Il peint les décors d'opéras et donne du rêve
Les décors du Grand Théâtre sont réalisés dans une immense halle à Vernier où six peintres décorateurs exercent un métier aussi passionnant que la dimension de leurs oeuvres. Rencontre avec Christophe Ryser.
La halle Verntissa, située à Vernier, abrite une équipe d’artisans appartenant à différents corps de métiers. L’on pourrait même écrire d’artistes qui agissent avec talent pour concevoir, puis donner vie aux superbes décors qui font effectivement partie intégrante des représentations du Grand Théâtre de Genève (GTG) et qui jouent un rôle de tout premier plan à l’origine de l’ambiance du spectacle. L’équipe des peintres décorateurs compte en moyenne six personnes et elle est animée par Fabrice Carmona.
Christophe Ryser, que nous avons eu l’opportunité de rencontrer, est une personne posée et il reflète une véritable force tranquille. Après des études aux Arts déco de Genève, le jeune homme déjà passionné à la fois par le dessin et le monde du spectacle, s’intéresse très rapidement au théâtre et rejoint le GTG dans la deuxième partie des années 1980. Il nous parle avec enthousiasme de cette merveilleuse fabrique de rêves.
Travail passion...
L’artiste nous apprend que le peintre décorateur reçoit du ou de la scénographe une maquette très précise, parfois également des photos, qu’il est ensuite chargé de reproduire en grande dimension. Certaines toiles peintes peuvent ainsi mesurer plus de 20 mètres de long. Et la réalisation d’une telle œuvre prend souvent plusieurs mois et nécessite l’intervention de différents peintres décorateurs. Il s’agit d’un véritable projet dont il faut gérer les principales étapes avec maestria. Comment procède-t-on? Il y a d’abord une phase de préparation consistant à parfaitement comprendre les caractéristiques de la maquette, à saisir les attentes exprimées dans ce document, puis à en étudier la faisabilité, y compris les principales contraintes techniques. Vient ensuite la réalisation avec la préparation du support et le choix approprié des couleurs. «On étale une toile vierge au sol, explique Christophe Ryser. Celle-ci est imprégnée avec une peinture composée d’un pigment à l’eau. Puis un quadrillage est réalisé, avec des fils tendus sur la toile. La reproduction en grand de la maquette peut alors commencer. Cette technique de la mise aux carreaux était déjà celle adoptée par les peintres de la Renaissance pour la composition d’œuvres de grande taille comme les fresques murales.»
«La mise en place des motifs, la création des silhouettes ou des paysages constitue un moment clef dans la réalisation du décor, poursuit le peintre décorateur. Je dois faire en sorte que la toile donne par exemple au spectateur l’illusion parfaite d’un paysage et le respect de la justesse des proportions est fondamental.»
Ce qui m'enthousiasme dans ce métier, aujourd'hui comme au premier jour, c'est la création perpétuelle
... et physique
Le travail est très physique et s’effectue debout, avec un immense pinceau. Il en existe d’ailleurs de plusieurs sortes. Christophe Ryser passe plusieurs couches successives pour faire ressortir les couleurs. Souvent de six à douze couches sont nécessaires et parfois jusqu’à vingt, ce qui renforce encore la qualité de l’effet pictural. «Les dimensions des décors constituent pour moi un formidable défi que je relève chaque fois avec grand plaisir, affirme l’artiste. J’ai un jour été amené à réaliser un ciel de 30 mètres sur 13! Ce qui m’enthousiasme dans ce métier, aujourd’hui comme au premier jour, c’est la création perpétuelle.» Il précise également apprécier chaque jour cette redécouverte permanente à l’origine de nouveaux décors, ainsi que cette remise en question créatrice: «J’aime à la fois retranscrire l’idée du scénographe, puis interpréter et créer.»
Les dimensions des décors constituent pour moi un formidable défi que je relève chaque fois avec grand plaisir
A notre question de savoir ce qui l’a le plus passionné parmi les nombreux décors qu’il a été amené à réaliser, Christophe Ryser hésite, car, dit-il, l’acte de création convient à sa personnalité. A notre question de savoir quels décors l’ont le plus interpelé, il nous avoue à demi-mots que ceux réalisés pour l’opéra «Faust», dans les années 1990, l’ont véritablement transporté. L’artiste adore transmettre ce savoir qui permet à la fois de donner de la perspective et du rêve.
Que deviennent ces décors une fois les représentations effectuées? Certains sont revendus ou loués, ce qui est logique, car l’investissement consacré à leur réalisation peut être important. Si l’on songe que pour faire les sculptures et peintures du décor des «Indes galantes» de Jean-Philippe Rameau, pas moins de neuf peintres décorateurs sont intervenus pendant trois mois, sans compter les autres artisans qui ont participé à la construction du projet. Alphonse de Lamartine écrivait que «pour tout peindre, il faut tout sentir». Ces quelques mots s’adaptent parfaitement au métier de peintre décorateur.