Le château, siège du pouvoir en place

La plus vieille maison de Bulle

Construit au XIIIe siècle, le château de Bulle s’apprête à être rénové, ce qui permettra de découvrir plusieurs de ses pièces, jusqu’à présent fermées au public.

La rénovation du château sera menée par le bureau Aeby Aumann Emery Architectes.
La rénovation du château sera menée par le bureau Aeby Aumann Emery Architectes. - Copyright (c) Gilles Bourgarel
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Avec son donjon de 34 mètres de haut, son seul espace actuellement accessible aux visiteurs, le château de Bulle marque le paysage de sa commune. La forteresse a été bâtie entre 1289 et 1294 sur les ordres de l’évêque de Lausanne, Guillaume de Champvent, «afin de protéger son domaine, qui s’étendait notamment sur les actuels cantons de Neuchâtel et Fribourg, et d’y stocker les redevances payées en céréales, par exemple», explique Gilles Bourgarel, archéologue médiéviste à la retraite et ancien responsable du secteur médiéval du service archéologique du canton de Fribourg.

Le château s’inscrit dans la catégorie des carrés savoyards, définis par leur forme quadrangulaire flanquée d’une tour à chaque angle, dont une principale appelée donjon. «Celui de Bulle est de taille modeste. Mesurant 41 par 44 mètres et composé de tourelles, il s’agit d’un carré savoyard réduit.» Cette architecture a été développée par la maison de Savoie, ancienne dynastie européenne, afin de rendre les châteaux plus facilement défendables, les tours d’angles permettant de couvrir toutes les murailles.

Malgré une cheminée toujours présente aujourd’hui, le confort y était sommaire.diaporama
Malgré une cheminée toujours présente aujourd’hui, le confort y était sommaire.

Le donjon et la poterne:
la sécurité à l'ère médiévale

Le donjon est orienté en direction de la porte sud de la ville, de manière à la protéger en cas d’attaque. Isolée du reste des défenses et uniquement accessible par un pont-levis à 10 mètres de hauteur, la tour principale constituait le dernier refuge des habitants du bâtiment en cas de siège. Malgré une cheminée toujours présente aujourd’hui, le confort y était sommaire.

«La remarquable conservation du donjon a permis de connaître la date de construction du château. La majorité des planchers sont d’origine et permettent de suivre son évolution: chaque année entre 1289 et 1294, un étage supplémentaire a été ajouté à la tour», souligne le spécialiste de l’édifice. Les poutraisons y sont massives car, à l’époque, elles devaient supporter une chape de terre estimée à 50 centimètres d’épaisseur, utilisée comme pare-feu.

Le château de Bulle se situant sur une plaine, il n’était donc pas protégé par des défenses naturelles. Ainsi, afin de renforcer la sécurité du bâtiment, une douve de 17 mètres de large, alimentée en eau par la rivière de la Trème, avait été creusée tout autour. Aujourd’hui disparue, elle servait également à le préserver des incendies, fléau courant au Moyen Âge. À proximité du donjon se trouve une poterne, soit une porte secrète donnant sur le fossé, et un pont-levis à contre-poids «qui permet une ouverture et une fermeture rapide à la force d’une seule personne. Il s’agit d’un dispositif précurseur et très rare dans nos régions à cette époque.»

Poterne, porte secrète qui, à l’époque médiévale, donne sur une douve et est équipée d’un pont-levis.diaporama
Poterne, porte secrète qui, à l’époque médiévale, donne sur une douve et est équipée d’un pont-levis.

Des bâtiments représentatifs du pouvoir

La forteresse a toujours été le siège du gouvernement en place dans la région. Les évêques Guillaume de Champvent, Jean de Rossillon ou encore Guy de Prangins se sont succédé à sa tête jusqu’en 1537, année où elle devint la propriété des autorités fribourgeoises. «Afin de rendre le lieu plus confortable et d’étaler sa puissance, l’État de Fribourg consacre, entre 1763 et 1768, 37’000 livres -monnaie utilisée au Moyen Âge en Suisse- à sa transformation, une somme considérable comparativement aux montants dédiés à la rénovation des autres châteaux baillivaux», analyse Gilles Bourgarel. Remplacement des toitures et ouverture de nouvelles fenêtres dans les corps de logis, modification des niveaux des planchers dans les combles ainsi qu’au deuxième étage, et reconstruction des galeries côté cour, «des changements qui ont donné à la forteresse la silhouette qu’on lui connaît aujourd’hui».

C’est également au XVIIIe siècle qu’est créée la salle d’apparat, destinée à abriter des banquets et de grandes assemblées privées et officielles. On y trouve encore des stucs – enduits à usage décoratif – du célèbre stucateur Johann Jakob Moosbrugger, originaire du sud de l’Allemagne. «C’est une des plus belles créations que l’on a dans le canton de Fribourg dans ce domaine», précise l’archéologue médiéviste. Aujourd’hui, le château abrite la préfecture de la Gruyère et l’ancienne salle d’apparat a accueilli jusqu’en 2014 le Tribunal d’arrondissement.

Au cours des prochaines années, la forteresse de Bulle va bénéficier de nouvelles transformations estimées à 25 millions de francs, a annoncé l’État de Fribourg en 2021. Gilles Bourgarel, qui a participé à la préparation du concours du projet de rénovation, les voit comme une opportunité de plonger au cœur de l’histoire bulloise: «Elles permettront de redonner ses volumes anciens au bâtiment en supprimant les cloisons plus récentes et d’en apprendre davantage sur sa construction car, aujourd’hui, nous avons encore une vision très partielle de ce que contient le château.» Ces transformations permettront également au public de visiter cet édifice médiéval.