Horlogerie

François-Paul Journe, un horloger visionnaire numéro un aux enchères

En fusionnant artisanat traditionnel et innovation audacieuse, F.P.Journe se distingue avec ses créations uniques, attirant les collectionneurs du monde entier en quête de pièces exceptionnelles.

François-Paul Journe et le chef Dominique Gauthier devant le nouveau restaurant F.P.Journe.
François-Paul Journe et le chef Dominique Gauthier devant le nouveau restaurant F.P.Journe.
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C’est en tenue de travail, blouse d’horloger bleue sur lui, que François-Paul Journe nous a reçu dans sa manufacture située à la rue de l’Arquebuse à Genève. 2023 est une année importante pour l’horloger genevois. Il a, en effet, inauguré un nouveau bâtiment de 2000 m2 à Meyrin consacré à la fabrication des boîtiers F.P.Journe. La manufacture y conçoit également les cadrans de la marque et ceux de plusieurs autres maisons de haute horlogerie. Le créateur genevois ne s’est d’ailleurs pas cantonné au monde de l’horlogerie puisqu’il a ouvert, mi-octobre, le restaurant F.P.Journe à la rue du Rhône dirigé par le chef Dominique Gauthier. Interview d’un génie des mouvements horlogers qui se démarque par sa franchise, son savoir-faire et son indépendance dans l’industrie compétitive de la mesure du temps.

Vous venez d’inaugurer un tout nouveau bâtiment à Meyrin spécialement dédié aux cadrans et aux boîtiers. Racontez-nous ce projet.

Ce projet a vu le jour il y a trois ans avec l’achat d’une usine abandonnée rue de Veyrot. Nous avons reconstruit tout le site afin d’améliorer les conditions de travail de nos artisans. Nous essayons, en effet, de tout fabriquer à l’interne afin de préserver le savoir-faire lié à l’horlogerie. C’est ce qui façonne l’identité de notre marque.

Contrairement aux attentes habituelles d’un tel investissement, l’objectif n’était pas d’augmenter la production, mais bien de mettre l’accent sur la qualité des machines et le bien-être des employés…

En effet, la clé de la réussite, c’est de garder son personnel. En lui offrant des conditions de travail agréables avec des outils de production modernes, il va mieux travailler. Nous avons, d’ailleurs, de nombreux collaborateurs qui travaillent chez nous depuis plus de vingt ans.

En mai dernier, Christie’s a organisé la plus grande vente aux enchères consacrée exclusivement à une marque, la vôtre. Qu’avez-vous ressenti ?

En réalité, j’ai appris cela fin janvier. C’est un collectionneur américain qui a vendu toute sa collection, soit 40 montres. Nous ne connaissons pas la raison qui l’a poussé à les vendre. Personnellement, je n’aime pas m’immiscer dans le second marché que je ne contrôle pas.

Vous êtes pourtant la 3e marque la plus demandée aux enchères, après Patek Philippe et Rolex ?

En réalité, je suis la première en termes de ratio nombre de montres/prix. Mais également sur la performance par rapport à l’estimation.

Comment l’expliquez-vous ?

Il faut demander cela aux personnes qui les achètent. Nos montres sont rares et apparemment elles plaisent. La cote est beaucoup montée ces dernières années.

Vous êtes vous-même attentif aux enchères ?

Je n’ai pas le temps d’assister à toutes les ventes aux enchères, mais je trouve les résultats toujours très intéressants. J’ai, moi-même, acheté deux montres pour notre service patrimoine. Les ventes sont aussi l’occasion de rencontrer des collectionneurs et comprendre ce qu’ils recherchent.

Vous êtes l’unique triple vainqueur de l’Aiguille d’or du GPHG. Pourquoi avez-vous décidé de ne plus y participer ?

Je me suis retiré du prix après l’édition de 2010 car j’étais apparemment la marque à abattre. Les prix décernés sont souvent politiques. C’est l’une des raisons qui ont poussé de grandes marques à ne plus y participer.

Les collectionneurs s’arrachent vos montres, comment l’expliquez-vous ?

Si l’on regarde ce que j’ai fait depuis plus de vingt ans dans le prêt-à-porter des montres-bracelets, j’ai réalisé presque un mouvement par an avec des complications très différentes. Les autres marques ne font pas ça. J’ai toujours entrepris ce que j’avais envie de faire, avec mon style et mon caractère. Je n’ai jamais copié aucune marque, ni écouté de conseils extérieurs. J’ai toujours fait à ma manière.

Qui sont vos clients ?

Des passionnés de mouvements, des collectionneurs et, parfois aussi, hélas, des investisseurs. D’ailleurs, même si nos montres de seconde main se revendent deux ou trois fois le prix, je n’augmente pas mes prix. Je ne vais pas punir mes clients fidèles.

F.P.Journe se distingue avec ses créations uniques, attirant les collectionneurs du monde entier en quête de pièces exceptionnelles.diaporama
F.P.Journe se distingue avec ses créations uniques, attirant les collectionneurs du monde entier en quête de pièces exceptionnelles.

Est-ce facile d’acheter l’une de vos montres ?

Les boutiques gèrent les commandes avec des listes de souhait. Chaque vendeur va créer une relation avec le client, pour le connaître. S’il estime qu’il
s’agit d’un spéculateur, il ne lui vendra pas la montre. Aucune montre n’est disponible tout de suite en magasin.

Vous venez d’ouvrir le restaurant F.P.Journe à la rue du Rhône. Etait-ce un vieux rêve ?

Pas du tout. Je me suis toujours dit que c’est très bien de cuisiner pour des amis, mais que la restauration est un métier trop compliqué. En 2014, avec mon ami Stéphane Barbier-Mueller, nous avons décidé, durant un repas – qui fut le plus cher du monde (rires) – de reprendre le Relais de l’Entrecôte. Nous l’avons transformé en restaurant de viande (le 49 Rhône), qui n’a malheureusement pas fonctionné. Puis nous avons donné les clés à Philippe Chevrier dont le concept Marjolaine n’a pas pris non plus. Ensuite, nous avons dû fermer en 2019 pour effectuer des travaux de structure. Je voyais cet emplacement vide au milieu des boutiques de luxe, depuis longtemps. Il fallait absolument faire quelque chose avec.

Les deux concepts qui ont échoué auparavant ne vous ont donc pas refroidi ?

Non, car je n’aime pas rester sur une défaite. Nous avions cet emplacement magique. Il fallait mettre F.P.Journe, cela faisait plus de sens. Nous sommes coactionnaires avec Stéphane Barbier-Mueller, mais il m’a laissé les mains libres.

Et vous avez engagé Dominique Gauthier qui était le chef étoilé du Chat-Botté au Beau-Rivage…

Un ami commun m’a parlé de Dominique. Je lui ai dit ce que je voulais faire, soit une cuisine à la hauteur de ce que je fais dans l’horlogerie. Il avait la même idée. Je me suis occupé du décor, lui de la carte. Et nous ne souhaitons surtout pas d’étoile.

Depuis l’ouverture, ça ne désemplit pas…

C’est vrai. J’ai même des clients qui veulent m’inviter dans mon propre restaurant (rires).

Pourriez-vous ouvrir d’autres restaurants ?

On me l’a déjà proposé, notamment en Arabie saoudite. Mais pour l’instant ce n’est pas prévu.

Que rêveriez-vous de faire encore ?

J’ai encore beaucoup de choses à faire. Notamment, de me mettre au travail pour réaliser la montre de 2026-2027. Ce qui est difficile, en proposant pratiquement chaque année un nouveau mouvement, c’est de trouver de nouvelles idées et d’être original.

Votre succession est-elle déjà prévue ?

Il y a des choses qui sont déjà activées. Les propriétaires de Chanel sont actionnaires à 20% de la marque, ils restent une garantie en cas de soucis. Il s’agit d’une maison indépendante qui partage les mêmes valeurs que F.P.Journe. Ce sont les meilleurs actionnaires puisqu’ils me laissent faire ce que je veux.