésaz et la seigneurerie d’Hauteville avec tous leurs droits.
La famille Cannac était venue se réfugier en Suisse à la suite de la révocation de l’Edit de Nantes. Pierre-Philippe Cannac (1705-1785) ayant accumulé une grosse fortune, décida d’agrandir, d’embellir et de moderniser le château. Il lui a notamment fait adjoindre deux ailes pour que cela ressemble à un château à la française, cela en mandatant l’architecte lyonnais Donat Cochet. Le corps de logis, dont le grand salon de 7 mètres de hauteur sous plafond, a été entièrement couvert de fresques peintes par les frères Petrini de Lugano. Vers 1767, ces travaux prennent fin et le château trouve son aspect actuel. Pierre-Philippe Cannac meurt en 1785 et laisse le domaine à son fils aîné Jacques-Philippe (1731-1808).

UNE FAMILLE DE BANQUIERS INFLUENTS
Dès 1794, c’est sa fille, Anne-Philippine-Victoire (1770-1839) qui en hérite. Elle avait entre-temps épousé le banquier Daniel Grand de la Chaise (1761-1828). Lorsque le couple vient s’installer au Domaine d’Hauteville, il décide de prendre le nom de Grand d’Hauteville. Les Grand auraient participé au financement de l’indépendance des Etats-Unis, d’après le livre édité à l’occasion de la vente aux enchères du contenu du château organisée en septembre 2015 par l’Hôtel des ventes de Bernard Piguet, une vente qui avait rapporté près de 4,4 millions de francs.
Le jeune couple va entreprendre d’importants travaux de rénovation à Hauteville. Ce sera sous son impulsion que des serres seront dressées vers 1810 et qu’un temple de l’amour va voir le jour. Daniel Grand d’Hauteville va aussi s’investir dans le développement de l’exploitation agricole des terres du domaine. Il s’intéresse aussi à la botanique et à diverses formes d’élevage : apiculture, vers à soie, ou encore les moutons.
Outre le bâtiment principal, dont l’enfilade côté sud est à peine plus petite que celle du château de Prangins, mentionnons la cour principale qui ne contient pas moins de 45'000 pavés ! L’ancien manège édifié en 1823, puis transformé en orangerie, permettant désormais de réunir plus de 150 personnes sans aucun pilier rompant l’espace central, a ainsi été transformé par Pepperdine University en réfectoire du campus, avec en sus la création d’un sous-sol qui accueille une cuisine professionnelle bénéficiant de lumière naturelle. Sous les combles de ce bâtiment, 30 petites chambres ont été créées pour les étudiants, avec des locaux pour les douches et les toilettes regroupés dans un seul lieu.

DES CACHOTS DEVENUS DES TOILETTES
Parmi les rénovations effectuées par le repreneur américain sous la direction de l’architecte Nicolas Delachaux, du bureau Glatz & Delachaux, la création d’un ascenseur qui descend jusque dans les caves, là où trônent quatre pressoirs. De quoi permettre notamment au groupe Obrist, qui exploite les vignes du domaine, d’organiser des événements. En remontant de la cave au rez-de-chaussée, on passe devant trois anciens cachots datant de l’époque où le seigneur exerçait le droit de justice. Ces trois cachots ont été transformés en lieu d’aisance.
Les 109 fenêtres ont été restaurées. 70% des façades ont pu être conservées, notamment les 28 fausses fenêtres peintes en trompe-l’oeil. « Nous avons bénéficié de l’expertise de spécialistes de toutes les disciplines du patrimoine », se félicite Nicolas Delachaux, lequel a oeuvré aux restaurations des châteaux de Nyon, Saint-Maire (siège du Conseil d’Etat vaudois), d’Allaman, de Curtilles, de Cheseaux, etc. L’ancienne grange devrait devenir normalement dans une future étape une salle polyvalente, de quoi renouer avec le théâtre qui fit vibrer les nobles au XIXe siècle à Hauteville. A ce propos, les nombreux décors peints pour le théâtre datant de 1777 avaient été acquis en 2015 par le Musée national suisse. Ils ont fait l’objet d’une restauration soignée et sont présentés dans une mise en scène innovante depuis le 27 août à Prangins.