Bâtiment emblématique à Neuchâtel

La quatrième vie de l'Hôtel Bellevue

Sur les quais, à quelques pas du vieux port, au cœur de la ville et face au lac, l’ancien hôtel Bellevue, propriété depuis 1981 de la Caisse de pension de la fonction publique du canton de Neuchâtel, s’apprête à vivre sa dernière mue après une rénovation colossale entamée en mai 2020. Coût: quelque 10 millions de francs. Sa quatrième vie, entamée début août, sera celle d’une résidence de haut standing.

Image (virtuelle) de l’édifice restauré. L’immeuble était encore sous bâches en juin dernier.
Image (virtuelle) de l’édifice restauré. L’immeuble était encore sous bâches en juin dernier. - J.-B. Vuillème.

Ce grand cube emblématique conçu dans la seconde moitié du XIXe siècle par l’architecte Hans Rychner, auteur notamment du Temple Allemand de La Chaux-de-Fonds, abrite dorénavant 19 appartements sur cinq niveaux, lesquels s’ajoutent à deux couches de rez-de-chaussée destinées à recevoir des bureaux ou des cabinets de soins. L’offre va du 2,5 pièces (x1) au 5 ½ pièces en duplex (x2), en passant par quatre 4,5 pièces et douze 3,5 pièces. Les surfaces, proches des standards, mais plutôt généreuses, vont d’un peu plus de 70 m2 pour le 2,5 pièces à 158 m2 pour les deux 5,5 pièces en duplex.

L’hôtel Bellevue au temps où l’on y accédait par un majestueux portail ouvrant sur un jardin. Ils ont disparu en 1911 au profit d’un cinéma.
L’hôtel Bellevue au temps où l’on y accédait par un majestueux portail ouvrant sur un jardin. Ils ont disparu en 1911 au profit d’un cinéma.

Les Neuchâtelois contemporains, qui l’ont surtout fréquenté durant sa troisième vie, entre 1981 et 2016, celle d’un hôtel des impôts et autres bureaux de l’administration cantonale, ont gardé en mémoire la formidable béance centrale de ce bâtiment, ce gros carré vide, ceinturé d’une belle coursive, qu’était son ancien puits de lumière. Après bien des palabres en commission d’urbanisme, celui-ci n’a pas survécu à cette dernière mue. Finalement, il a été comblé, comme l’explique l’architecte mandaté Serge Grard, afin de disposer de davantage de surface habitable, les mètres carrés gagnés (quelque 25% du total) permettant de placer les salles de bains et commodités au cœur de l’immeuble, ainsi que deux ascenseurs, et de réserver les pourtours aux espaces de vie, autrement dit de ne pas gaspiller le gros atout panoramique de la résidence Bellevue. En revanche, le large escalier est non seulement préservé et remis en état, mais encore magnifié avec son garde-corps originel. Les murs porteurs intérieurs ont survécu à l’opération et le choix des planchers en bois sur la périphérie a été reconduit.

La loggia (encore en chantier en juin dernier), une manière originale d’habiter les angles.
La loggia (encore en chantier en juin dernier), une manière originale d’habiter les angles.

Loggias originales

Autre nouveauté, élégamment négociée, l’architecte a créé un niveau supplémentaire en duplex, le septième, coiffé d’un discret chapeau de toit. Cet étage abrite les appartements les plus aériens de l’édifice, avec vue plongeante sur le lac, sur le port ou sur la ville appuyée au contrefort du Jura. Sinon, les façades ont subi un lifting dans leur couleur connue avant la réfection, un jaune pâle faisant référence à la pierre d’Hauterive, le teint caractéristique de la cité. Les balcons d’origine, aux troisièmes et quatrièmes niveaux, ont été maintenus sur les faces sud et est de l’immeuble, dans le complet respect de leur visage de toujours. Les appartements non munis de balcons sont désormais dotés de loggias, créées dans les quatre angles du bâtiment, sauf au dernier niveau où les angles sont traités en terrasses ouvertes. Ces loggias constituent l ’une des originalités de la résidence; elles proposent un espace non chauffé, délimité par des baies vitrées coulissantes, entre intérieur et extérieur, qui peut être librement interprété par le locataire en jardin d’hiver, fumoir, coin de lecture ou petit coin « supplément-air », par exemple.

Deux ans d’une rénovation colossale à 10 millions de francs.
Deux ans d’une rénovation colossale à 10 millions de francs.

De l’air pour Dubied

La question de l’affectation de ce bâtiment s’est posée lorsque l’Etat de Neuchâtel a déménagé les services logés dans ses murs dès 2015. Sa caisse de pension prévoyait de le vendre et plusieurs promoteurs avaient manifesté leur intérêt, notamment en vue de le reconvertir en hôtel. Il semblerait que le succès de cette démarche ait finalement convaincu le propriétaire de ne pas se séparer d’un immeuble aussi convoité. L’Etat l’avait acquis pour 4,75 millions de francs en 1979 dans la double intention d’y loger des services, d’une part, et d’autre part de donner un peu d’oxygène à son propriétaire depuis 1920, l’entreprise Dubied, en difficulté, qui y logeait sa direction et y recevait sa clientèle internationale. Cet afflux de liquidités n’avait nullement freiné le déclin du leader mondial de la machine à tricoter sis dans le Val-de-Travers, un vrai fleuron de l’économie neuchâteloise ayant occupé jusqu’à 3000 collaborateurs, et dont la cessation d’activités en 1987, cent-vingt ans après sa fondation, ne constituait pas seulement un méchant revers pour le canton de Neuchâtel, mais encore un vrai drame social dans le Val-de-Travers.

L’impératrice et ses chevaux

La légende dorée de cet édifice emblématique ne vient ni de l’époque des directeurs de Dubied, ni de celle des fonctionnaires neuchâtelois, mais bien de sa première vie, quasi six décennies d’hôtellerie entre 1861 et 1920. L’arrivée du train promettait à ses débuts une période faste pour le tourisme naissant, alors réservé aux classes les plus aisées. Les 90 chambres et salons de l’hôtel Bellevue accueillaient des têtes couronnées, des célébrités et de riches touristes venus du monde entier, parmi lesquels le général Dufour, le conteur Andersen, la comédienne Sarah Bernhardt ou l’empereur Napoléon III et son épouse Eugénie. Les locataires d’aujourd’hui emprunteront des portions du même escalier, toucheront la même main courante. L’impératrice arrivait en train avec sa suite et ses chevaux. Un jour de 1865, descendant de la gare, les bêtes s’emballèrent, à la hauteur du collège des Terreaux, et la calèche d’Eugénie et de ses dames de compagnie se renversa. Il y eut plus que des bleus, quelques personnes seront assez sérieusement blessées. L’impératrice prolongea ainsi un peu son séjour à l’hôtel Bellevue, à son plus grand contentement, assure la chronique.