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Immobilier: où va-t-on?

Chahuté de tous les côtés, le monde immobilier se dirige tout droit vers de nouvelles normes et des habitudes repensées. Le Congrès CIFI 2023 a permis d’y voir plus clair en décryptant la situation actuelle et à venir.

Le 3e Congrès du CIFI s'est déroulé le 20 novembre à Lausanne avec un panel d'experts immobiliers
Le 3e Congrès du CIFI s'est déroulé le 20 novembre à Lausanne avec un panel d'experts immobiliers - Copyright (c) Adobe Stock - CIFI
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Le point noir qui préoccupe en ce moment les milieux immobiliers et politiques n’est autre que la pénurie de logements. Lors du Congrès immobilier et financier CIFI 2023, organisé à Lausanne début novembre, le directeur de la Chambre immobilière vaudoise (également conseiller national), Olivier Feller, s’est chargé d’exposer les pistes de réflexions concernant cette problématique.

Aucune solution miracle

Pour rappeler les faits, le taux de logements vacants qui avait augmenté pendant plusieurs années, a finalement pris un virage dès 2020, amorçant un recul marqué jusqu’à dévisser aujourd’hui à 1,15%. Étant donné que l’équilibre entre l’offre et la demande de logements est situé à 1,5%, la Suisse semble bel et bien être entrée aujourd’hui dans une phase de pénurie.

Mais d’où vient-elle? «Tout d’abord, de la demande puisqu’il y a une forte croissance démographique, d’immigration, et un rétrécissement de la taille des ménages avec de plus en plus de personnes vivant seules. Mais il est difficile d’agir sur cet axe», décrit Olivier Feller. En effet, dans les mesures potentielles pour inverser la tendance, les leviers manquent à l’appel. «Nous ne pouvons pas inter- dire les divorces, nous pourrions limiter l’augmentation de la population mais en même temps les milieux économiques se plaignent déjà assez de la rareté de la main-d’œuvre (nous allons d’ailleurs prochainement voter sur cet enjeu). Nous pourrions essayer de limiter le nombre de m2 par personne pour les logements bien qu’en pratique, cela ne soit pas évident», liste l’homme politique.

Rien de convaincant pour l’instant donc. Autrement, il reste l’offre comme l’indique Olivier Feller, ou plus précisément la possibilité d’agir via la Loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT). Acceptée en votation populaire en 2013, cette dernière poursuit deux objectifs: d’un côté préserver la nature et les paysages, donc réduire les zones à bâtir, de l’autre, densifier les zones déjà construites, en agglomération. «Le problème c’est qu’au fond, la limitation des zones à bâtir est obligatoire, assortie de sanctions, alors que la densification est une volonté purement déclamatoire», relève le spécialiste. Un décalage qui laisse la porte ouverte au peuple, désireux de préserver la nature mais aussi son paysage urbain. Si bien que les étant la seule option) se voient désormais confrontés à des oppositions, en justice ou aux urnes... «Il n’y a pas de solution miracle pour le moment. On peut toutefois essayer d’assouplir cette LAT, de réduire les limitations de zones à bâtir, de restreindre les recours ou encore d’accélérer les procédures» selon Olivier Feller. Un tas de réformes sur lesquelles la prochaine législature devra se pencher, et vite.

Les Suisses vont toujours plus loin

Roxanne Montagner, responsable Suisse romande au CIFIdiaporama
Roxanne Montagner, responsable Suisse romande au CIFI

D’autant qu’au vu de la situation, Genève a déjà le km2 le plus peuplé de Suisse, avec un peu moins de 30’000 habitants au km2. Et comme l’a démontré le CIFI dans ses analyses, les Helvètes sont attirés par les centres. «Si l’on regarde où habitent les Romands aujourd’hui, on voit que c’est principalement en Ville de Genève ou dans l’agglomération lausannoise, là où il y a des pôles d’emplois», commente Roxane Montagner, responsable Suisse romande au CIFI.

Seul hic, l’immigration en Suisse est à 80% composée d’Européens dotés majoritairement de formations tertiaires, au salaire médian plus élevé que celui de la Suisse et habitués à consacrer une plus grande partie de leur revenu au logement (20% contre 15% pour les Suisses). Ces nouveaux arrivants vont ainsi chercher eux aussi des logements confortables et exercer une pression sur les loyers, ajoutant une contrainte de plus à celles déjà présentes que sont l’inflation et la hausse des taux d’intérêts.

De quoi provoquer un exode de la population résidente suisse qui se déplace peu à peu vers les périphéries, dans des régions comme Fribourg, où les loyers et prix d’achat sont plus abordables. «L’évolution globale sur dix ans de districts comme Fribourg ou le Gros- de-Vaud affiche un gain de population important. +25% dans la Broye, soit un quart du nombre d’habitants en plus cette dernière décennie», relate Roxane Montagner.

On peut de ce fait s’attendre, selon le CIFI, à une augmentation conjointe de résidents tant dans les grands centres que dans les périphéries, ce qui implique qu’il faudra plus que jamais construire et densifier intelligemment.

Une falaise de l’investissement

Autre élément perturbateur dans le paysage immobilier: la transition écologique. Un avenir plus vert qu’il s’agit de dessiner à coups de rénovations et de réemploi des matériaux (entre autres). Néanmoins, le temps file et l’ingénieur en énergie Marc Muller, a profité de ce Congrès pour remettre les pendules des acteurs à l’heure. «Le protocole de Kyoto date de près de 30 ans, or les autorités ayant tardé à instaurer de réelles mesures contraignantes et des lois claires, les travaux des portefeuilles immobiliers en fin de vie ont été re- poussés et aujourd’hui, nous nous re- trouvons face à une falaise de l’investissement qu’il faut gravir tous ensemble. Ne plus attendre car se posera alors la question de la main-d’œuvre», a appuyé Marc Muller.

Pour exemplifier ses propos, il évalue le coût de rénovations profondes dans un immeuble bien entretenu (sans problèmes structurels, de conduites d’eau etc.) à un montant situé entre 50'000 et 70'000 francs l’appartement alors que si l’entretien n’a pas été effectué et qu’il y a rattrapage, la facture se monte à 100’000 voire 140’000 francs l’appartement. «Souvent, pour 1 franc dépensé dans la transition, il y a 2 à 3 francs déclenchés par un entretien non réalisé qu’on a délaissé au fil des années», renchérit l’expert.