Eglise d'Hérémence

Entre prouesse architecturale et œuvre d'art

Une fois par mois, nous partons à la découverte de l’environnement bâti suisse. L’objectif? Mettre en valeur nos réalisations architecturales, approfondir nos connaissances et comprendre en quoi le patrimoine historique et l’architecture de nos régions sont si importants. Dans ce numéro, place à l’église d’Hérémence, dans le mythique Val d’Hérens.

La nouvelle église d’Hérémence s’inscrit dans un renouvellement de l’architecture religieuse.
La nouvelle église d’Hérémence s’inscrit dans un renouvellement de l’architecture religieuse. - Copyright (c) Wikimedia MHM55
diaporama

Noël approche à grands pas. Les rues s’illuminent de guirlandes scintillantes et les magasins se parent de décorations festives. L’impatience des enfants est palpable. Ces jours, ils sont nombreux à rédiger la traditionnelle lettre au père Noël. Mais parmi les têtes blondes, qui sait qu’avant d’être un vieillard jovial voyageant sur un traîneau tiré par neuf rennes, une hotte pleine de cadeaux à l’arrière, l’homme à l’interminable barbe blanche était un évêque chrétien du IVe siècle prénommé Nicolas? Originaire de Myre (l’actuelle Turquie), il était vêtu d’une simple mitre et d’une chasuble. Des représentations fidèles à la réalité peuvent encore être aperçues dans certaines églises dédiées au culte de ce saint. Ainsi en est-il de l’église Saint-Nicolas dans le village d’Hérémence (VS), qui possède plusieurs statues à son effigie. Mais le lieu vaut surtout le détour pour son architecture (d)étonnante. Cet amas de cubes en béton armé transpercés de lumière, œuvre du sculpteur et architecte zurichois Walter Maria Förderer, ne laisse personne indifférent.

L’histoire de cette cathédrale atypique débute au XVIIIe siècle. En 1770, l’église d’Hérémence est un lieu de culte tout ce qu’il y a de plus classique. Les cartes postales en noir et blanc, datant du début du XXe siècle, montrent un bâtiment en forme de rectangle avec un clocher qui égrène les heures, un toit pointu et une porte en arc. Rien qui ne sorte de l’ordinaire. Le 25 janvier 1946, un violent tremblement de terre secoue le Valais et endommage fortement l’église. Ce n’est cependant que vingt ans plus tard, en 1967, qu’elle est enfin démolie puis reconstruite avec le même béton qui a servi quelques années plus tôt à bâtir le barrage de la Grande Dixence, mille mètres plus haut dans la vallée.

Une sculpture monumentale

Une succession de volumes bâtis, d’escaliers et d’esplanades, que domine le clocher, ressemblant à une tour.diaporama
Une succession de volumes bâtis, d’escaliers et d’esplanades, que domine le clocher, ressemblant à une tour.

Située sur la rue principale du village, l’église de Förderer revisite l’architecture sacrée traditionnelle en une structure contemporaine. Conçu pour compléter le paysage environnant et son site à flanc de colline, ce bâtiment impressionnant a le génie de s’adapter à la configuration exiguë et abrupte du terrain. Il s’accroche ainsi à la pente par une succession de volumes bâtis, d’escaliers et d’esplanades, que domine le clocher, ressemblant à une tour. Ses formes découpées et irrégulières symbolisent le paysage vallonné environnant. Le matériau - du béton armé - rappelle, quant à lui, la force de caractère des habitants de la montagne. S’agissant de l’intérieur, il est aussi source d’émerveillement. Les formes heurtées donnent la sensation d’être dans une grotte entourée de galeries baignées de lumière naturelle, qui permettent les circulations à plusieurs niveaux. D’une capacité totale de 1500 places avec 500 places assises, les sièges sont disposés en hémicycle autour de la chaire, de l’autel et des fonts baptismaux. Chaque recoin a été pensé minutieusement. «Förderer va très loin dans sa quête du détail, observe l’architecte Carole Schaub. Pour que rien n’altère l’ensemble, il va même jusqu’à concevoir les poubelles qui sont à l’extérieur, sur l’esplanade de l’église. Il a créé la niche dans laquelle elles vont prendre place. Sauf qu’elles sont tellement bien intégrées au bâtiment qu’il a fallu rajouter une petite plaquette avec l’inscription «poubelle» pour que les gens comprennent ce qu’elles sont. C’est formidable. Vous pouvez revenir dix fois dans cette église et chaque fois vous y verrez un nouveau détail qui vous a échappé la fois d’avant.»

Détail amusant: une grande partie du mobilier religieux de l’ancienne église a été récupérée, notamment un Christ en bois datant du XIe siècle, des peintures à l’huile et diverses statues, dont celle de Saint Nicolas, bien sûr. Pourtant, Walter Maria Förderer ne souhaitait pas de signes religieux distinctifs dans son église. «Il était d’avis que pour qu’un bâtiment perdure dans le temps, il ne devait pas s’apparenter à une fonction ou à un programme précis», poursuit Carole Schaub. En avance sur son temps, il pressentait que la religion était vouée à perdre du terrain. «C’est bien de construire des églises sauf qu’elles seront vides si on fait un bâtiment qui n’est utilisé que pour le fait religieux», avait-il coutume de dire. «Förderer souhaitait que son église puisse accueillir des concerts, des fêtes de quartier, mais aussi des séances de commune», note encore Carole Schaub.

En novembre 2021, les Hérémensards fêtaient le demi-siècle d’existence de leur église, dont ils sont très fiers. Certains l’ont peut-être oublié mais, à ses débuts, l’esthétique du lieu ne faisait pas l’unanimité. Œuvre d’art audacieuse pour certains, départ de téléphérique ou encore «bunker de la foi» pour d’autres, son architecture futuriste a longtemps divisé. «Les critiques venaient surtout de l’extérieur du village», se souvient un de ses habitants. Le temps a cependant donné raison aux Hérémensards. Chaque année, leur cathédrale attire une foule de touristes. Classée monument historique d’importance nationale, certains la surnomment même la «Sagrada Familia du Valais». «Alors que la vallée sort d’une vie agropastorale quasi autarcique, les villageois ont opté pour l’audace, en basculant dans la modernité», commente l’office du tourisme, avant de poser cette question: «Un barrage titanesque, une église insolite, les gens d’Hérémence seraient-ils des visionnaires?». Une chose est sûre: avec l’église de Förderer, le petit village a écrit une page de l’Histoire de l’architecture sacrée.