Patrimoine valaisan

La résurrection des mazots séculaires

Plusieurs fois centenaires, ils tombent parfois en ruine, mais une seconde vie attend leurs propriétaires. Rénover un mazot, c’est aussi de l’économie durable.

Rénover un mazot, c’est aussi de l’économie durable.
Rénover un mazot, c’est aussi de l’économie durable.
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«Là-haut sur la montagne, l’était un vieux chalet» répète la chanson de l’abbé Bovet. Ils sont des dizaines de milliers à survivre aux assauts du temps dans les alpes valaisannes, mais leurs jours sont comptés. Parmi eux, bien des mazots commencent à prendre du gite et, faute de cadastre, plus personne ne sait très bien à qui ils appartiennent, tant les successions ont multiplié les propriétaires.

S’ils abritaient encore au début du siècle passé des porcs, des chèvres et des moutons dans leur soubassement et du grain dans la partie supérieure protégée des souris par de grandes meules de pierre, ils font peut-être partie du paysage, mais restent inoccupés quand ils ne sont pas transformés en hangar de matériel. Avec quelques exceptions.

Fraîchement rénové, le mazot de Winkelmatten, sur les hauts de Zermatt, date de la période 1600 à 1726 selon les experts qui s’appuient sur d’autres exemples connus.diaporama
Fraîchement rénové, le mazot de Winkelmatten, sur les hauts de Zermatt, date de la période 1600 à 1726 selon les experts qui s’appuient sur d’autres exemples connus.

A Winkelmatten, sur les hauts de Zermatt, Patric Julen, 37 ans, a redonné vie à un mazot vieux de 300 à 400 ans: «Quand j’étais petit, je venais jouer avec mes copains dans ce mazot qui appartenait à mes aïeux, se souvient Patric Julen. Je suis heureux de me retrouver là sur mon terrain de jeu».

L’idée a germé il y a trois ans dans la tête du propriétaire, un ingénieur en automate qui a étudié à Sion. Il a fallu obtenir les autorisations qui ont pris plus d’un an. Les travaux ont pu commencer en mai 2022 pour se terminer en décembre. Il a fallu aussi construire de nouvelles bases, couplées à la construction d’un bâtiment de quatre étages, dont deux servent de domicile à cette branche de la famille Julen.

Depuis l’entrée en vigueur de la Lex Weber en 2016, Zermatt, qui a dépassé le seuil fatidique de 20% de résidences secondaires, peut construire uniquement des habitations pour des résidents permanents du pied du Cervin. Résultat des courses: les résidences principales sont deux fois moins chères que les résidences secondaires établies avant 2016.

Patric Julen a fait ses calculs: cinq propriétaires différents possédaient le mazot d’origine. Dont son père –un retraité des remontées mécaniques– qui en possédait les 25%: «Il a acquis les parts restantes pour 100’000 francs. Une offre d’achat pour un montant de 360’000 francs lui avait été proposée pour le mazot et le terrain, mais il y a renoncé, confie le jeune propriétaire. Au final, la rénovation a coûté plus d’un demi-million de francs.»

Pour déplacer le mazot sur ses nouvelles bases, il a fallu le découper en deux parties vu le poids de la structure.diaporama
Pour déplacer le mazot sur ses nouvelles bases, il a fallu le découper en deux parties vu le poids de la structure.

Avant de commencer les travaux, le mazot avait triste mine. Il menaçait de s’effondrer et il avait fallu lui mettre une béquille de soutien. A l’aide d’une grue, le mazot a été déplacé pour le repositionner sur des bases solides.

L’opération s’est faite en deux temps en mai dernier, vu les capacités de l’engin de chantier: «Nous avons pu garder la même hauteur et les distances réglementaires de 3 mètres du bord du terrain. Une partie du vieux bois d’origine a pu être intégrée dans la reconstruction». Il a fallu faire appel à des charpentiers de Zermatt, Basil et Urban Biner, pour retailler sur mesure les poutres de ce nouveau nid douillet.

Outre le bois de mélèze plusieurs fois centenaire, le chantier a pu réutiliser les grandes meules de pierre qui protégeaient le grain des souris.diaporama
Outre le bois de mélèze plusieurs fois centenaire, le chantier a pu réutiliser les grandes meules de pierre qui protégeaient le grain des souris.

Sur une surface plancher de 12 m2, le nouveau mazot abrite la salle de bain au premier étage, la cuisine ouverte et sa salle à manger au deuxième niveau, et la chambre à coucher à lit double au dernier étage, sous un grand Velux à commande électrique et juste sous les poutraisons, le tout relié par un escalier en colimaçon.

«Nous avons pu reprendre en grande partie les vieilles pierres plates du toit, seules 25% d’entre elles étaient inutilisables. Nous avons aussi pu reprendre les grandes meules typiques des mazots qui empêchaient les souris d’accéder à la partie grenier, se rappelle Patric qui rend hommage au travail de ses aïeux et à la longévité du bois de mélèze. Nous avons rajouté l’isolation de 12 à 30 cm d’épaisseur, l’eau courante, l’électricité et le chauffage au sol. Extérieurement, le nouveau mazot comporte deux fenêtres supplémentaires et ses formes sont mises en valeur par un éclairage nocturne du meilleur effet. Pour le bureau d’architectes MLS de Zermatt qui a supporté le projet, il est important de venir au secours des vieux mazots, même si cela a un coût vu leurs petits volumes et leur ancienneté qui nécessite de les refaire de fond en comble, et notamment l’isolation.

Mazot à louer aux touristes

«Rénover un mazot, c’est toute une entreprise qui doit faire appel à des spécialistes et ça présente un coût. Personnellement, je suis content, mais mon compte en banque l’est moins», plaisante Patric Julen qui a dû batailler pour convaincre les banques. Celle qui a accepté de financer l’opération a mis ses conditions: mettre le mazot en location à la nuitée (à partir de 4) pour les cinq prochaines années, la location à l’année assurant moins de rentrées avec un loyer de 3’000 francs par mois.

Via Airbnb, le Chalet Coral est à louer entre 380 et 540 francs la nuitée, suivant la saison, le pic étant atteint entre Noël et Nouvel-An. Depuis la fin du Covid, les touristes asiatiques et nord-américains reviennent en force à Zermatt. L’idée de passer quelques nuitées dans un authentique mazot présente un atout original pour le tourisme valaisan.