La Chaux-de-Fonds

La Ville va racheter l'ancien manège

Les autorités communales s’apprêtent à acquérir un bâtiment extraordinaire et emblématique de la cité horlogère datant de 1857. Ironie de l’histoire, il y a cinquante ans, elles avaient autorisé sa démolition...

Une somptueuse cour intérieure, surmontée d’une verrière, parmi les plus intéressantes et étonnantes de Suisse.
Une somptueuse cour intérieure, surmontée d’une verrière, parmi les plus intéressantes et étonnantes de Suisse. - Copyright (c) J.-B. Vuillème
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Il est de joyeux retournements de l’histoire. En 1982, la Ville de La Chaux-de-Fonds avait donné le feu vert à la démolition de l’Ancien Manège, une vieille bâtisse négligée par son propriétaire au point, estimait-elle, de donner une mauvaise image de la cité. Ce négligent lâcha le morceau et un nouveau propriétaire demanda et obtint l’autorisation de démolir en vue d’ériger un grand parking. Mais c’était sans compter sur la mobilisation, la détermination et l’endurance d’un groupe de citoyens conscients de la valeur architecturale de cet édifice.
Un étudiant nommé Marc Emery, qui devint plus tard responsable du patrimoine cantonal, consacra son travail de diplôme à l’ancien bâtiment et lança une pétition à l’enseigne de «Sauvons le Manège». Cette action citoyenne exemplaire aboutit à la constitution d’une société coopérative, forte de 500 membres, qui parvint à racheter l’immeuble en 1985, puis à lui rendre sa splendeur, à mettre des surfaces en location et à animer cet espace restauré, notamment sa somptueuse et surprenante cour intérieure.

Autres temps, autre moeurs. Décembre 2021. Le conseiller communal Théo Huguenin-Elie, directeur de l’urbanisme et des bâtiments, énumère dans son bureau les trois raisons qui poussent la Ville à acquérir l’Ancien Manège.

Trois bonnes raisons

Il y a d’abord l’enjeu patrimonial de sauvegarde et de conservation à long terme, puis, en ordre décroissant, la valorisation du lieu dans la continuation du travail accompli par la coopérative et enfin l’enjeu financier. «L’Ancien Manège abrite une structure d’accueil parascolaire, ce qui fait de la Ville un des plus gros locataires de la coopérative, précise l’édile. Nous avons un intérêt financier à être dans nos murs et à devenir propriétaire de la douzaine d’appartements et bureaux de ce remarquable bâtiment, qui abrite aussi une brasserie.» La vente devrait intervenir au cours du premier trimestre 2022 pour une somme, convenue avec la coopérative, de 2,7 millions de francs. Les objets immobiliers dits de «rendement » (immeubles locatifs communaux notamment) étant de sa compétence, le Conseil communal n’a pas besoin d’un vote du Conseil général pour procéder à cet achat. Ses commissions immobilière et foncière, ainsi que la commission financière, ont toutefois donné leur aval, à l’unanimité, sachant que le rendement attendu doit permettre une opération autofinancée.

Un bâtiment extraordinaire et emblématique de la cité horlogèrediaporama
Un bâtiment extraordinaire et emblématique de la cité horlogère

Sauveur repenti

Dans l’immédiat, promet le conseiller communal, rien ne changera pour les locataires, qui ne doivent pas s’attendre à des augmentations. Du côté de la coopérative, il apparaît clairement que la Ville de La Chaux-de-Fonds est aujourd’hui la mieux placée pour assumer l’objectif de protection, de conservation et de valorisation du bâtiment. Avec le temps, les tempes des coopérateurs ont blanchi et certains ne sont plus de ce monde. Des nouveaux sont venus, ils ont donné de leur temps et de leur énergie. Mais ils sont de moins en moins nombreux, et moins encore à loger sur place. Les pionniers des débuts se sont mués en gestionnaires du lieu. Ainsi, le démolisseur d’hier est aujourd’hui perçu comme un sauveur pour la postérité de l’Ancien Manège. Ce rachat, qui protège la bâtisse de toute visée spéculative, signifiera aussi la disparition de la coopérative.

Un bâtiment datant de 1857diaporama
Un bâtiment datant de 1857

Cette demeure historique abrite depuis peu une «maison du terroir», première du genre dans le canton de Neuchâtel. Le restaurant-brasserie, converti au commerce de proximité, mise sur les produits locaux. Cette nouvelle entité propose diverses animations dans la cour intérieure. La Ville a-t-elle des intentions déjà déterminées? «Tout reste ouvert», répond Théo Huguenin-Elie, qui songe à diverses animations culturelles et festives, dans l’esprit de celles mises sur pied par la coopérative. Et d’imaginer des résidences d’artistes, ou encore des appartements pour étudiants et une collaboration avec l’université lorsqu’une liaison ferroviaire directe mettra La Chaux-de-Fonds à quinze minutes de Neuchâtel, à l’horizon 2035.
L’important, c’est que le formidable potentiel culturel et touristique de ce bâtiment ne connaisse pas un nouveau déclin et que l’histoire ne se répète.

Une histoire étonnante

Une façade extérieure plutôt banale.diaporama
Une façade extérieure plutôt banale.

Le Manège avait été inauguré le 31 juillet 1857, «avec une représentation du cirque Schlegel», précisent Katrin Kaufmann et Helen Wyss, co-autrices d’un récent fascicule historique dédié à l’Ancien manège. Edifié alors que La Chaux-de-Fonds connaissait un fort essor économique, le bâtiment s’est vite trouvé contrarié par l’avènement du train, rendant moins impérative la nécessité de savoir monter à cheval, mais aussi par les fortes dépenses d’entretien, notamment en personnel, requises par ce genre d’installation. Racheté en 1864 par l’ex-président de la Société du manège, G.-E. Boch, le bâtiment fut transformé en locatif dès 1868. Il est appelé Ancien Manège depuis cette reconversion.

Vue de la cour intérieure.diaporama
Vue de la cour intérieure.

L’appartenance des locataires au monde ouvrier, l’organisation spatiale des appartements autour de la splendide cour intérieure, richement décorée, aux allures de palais, et le fait que la population était alors majoritairement acquise aux idées nouvelles, ont donné à penser que la conception de l’Ancien Manège aurait un lien de parenté avec le familistère de Guise, exemple d’architecture sociale inspirée par les idées de Charles Fourier. Peut-être, mais Katrin Kaufmann et Helen Wyss notent qu’à part des loyers abordables, «l’Ancien Manège n’offrait aucune des infrastructures sociales» présentes dans le familistère de Guise. Contraste entre des façades extérieures d’apparence banale et une cour intérieure somptueuse surmontée d’une verrière, parmi les plus intéressantes et étonnantes de Suisse, il ne fait pas de doute qu’il s’agit d’un joyau architectural hors du commun.