Herzog & de Meuron, le refus d’un style prédéfini
Chaque mois, immobilier.ch vous propose le portait d’architectes qui font rayonner la Suisse à l’étranger. Retour sur le parcours d’un duo emblématique encensé pour la diversité de ses réalisations.

Il y a eu d’abord le style Art Déco, puis le déconstructivisme ou encore plus récemment l’architecture durable…une série de mouvements parmi tant d’autres qui ont marqué au fer rouge le vaste champ de l’architecture. Avec eux, des noms ont su émerger et surfer sur ces vagues de modes au fil du temps. Malgré tout, un duo de bâlois a quant à lui su s’affranchir de ces codes et développer sa réputation au-delà des frontières suisses sans « style-signature » reconnaissable. Herzog & de Meuron, les deux têtes d’affiche de l’agence d’architecture qui porte leurs noms, n’ont en effet plus rien à prouver aujourd’hui grâce à une approche novatrice de la conception de bâtiments qu’ils apportent à chaque projet et qui se suffit d’elle-même. Portrait de ce duo faisant partie de l’élite mondiale de l’architecture contemporaine.
Des compagnons de route Bâlois
Tout commence à Bâle, en 1950, quand Jacques Herzog et Pierre de Meuron naissent à trois semaines d’intervalles et quelques enjambées. Fait d’un heureux hasard, les deux hommes suivent ensuite le même parcours, des bancs de l’école primaire jusqu’à la fin de leurs études à l’école polytechnique de Zurich (ETHZ), ce qui scelle à tout jamais une amitié de plusieurs décennies qui les poussera en 1978 à fonder ensemble leur propre cabinet d’architecture indépendant. Si au départ leur travail sur des villas privées attire l’attention, c’est surtout sur des chantiers bâlois que le tandem se met à briller. Sur l’Entrepôt de Stockage Ricola à Laufon en 1986 ainsi que le poste d’aiguillage Auf dem Wolf de la gare de Bâle entre 1991 et 1994.
Le décollage à l’international se fera seulement après leur victoire à Londres, en 1995, lors du concours pour le réaménagement de l’ancienne usine électrique de Bankside, future Tate Modern. Pour la réalisation d’un bâtiment d’une telle envergure (34'000 m2), la jeunesse et le minimalisme affichés à l’époque par Herzog & de Meuron fait la différence. Et ce, même auprès du public, puisque l’inauguration de la tour en 2000 permettra notamment de redynamiser le quartier de Southwark.
Dès lors, le duo poursuit son cheminement et démontre une diversité de talents au travers de grands chantiers tels que l’Allianz Arena de Munich (2001-2005), qu’ils remportent en concours en proposant une illumination extérieure de la structure avec des volumes impressionnants. Peu de temps après, les deux architectes gagnent un autre concours de choix, celui du stade national de Pékin, destiné aux Jeux Olympiques de 2008. Surnommé le « Nid d’oiseau » en raison de sa structure porteuse externe en acier, cette œuvre deviendra ensuite une forme iconique et emblématique du pays. En parallèle des infrastructures sportives, les architectes se démarquent également par des œuvres culturelles comme à Madrid, le CaixaForum ou à Colmar le Musée Unterlinden. Dans ces cas comme ailleurs, le duo arrive à créer des bâtiments très contemporains tout en respectant le passé, une prouesse qui n’est pas à la portée de tous.

Herzog & de Meuron, plutôt qu’une approche stylistique, s’impose alors en Suisse comme à l’étranger grâce à la surprise architecturale qui leur est propre. Inventif, moderne, esthétique, décalé et parfois provocant, le travail de ces deux hommes se veut indéfinissable. Si ce n’est par l’expression « passionnément infidèle » comme aime le dire Jacques Herzog.
Parmi les plus belles récompenses
Une singularité qui leur vaudra la reconnaissance de tous. Avec une vision qui s’échappe des carcans architecturaux, l’agence apporte déjà à la fin du siècle dernier une vision contemporaine en faisant de chacun de ses projets une nouveauté et en offrant une totale émancipation par rapport à ses précédentes conceptions. « Nous avons toujours évité de développer un style. Nous cherchons plutôt un langage spécifique
à chaque lieu », précise régulièrement Jacques Herzog. Lauréats du Prix Pritzker en 2001, distinction suprême de la profession, les deux compères de toujours sont les premiers suisses à remporter ce Nobel de l’architecture. A l’époque, le jury loue leurs traitements et leurs techniques novateurs des matériaux et des surfaces. Le RIBA Royal Gold Medal en 2007 et le Praemium Imperiale en 2007, viendront élargir leur palmarès et asseoir leur notoriété.

A l’image plus tard de l’Elbphilharmonie, construit à Hambourg et livré en 2017, ouvrage qui mettra en évidence le contraste de matières qui caractérise le travail d’Herzog & de Meuron et qui témoigne du retour de l’ornement en architecture. Une technique décriée et oubliée qui aura cependant fortement contribué à la réputation du duo bâlois. Une renommée qui traverse aussi les continents puisque leur talent sera demandé jusqu’aux États-Unis, pour l’extension du Walker Art Center de Minneapolis ou encore le Perez Art Museum mais surtout pour le 56, Leonard Street à New-York. Immense tour de 243 mètres, ses 57 étages d’appartements sont empilés et conçus comme uniques grâce à des variations d’angles, telle une accumulation de pixels. Au cœur d’une ville faite de tours toutes identiques, les deux architectes suisses réussissent alors à innover.
Dès 1994, ils sont invités en tant que professeurs à l’Université de Harvard et titulaires d’une chaire à l’ETH de Zurich, où ils créent le ETH Studio Basel, institut pour la ville contemporaine. Aujourd’hui à la tête d’une agence employant des centaines d’employés et disposant d’antennes aux quatre coins du globe, les deux bâlois font figure d’exemple dans la profession.
Une réputation toujours aussi solide
En Suisse, la région bâloise réunit un grand nombre de leurs réalisations et témoigne de cette reconnaissance: le stade Saint-Jacques, un laboratoire pour Novartis, un autre pour Roche, le Schaulager à Münchenstein et un lieu d’exposition conçu comme un entrepôt d’art. Outre la deuxième tour Roche, Herzog & de Meuron se sont d’ailleurs illustrés plus récemment en 2017, pour la construction du nouveau siège à Bellevue (Genève) du groupe Lombard Odier. Désignés à l’unanimité lauréats du concours, « ils ont imaginé un bâtiment d’avant-garde, symbole de la banque de demain », avait souligné le commanditaire à l’époque. Plus détonnant encore, les deux hommes ont pensé une œuvre au sommet du Titlis, dans les Alpes uranaises. La station qui ressemble à un glaçon plat poussant hors de la montagne est un projet devisé à 100 millions de francs. Du jamais vu.
Preuve, s’il en fallait une, que les deux amis d’enfance ont imposé non pas un style mais une marque de fabrique, celle de l’inventivité sans jamais se répéter, et ce, jusque dans des lieux insolites. Le prochain coup de maître ? Les travaux de la Tour Triangle à Paris qui ont démarré en février. Ce projet de gratte-ciel, premier du genre depuis la Tour Montparnasse, sur le site de la porte de Versailles avait été d’abord lancé en 2011, rejeté en 2014 puis relancé en 2015 mais suscite toujours autant la polémique. Du haut de ses 180 mètres, ce chantier monumental à la hauteur de ces deux grands architectes devrait prendre fin début 2026.