Grégory Marchand, le "Frenchie" qui casse les codes
Avec sa vision décomplexée de la gastronomie, le protégé de Jamie Oliver a trouvé sa place dans la station bagnarde où il propose une cuisine du terroir simple et créative.

La carte ne se compose pas de plats montagnards, ni de plats typiquement français. C’est un mélange de saveurs gourmandes dont les recettes 100% maison sont réalisées en grande partie avec les produits locaux. Bacon scones servis avec de la double-crème de la Gruyère, gougères à la truffe noire, tartare de truite ou encore tarte Tatin à l’oignon, crème fumée et thym. L’inspiration est autant suisse qu’internationale. En effet, Grégory Marchand, qui fait partie de la génération de la néo-bistronomie, a fait ses armes de Londres à New York en passant par Hong Kong et l’Ecosse où il a côtoyé de nombreux chefs étoilés, dont la star des cuisines britannique Jamie Oliver. Depuis la reprise de l’Hôtel Experimental Chalet en 2019 par le groupe du même nom, Grégory Marchand, 44 ans, dirige le restaurant Frenchie à Verbier. Celui qui a été classé parmi les 20 meilleurs chefs du guide Fooding possède, par ailleurs, cinq établissements à Paris – dont un restaurant étoilé – et une adresse à Londres.

Quels sont vos premiers souvenirs gourmands ?
Mes premiers souvenirs sont les goûters chez ma grand-mère. Les crêpes, le pain perdu qu’elle cuisinait les après-midi quand j’allais chez elle.
Quand avez-vous su que vous souhaitiez faire de la cuisine votre métier ?
En réalité, la cuisine est arrivée par accident. Ce n’était pas écrit. Après la 3e année de collège, à 14 ans, j’ai dû choisir une voie professionnelle. J’ai décidé de faire un stage dans un restaurant. J’ai bien aimé le côté « fratrie » qui m’a poussé à m’inscrire par la suite dans une école hôtelière.
Qui cuisinait à la maison quand vous étiez enfant ?
J’ai eu une enfance particulière car j’ai perdu mes parents quand j’étais très jeune. J’ai été élevé dans un foyer à la DDASS. Les week-ends, nous faisions des ateliers cuisine pour nous occuper et j’aimais bien ça. A 17 ans, j’ai été lâché dans la nature. J’ai commencé à travailler dans des restaurants de manière alimentaire avant de me former au métier.

A 20 ans, vous quittez la France…
Oui, je suis parti en Ecosse, puis à Londres durant dix ans. Ensuite, j’ai eu besoin de faire une pause. Je me suis installé à Marbella où je suis resté deux ans, puis j’ai travaillé au Mandarin-Oriental à Hong Kong avant de retourner à Londres.
Avez-vous eu un déclic qui a confirmé votre choix d’être cuisinier ?
Oui, quand j’étais à Londres, dans un moment un peu de déprime. Je travaillais 15 heures par jour dans des cuisines, on ne voyait pas la lumière du jour. J’ai voulu arrêter. Après deux mois, je ne savais pas quoi faire d’autre. Je me suis dit : si je m’y remets, j’y vais à fond. Avec comme objectif d’avoir un jour mon restaurant.
Vous avez travaillé avec Jamie Oliver qui vous appelait le Frenchie (nom donné aux restaurants de Grégory) car vous étiez le seul Français de son équipe. Que vous a-t-il transmis ?
Il m’a appris la cuisine décomplexée, tout l’inverse de ce que j’avais appris à l’école hôtelière en France. Je suis resté trois ans au restaurant Fifteen, dont le concept est d’accueillir 15 jeunes en difficulté sociale pour leur apprendre les bases de la cuisine et la manière de gérer un restaurant. Avec mon parcours personnel, cela me parlait beaucoup.
Un chef qui vous a inspiré ?
J’apprécie les chefs français qui travaillent à l’étranger. La plupart d’entre eux arrivent à reprendre les codes français en y ajoutant des influences métisses, à proposer une cuisine ouverte sur le monde comme le chef étoilé Jean-Georges Vongerichten avec qui j’ai eu la chance de collaborer. J’ai aussi été inspiré par Michael Anthony, chef de Gramercy Tavern à New York.
Un plat qui vous donne de l’émotion ?
Cela dépend des moments, de l’endroit et des personnes avec qui je suis. En hiver, j’aime les plats réconfortants, type poulet en cocotte. L’été, sur une plage, plutôt des sardines grillées.
« Je suis à la fois un chef d'entreprise et le directeur artistique de mes établissements »
Comment avez-vous rencontré les fondateurs d’Experimental Group ?
Ils étaient clients de mon restaurant Frenchie à Paris. Nous avons tout de suite sympathisé car nous avons la même vision de la gastronomie et de l’hôtellerie. Nous aimons casser les codes. Proposer le meilleur tout en restant accessibles au niveau des prix.
En 2019, le restaurant Frenchie Paris reçoit une étoile Michelin dix ans après son ouverture. Vous l’attendiez depuis longtemps ?
Au début non. Ensuite, je voyais notre niveau augmenter et je ne comprenais pas pourquoi le guide récompensait des bouis-bouis à l’étranger mais pas nous. Sans compter que nous avions refait sur mesure tout le restaurant avec des objets chinés. Au-delà de l’assiette, nous proposions une véritable expérience chic, mais pas bling-bling.
Est-ce que cette étoile a changé quelque chose pour vous et vos employés ?
Cela m’a permis d’avoir des opportunités à l’étranger. C’est aussi une reconnaissance de nos pairs, ce qui est important pour moi car j’ai fait – comme d’autres – beaucoup de sacrifices pour ce métier.
Etes-vous, justement, encore passionné par ce métier ?
Bien sûr, même si je ne suis plus autant en cuisine qu’auparavant. Je suis à la fois un chef d’entreprise et le directeur artistique de mes établissements. J’ai cent personnes à gérer, des restaurants dans plusieurs pays. Je suis moins dans l’opérationnel.
Comment avez-vous traversé la période de pandémie ?
Bizarrement, j’ai adoré cette période. Nous avions une équipe réduite, pas de pression financière. Nous avons proposé un service traiteur et de la vente à emporter (Frenchie at home). Nous faisions aussi à manger pour les hôpitaux et le restaurant solidaire Le Refettorio. En revanche, quand nous avons rouvert les restaurants, c’était très compliqué. Nous avons eu beaucoup de turn-over et à nouveau une grosse pression financière. Je me suis posé beaucoup de questions. Nous avons restructuré l’entreprise, reconstruit les équipes et fait une levée de fonds pour mieux repartir en 2023.
Quels sont vos projets pour cette année ?
Nous allons transformer le Frenchie to go en restaurant méditerranéen avec à la carte des pâtes fraîches, des antipasti et des légumes de notre ferme qui se trouve à quelques kilomètres de Paris.
Où vous voyez-vous dans vingt ans ?
J’aimerais vivre six mois par année dans le nord d’Ibiza et six mois à voyager.
Fondé en 2007, le Groupe Experimental possède une dizaine d’hôtels et restaurants à travers le monde. L’entreprise est présente à Verbier avec l’Experimental Chalet et ouvrira cette année un hôtel 4 étoiles à Saint-Moritz (GR).