L’intelligence artificielle va-t-elle tout chambouler?
L’immobilier est confronté aux nouveaux outils générés par l’intelligence artificielle (IA). Entre mutations en profondeur et gadgets stériles, les professionnels s’interrogent.

L’exploitation de bases de données à la fois de plus en plus vastes et documentées semble annoncer un avenir radieux pour le «Digital Real Estate». Véritable couteau suisse, l’IA ouvre en effet des possibilités qui, pour certains, relèvent encore de la science-fiction. Mais à quel point ces instruments sont-ils utiles et fiables? Face à des innovations aussi soudaines, l’exemple récent des turbulences du Bitcoin incite à une certaine prudence.
«N’oublions pas que l’analyse digitale fonctionne depuis déjà 10 ans sur certaines. Le potentiel est considérable dans la branche, mais comme pour chaque nouvelle technologie, nous nous basons sur des courbes expectatives: à des pics de progression peuvent succéder des phases de stagnation», modère Stéphane Maye qui est le directeur de pom+ à Lausanne. Ce spin-off de l’ETH de Zurich est spécialisé dans le conseil stratégique et technologique auprès de sociétés de types variés, dont l’immobilier. La dernière étude «Digital Real Estate» qu’elle a pilotée a précisément mis en lumière un ralentissement au niveau de l’essor de l’IA dans ce domaine. Un besoin en formation des professionnels se manifeste notamment.
Quelles utilisations?
Dans les faits, tous les instruments reposant sur l’IA n’affichent pas des performances égales. Si la recherche d’un appartement grâce à un moteur de ce type se révèle très efficace, demander à un générateur de contenus graphiques de vous dessiner les plans de votre future villa s’avère bien plus aléatoire. L’évaluation de la valeur des propriétés dans une région donnée n’apparaît pas toujours très précise non plus. Il en va de même pour les prédictions de l’évolution du marché dans un secteur prédéfini. Si la rédaction d’une annonce par l’IA pour mettre en vente un bien convainc, le recours à ce procédé pour créer une campagne marketing y parvient moins. «Même si elle ne remplacera jamais l’humain, l’IA compulse des milliers de listes en un temps record, ce qu’aucun agent immobilier ne réussira jamais à faire. En résumé, vous obtenez bien plus rapidement et d’une manière bien plus intuitive les informations qu’il vous faut», ajoute Stéphane Maye.
La fin des agences?
Quel que soit le degré de confiance qu’on lui accorde, il est indéniable que l’IA va faire évoluer le fonctionnement des agences immobilières. Mais l’apparition d’un super agent virtuel qui rendrait obsolète son équivalent humain est-elle pour autant réaliste? Des fonctions comme l’automation des courriers électroniques ou des rendez-vous avec les clients promettent beaucoup. En revanche, les visites virtuelles assistées par l’IA ne sont pas encore en mesure de se substituer à l’expérience in situ.
Plusieurs innovations sont annoncées, comme la finalisation de contrats avec signature électronique. La domotique (de multiples objets connectés colonisent déjà nos maisons) offre, de son côté, de vraies options au niveau de la gestion des biens. En l’absence des propriétaires, on peut très bien imaginer qu’un logiciel ayant détecté une fuite d’eau contactera bientôt de façon autonome une entreprise locale pour planifier des travaux.
Alors, rêve ou cauchemar?
Parmi les évolutions qui auront une utilité évidente, on mentionnera l’évaluation du risque lié à un acquéreur potentiel, l’assistance pour la recherche d’investisseurs en vue d’un programme de construction ou la généralisation de chatbots hyperréalistes (ces agents virtuels de conversation émergent à peine sur les sites des agences) qui répondront aux requêtes des prospects 24 heures sur 24 et sept jours sur sept.
«Certains acteurs de l’immobilier se montrent frileux. Depuis huit ans, l’étude que nous publions prouve pourtant l’efficacité croissante de l’IA dans la gestion de leurs affaires. Les progrès à ce niveau sont constants. Nous estimons que, dans cinq à dix ans, le fonctionnement de l’IA sera parvenu à maturité», conclut Stéphane Maye. Mais dans l’attente de cet avènement, les professionnels conserveront leur plein rôle sur le terrain.
Déjà sur le marché
Si certains résistent à ces mutations, d’autres en tirent profit. Résultat, la Suisse voit émerger de plus en plus de jeunes pousses qui exploitent des créneaux inédits du «proptech» (ce mot-valise anglo-saxon agrège les termes «property» et «technology» afin de désigner la digitalisation de l’immobilier). Dans notre pays, leur nombre approcherait, voire dépasserait les 400, selon les sources. Trois start-up proptech ont d’ailleurs été distinguées par le dernier TOP 100 Swiss Startup Award.
Couronné numéro un de sa catégorie, Properti utilise des instruments avancés, comme la «Propchain» (développée à l’interne), qui rendent les processus de gestion immobilière plus efficaces et plus conviviaux.
Parmi les autres lauréats, on trouve FenX qui a mis au point une technologie pour produire une mousse isolante très poreuse à partir de matières premières secondaires, telles que des cendres et des déchets minéraux.
Le logiciel en ligne d'Urbio, quant à lui, aide les fournisseurs d'énergie, les sociétés immobilières, de même que les consultants à planifier et à mettre en œuvre des projets de décarbonation.
En Suisse romande, Popety.io est un nom qui revient souvent dans l’univers du proptech. Implanté à Plan-les-Ouates, il s’est fait connaître grâce à son outil d'identification et d'analyse de parcelles à fort potentiel pour de futures constructions. Romande Énergie et la Vaudoise Assurances figurent parmi ses investisseurs. Dès 2020, la société avait remporté le premier prix du Real Estate & New Technology Award.