Dubied, d'hier à demain: un site industriel en mutation
Longtemps laissé à l’abandon après la faillite de l’entreprise Dubied, le vaste site industriel de Couvet (NE) retrouve un nouvel élan, porté par une association de propriétaires et soutenu par les autorités.

C’est un ancien site industriel unique, qui s’étend sur plus de 600 m de long à Couvet dans le Val-de-Travers, coincé entre l’Areuse au nord et la voie ferrée au sud. C’est ici qu’étaient fabriquées durant plus d’un siècle des machines à tricoter mécaniques exportées dans le monde entier. Longtemps en friche, l’ancienne usine Dubied à Couvet est aujourd’hui en passe de connaître un nouveau souffle après des décennies d’errance.
Car après la faillite de l’entreprise à la fin des années quatre-vingt, les locaux avaient été vendus et revendus plusieurs fois avant d’être morcelés entre divers propriétaires. Il y a deux ans, une vingtaine d’entre eux se sont constitués en association sous l’impulsion de Thierry Guizzardi, qui préside l’organisme. «Mon idée était que l’on se connaisse entre propriétaires, que l’on discute, qu’on se fédère afin d’être un interlocuteur unique pour exprimer nos différents intérêts et visions».
Une multitude d’activités variées

Justement, quelle en est sa vision, à lui? «Mon rêve, c’est de voir ce site renaître au travers d’une véritable dynamique industrielle». Et c’est plutôt bien parti. Car l’ancienne fabrique abrite déjà une multitude d’activités variées. PME et artisans (sanitaire, ferblantier, carrossier, décoration horlogère, fabricants de fraises ou de machines de dosage, etc) y ont installé leurs stocks et ateliers. Deux centres de formation professionnelle y font ronronner leurs machines-outils. Et nombre de locaux sont occupés par d’autres activités. Plusieurs collectionneurs de voitures alignent leurs trésors dans certaines halles, dont le Saurer Club qui entrepose camions et pièces de rechange. Une salle de yoga apporte un petit côté zen, un club de boxe y organise ses entraînements et il n’est pas rare que l’on entende jouer les deux Guggenmusiks qui y ont leurs quartiers. «Ces activités si différentes sont une vraie richesse pour un tel site», se réjouit Thierry Guizzardi. L’association des propriétaires du Site Dubied a eu envie de le montrer l’automne dernier, à l’occasion de premières portes ouvertes. Un succès. «La population était contente de sentir de la vie dans ces lieux au cœur de leur commune».
Projets communaux pour bientôt

Cette dynamique, elle est aussi au goût des autorités. «Nous nous réjouissons de la création de cette association qui nous a permis d’instaurer enfin un vrai dialogue avec les propriétaires, afin d’harmoniser leurs besoins avec nos intentions. Car notre volonté est de favoriser la redynamisation du site afin de créer de l’emploi. Nous ne voulons plus entendre parler de friche, mais de futur parc industriel. Et maintenant, nous voulons agir», explique Eric Sivignon, conseiller communal chef du dicastère du territoire, de l'énergie et de la mobilité (DTEM).
Les autorités vont en effet présenter ces prochains mois au législatif un projet concret assorti d’une demande de crédit. «L’intérêt stratégique du site se renforce déjà avec la création d’une nouvelle gare juste à côté. Nous voulons poursuivre le mouvement à notre échelle. Notre action se concentrera d’abord sur l’amélioration des accès», explique le Conseiller communal. Refonte de la route (qui appartient en partie à des privés), rénovation de la passerelle métallique piétonne sur l’Areuse seraient ainsi au programme. Mais le stationnement est également considéré de près. «Si l’on veut favoriser l’emploi sur un tel site, il faut réfléchir à comment créer du stationnement, notamment sur certaines parcelles bien précises», relève encore Eric Sivignon. Et la commune pourrait aussi y trouver son compte, en profitant du site pour renforcer son chauffage à distance en y installant un bouclage et une centrale de chauffe supplémentaire. «Il y a beaucoup d’opportunités pour tout le monde», estime le Conseiller communal.
Au coeur des mesures-phares du canton

Le canton participe également aux discussions. Car le site industriel Dubied occupe une place significative dans les Accords de positionnement stratégique (APS), renouvelés en février 2024, et qui visent à coordonner les efforts entre le canton et ses régions pour valoriser les atouts spécifiques de chacune et renforcer leur attractivité. Dans ce cadre, la revalorisation du site Dubied est identifiée comme l'une des trois «mesures-phares» pour le Val-de-Travers dans l'APS 2024-2027. Des soutiens pourraient donc être apportés aux projets publics ou privés Le mouvement est donc amorcé. «Ça bouge enfin», se réjouit Pascal Stirnemann, autre membre de l’association. En attendant, les propriétaires continuent de rafraîchir leur bien. «Chacun rénove de son côté, comme il peut et quand il peut», relève Thierry Guizzardi. Quant à la réussite d’une transformation future de tout le site, elle dépendra désormais de la capacité des propriétaires, des autorités et des usagers à harmoniser leurs ambitions. Entre pragmatisme économique et vision à long terme, le site Dubied a l’opportunité de devenir bien plus qu’un espace d’activités: un symbole de résilience et d’innovation pour le Val-de-Travers.
Dubied à travers le temps

1867 Henri-Edouard Dubied, fils d’un distillateur d’absinthe, fonde une fabrique de machines à tricoter après l’Expo universelle de Paris.
1878 Son fils Paul-Edouard, ingénieur, prend la relève et motorise les machines.
1911 Pierre Dubied poursuit l’essor de l’usine, qui tourne à plein régime durant la Première Guerre mondiale.
1922 La 100 000e machine à tricoter sort de Couvet.
1951 Modernisation des locaux et optimisation de la production.
1959 Construction de la tour
1963 L’entreprise atteint son apogée, mais manque d’espace à Couvet. Expansion à Marin.
1970 Dubied emploie 2046 personnes, mais peine à recruter face à la concurrence étrangère. Une partie de la production est déplacée en Italie.
1976 Grève historique de 300 employés à Couvet, marquant un tournant social.
1988 Concurrence accrue, franc fort et retard technologique mènent Dubied à la liquidation. Le site est vendu en deux parties, puis morcelé au fil des ans.
Une évolution architecturale sur un siècle
«Des constructions industrielles qui s’emboîtent de façon continue et organique, depuis la fabrique de 1867 jusqu’au centre de Recherche & Développement inauguré en 1974», c’est ainsi que Claire Piguet, historienne du patrimoine à l’Office du patrimoine et de l’archéologie du canton de Neuchâtel, décrit le site Dubied de Couvet dans un article publié par la Nouvelle Revue Neuchâteloise en 2012. On y apprend que les constructions ont évolué sur un siècle au rythme du destin de l’entreprise de machines à tricoter. En 1867, Henri-Edouard Dubied aménageait la première usine. En fait, un atelier. Mais de style, puisqu’apparemment il l’avait sans doute bâti avec le concours du jeune architecte neuchâtelois Léo Châtelain, à qui l’on devra ensuite nombre d’édifices remarquables dans tout le canton. Ce bâtiment originel - seul classé du site avec la cheminée de brique – avait accueilli des ateliers, puis l’administration de l’entreprise. Au passage, il avait été maintes fois transformé. Son intérieur abrite aujourd’hui un atrium central entouré de coursives et éclairé par une verrière. L’immeuble a été entièrement rénové ces dernières décennies par son propriétaire Pascal Stirnemann, qui y a installé son bureau d’architecture et ingénierie civile.

Un chapelet de halles «Alors que la première usine répondait à un programme architectural cohérent, les halles et bâtiments industriels vont dorénavant s’ajouter les uns aux autres, une croissance organique dictée par les besoins nouveaux de l’entreprise», poursuit Claire Piguet dans son étude. En effet au fil des ans et des acquisitions de parcelles, un chapelet de halles se construisent. Dès 1918, une nouvelle usine est érigée au nord du secteur. Massive, dessinée par l’architecte Ubaldo Grassi sur un plan en double T, elle comprend quatre niveaux. Aujourd’hui, ce bâtiment accueille notamment le Centre Neuchâtelois d’Intégration Professionnelle (CNIP), des ateliers du CAAJ (Centre d’apprentissage de l’Arc Jurassien) ainsi que les archives Dubied.
La tricoteuse sur le mur Ensuite, le site connaît un relatif calme constructif entre les années 1920 et 1940. Tout au plus poursuit-on la liaison entre ancienne et nouvelle usine par quelques constructions dispersées. L’après-guerre signe la modernisation des bâtiments, le rajeunissement de la silhouette et la construction de nouveaux édifices. Notamment cette tour de cinq étages, typique des fifties, avec son rez en placage de pierre jaune et ses façades ornée d'horloges ainsi qu’au nord une fresque du sculpteur Paulo Röthlisberger. Cette oeuvre en marqueterie de pierre intitulée «La tricoteuse» illustre bien l’ADN de l’entreprise Dubied en représentant une bergère, tricot en main, au milieu de ses brebis.
Le silo à cravates Parfois appelé «le kilomètre Dubied», le site prend alors un visage quasi définitif. Tout au plus, une halle industrielle est encore ajoutée vers 1967. Le dernier élément d’importance sera le bâtiment inauguré en 1974 et destiné à accueillir les services de Recherche & Développement, rapidement surnommé «le silo à cravates» en lien avec les cols blancs qui y travaillaient. Après la faillite de l’entreprise en 1987 et le morcellement des locaux, le site n’a plus connu de nouvelles constructions, tout au plus des rénovations ponctuelles effectuées par ses divers propriétaires.