La course à la flexibilité est lancée
Pour sa 15e édition, l’Event Smart Energy qui s’est tenu fin août au Campus Energypolis de Sion, s’est penché sur une question cruciale: comment garantir la stabilité du système électrique dans un monde où les renouvelables prennent une place centrale?

Lancé en 2011, dans le sillage de la catastrophe nucléaire de Fukushima, l’Event Smart Energy s’est imposé comme un rendez-vous majeur pour les professionnels suisses de l’énergie. Cette édition anniversaire, qui s’est déroulée fin août à Sion, a donc offert une rétrospective des grandes évolutions du secteur, tout en projetant l’auditoire dans les défis à venir. Synthèse de ce qu’il fallait retenir.
Du règne fossile à la montée des renouvelables
Au début des années 2010, le paysage énergétique mondial était encore dominé par les énergies fossiles. Les investissements dans le renouvelable représentaient à peine un tiers de ceux consacrés au pétrole et au gaz, les prix de l’électricité étaient encore très bas, la pression économique quasi nulle et les gestionnaires de réseaux de distribution (GRD) évoluaient dans un environnement stable.
Un renversement en quinze ans
Depuis, le secteur a connu une transformation radicale. Les investissements dans le solaire et l’électrification ont dépassé ceux du fossile, bouleversant les équilibres du marché. La transition énergétique est passée en première ligne (800 milliards de dollars d’investissement en une année dans le monde) et cette bascule s’est accompagnée de fortes tensions: écarts de prix accrus (au sein d’une même journée), volatilité grandissante et montée de stress pour les acteurs de l’énergie.
Le système sous tension
Et cette mutation n’est pas sans revers. Le marché solaire, après une phase de croissance rapide, tend à ralentir (nous risquons de passer de 1800 à 1600 mégawatts installés par an), les programmes de décarbonation industrielle sont freinés par la pression économique, tandis que les GRD doivent absorber l’explosion des coûts liés au réglage et au renforcement des réseaux qui ont été multipliés par 10. Sachant que les derniers investissements massifs remontent à celui des centrales cycle combiné gaz de la fin des années 2000, l’investissement paraît aujourd’hui pharaonique. Par ailleurs, le modèle de l’autoconsommation, longtemps perçu comme un levier de la transition énergétique, montre à son tour ses limites, faisant peser des coûts très importants sur le réseau et sur la facture d’une partie des consommateurs.
Des acteurs bousculés

Dans ce contexte instable, les entreprises de la branche doivent se réinventer. La flexibilité, autrefois marginale, est devenue une composante maîtresse du système. Elle impose d’intégrer l’imprévisibilité des renouvelables dans nos facturations, dont 90% des coûts étaient jusqu’à lors prédictibles puisque l’on pouvait s’approvisionner à long terme avec des produits standards. À présent, la multiplication des producteurs de solaire demande de plus en plus d’ajustements à court terme et désécurise les GRD qui doivent développer urgemment de nouvelles solutions. Et ce, en recrutant du personnel informatique compétent qui fait pour l’heure défaut.
Vers un tsunami de changements
En attendant, les batteries de stockage apparaissent alors comme l’un des leviers les plus prometteurs pour absorber les pics de production solaire et stabiliser le réseau. En Suisse, déjà 42% des installations photovoltaïques en 2023 étaient couplées à une batterie. Mais leur généralisation suppose d’adapter les modèles de marché et de facturation. En complément, Romande Énergie mise pour le moment sur le déploiement de compteurs intelligents pour gagner en souplesse (80% ont déjà été installés sur la zone de desserte). Néanmoins, en plus d’une logistique de taille et d’un dispositif à remanier, il s’agit là de jongler avec la protection des données et une tarification dite «dynamique» qui s’avère très complexe à instaurer. À l’étranger, des initiatives inspirantes voient néanmoins le jour: des offres packagées liant véhicule électrique comme batterie de stockage et optimisation de la fourniture d’énergie en Grande-Bretagne (Octopus Energy), ou encore des fournisseurs nordiques proposant un accès direct au marché et à ses pics (Tibber).
La Chine en figure de proue
De son côté, en tant que symbole des paradoxes actuels, la Chine ouvre la voie aux autres pays. Bien qu’elle demeure pour l’heure le plus grand consommateur d’énergie du monde (notamment à cause de sa population de 1,4 milliard d’habitants et sa production à l’échelle planétaire), elle se veut toutefois moteur des innovations énergétiques. La Chine a d’ailleurs décidé d’atteindre le net zéro en 2060 et vise le plateau de sa consommation d’énergie courant 2030 avant d’amorcer une baisse drastique.
Pour cela, elle devient progressivement une véritable puissance nucléaire, mettant en service un réacteur par mois jusqu’en 2035. Elle a également initié au Tibet, en juillet dernier, la réalisation du plus important projet de construction hydraulique jamais tenté, dont la production d’énergie électrique prévue dès 2033 devrait être équivalente à celle que consomme la Grande-Bretagne. Une série d’avancées qui sont de bon augure pour la suite. D’autant que l’an dernier, la Chine a réussi à atteindre ses objectifs au niveau solaire et éolien avec six ans d’avance... La preuve que conjuguer ambitions climatiques et investissements massifs peut bel et bien déboucher sur des résultats concrets.
