Habitat pour seniors: se réinventer pour anticiper
Pris au sérieux par tous types d’acteurs (autorités communales, régies immobilières et professionnels de santé), le vieillissement de la population se veut préoccupant. La 2e édition des «Rencontres de la Silver économie» organisée par la ville d’Onex (GE) a permis d’aborder les diverses solutions qui s’offrent à nous.

Lorsque l’on s’attarde quelques instants sur l’évolution de la population suisse, les statistiques s’affolent. Nul besoin d’être devin pour imaginer la suite car c’est un fait inévitable: nous prenons un coup de vieux. Le canton de Genève, particulièrement touché par ce phénomène, devrait d’ailleurs passer le cap des 140’000 résidents seniors à l’horizon 2050, tandis qu’il frôle pour l’heure les 87’000 personnes. Alors, à l’image de la période de baby-boom d’après-guerre, où le pays avait dû adapter ses infrastructures, construire urgemment des écoles, des places de jeux, des logements pour familles et des unités pédiatriques, l’explosion de la tranche des 65 ans et plus impose le changement. Si bien qu’Onex, commune genevoise d’une densité de 6748 habitants au km2, très active sur ces questions, a organisé fin octobre la 2e édition des «Rencontres de la Silver économie» afin de discuter du futur de l’habitat senior. Voici ce qu’il fallait retenir.
Un nouvel ordinaire en commun

Premier à entrer en matière, Jose Antonio Garcia Carrera, architecte et membre de la commission Habitat seniors, a tenu à rappeler un point important: «Aujourd’hui à Genève, en termes d’offre spécifique, il existe 4150 lits en EMS et 1700 places en IEPA (immeubles avec encadrement pour personnes âgées). Autant dire que la grande majorité des aînés vivent dans des logements ordinaires.» Or, avec le passage d’une société de 3 à 4 générations, la démo-graphie galopante et seulement 7% des lieux d’habitation construits en Suisse qui sont jugés «accessibles» donc sans obstacles, il s’avère nécessaire de transformer rapidement l’existant.
«Tout comme nous le faisons avec la crise climatique, qui demande de gros investissements pour améliorer la durabilité des bâtiments, nous devons prendre conscience de cette autre mutation qui aura elle aussi un coût à absorber et nous oblige à passer à l’acte», souligne Jose Antonio Garcia Carrera. Pour cela, l’expert assure qu’il faut repenser les logements classiques, non pas en espaces uniquement dédiés aux aînés, mais bel et bien en lieux flexibles pour l’entièreté du parcours de vie, afin qu’ils puissent accueillir tout un chacun. De l’étudiant à petit budget à la jeune famille avec sa poussette, en passant par le quadragénaire qui s’est cassé la jambe ou le retraité devenu moins mobile. «Il faut une approche universelle car si l’on rénove tout uniquement pour les seniors, nous ne sommes pas à l’abri d’une autre évolution sociétale dans vingt ans qui demandera à nouveau du changement», conclut-il.
Les promoteurs se mettent en route
Consciente du manque criant de toits accessibles (à tous points de vue) pour les personnes âgées, la régie Comptoir Immobilier et ses 400 employés a choisi quant à elle de prendre le virage en marche. Et ce, en accompagnant des promoteurs dans la construction de résidences pour seniors. Autrement dit: des immeubles pensés pour des personnes à mobilité réduite, sans barrières architecturales (seuils, baignoires, ascenseurs, etc.) mais dotés de parties communautaires (cafétéria, salle polyvalente, espace extérieur, etc.) et de services (réception de colis, animations, sécurité, cabinets médicaux, etc.). «Nous mettons également à disposition un référent social qui gère la résidence de l’intérieur et assure la liaison avec l’extérieur (propriétaire, autorités, services d’urgences)», précise Olivier Carrard, membre de la direction du Comptoir Immobilier.
Une gestion déjà concrète sur ce marché de niche qui s’observe notamment à Etoy, avec 58 logements réalisés à travers la résidence Honolulu, et à Pully, grâce à 35 appartements dans la résidence Linea. «Ces deux exemples nous ont demandé une autre approche en tant que régie. Il a fallu établir un budget de fonctionnement du lieu pour fixer la cotisation que paiera l’utilisateur en plus de son loyer (généralement entre 150 et 250 CHF par mois). En ce qui concerne le droit du bail, il est standard mais nous avons dû nous prémunir de résiliations extraordinaires qui sont plus fréquentes avec les seniors (en cas de départ en EMS ou de décès). Une liste d’attente sans cesse mise à jour de locataires éligibles a donc été instaurée», ajoute-t-il. Bien que ce ne soit qu’un début, ce type d’initiatives fait néanmoins bouger quelques lignes et montre l’engagement croissant du privé qui doit se contenter habituellement de maigres possibilités foncières à Genève mais qui voit là aussi un moyen de faciliter l’obtention d’autorisations de construire qui ne seraient pas accordées autrement selon le spécialiste. Une opportunité donc...
Tout miser sur la proximité

... Et un bon signal d’après Marie Da Roxa, directrice générale de l’IMAD (Institution genevoise de maintien à domicile) mais faut-il encore dépasser le paradoxe sociétal auquel nous faisons face. Elle s’explique: «Le concept d’habitat senior repose surtout sur une logique communautaire sauf que nous sommes tous de plus en plus individualistes. Les aînés eux-mêmes recherchent plus d’autonomie qu’autrefois et leur âge avançant, se voient perdre peu à peu leur réseau primaire de proches-aidants. Nous allons donc devoir être créatifs dans nos solutions face à ce dilemme.» Les nombreux critères architecturaux qu’un logement adapté aux seniors infligent, s’ajoutent alors à ceux de proximité avec des commerces, des transports, des activités, mais aussi d’une prise en compte des attentes de la population de seniors qui est de surcroît très hétérogène (ceux de 65 ans ayant des besoins différents de ceux de 80 ans).
Ajoutons à cela que tout ce qui sera entrepris aujourd’hui à l’échelle d’un bâtiment ou d’un quartier finira potentiellement par être inadéquat quelques décennies plus tard, le défi est de taille. «En effet, l’image territoriale de Genève n’est pas fixe. Prenons le cas de la commune d’Avully, où un grand nombre de familles se sont établies dans les années 60-70 et des barres de logements se sont érigées pour finalement se retrouver à présent, une fois les enfants partis de la maison, avec des appartements presque vides et tout un village qui n’a pas les services ou infrastructures à proximité. Ce qui retombe ensuite sur notre système de prise en charge à domicile», déclare la directrice de l’IMAD.
L’EMS à domicile, c’est possible
Sur la même longueur d’onde, le président d’Arsanté et médecin généraliste Philippe Schaller aspire à un idéal qui s’appuie justement sur ce fameux tissu de proximité: l’EMS à domicile. «D’une part, les seniors préfèrent rester chez eux, quitte à prendre des risques. D’autre part, les alternatives d’habitats que nous mettons en place pour le moment sont soit pleines à craquer, soit stigmatisantes, soit trop chères. Alors au lieu de s’échiner à rénover les appartements un à un pour sécuriser nos aînés, voyons grand», souligne le docteur. Plus concrètement, ce dernier envisage de créer une communauté au sein d’un grand ensemble tel que le Lignon (GE) pour mutualiser des services qu’un EMS pourrait fournir, tout en restant chez soi.
Pourquoi le Lignon? «car c’est un quartier immense, homogène, avec une masse critique suffisante et dense comme Manhattan, des unités sociales, une maison de santé, de l’animation, une antenne de l’IMAD et toutes sortes de commerces à quelques pas des logements. Cette cité pourrait ainsi servir de laboratoire expérimental pour notre projet d’EMS à domicile mais, pour cela, il faudrait déconstruire la croyance généralisée que l’institutionnalisation est le seul moyen d’assurer une certaine sécurité aux personnes âgées», commente-t-il. Une institutionnalisation qui coûte cher au canton par ailleurs puisque 300’000 francs sont déboursés à la création de chaque place en EMS, puis 100’000 francs à l’exploitation. Alors à l’heure où notre système de santé se repense complètement, à voir si cette alternative prometteuse fera son bonhomme de chemin d’ici 2050...
Les Journées suisses du logement font écho
Le 7 novembre dernier, les Journées suisses du logement qui se déroulaient à Fribourg cette année ont consacré leur événement phare (la journée de séminaires) à l’enjeu d’habitat pour toutes les générations. Tout au long de la manifestation, des professionnels du secteur se sont succédé pour débattre entre autres des difficultés vécues par les femmes baby-boomers vivant seules, de la cohabitation singulière des jeunes-aînés, du futur de l’habitat, de l’offre exemplaire de logements pour personnes âgées à Neuchâtel et du cas fribourgeois, beaucoup avancé sur le sujet.
