Conférence

Le design au service de l’urbanisme durable

Façades adaptatives, matériau en terre et circularité: trois spécialistes ont échangé leurs points de vue autour de ces diverses solutions et des enjeux d’une construction plus écologique en Suisse. Synthèse.

La Maison du futur, à Vessy (GE), dont les murs sont en Terrabloc
La Maison du futur, à Vessy (GE), dont les murs sont en Terrabloc - Copyright (c) LDD
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Vastes sujets que sont les thèmes de l’urbanisme et de la durabilité. Trois personnalités du monde de l’architecture s’y sont pourtant attaquées le 29 mars dernier lors d’une conférence organisée par l’école de design et de graphisme de Genève (IPAC). Devant un parterre composé d’experts et d’étudiants, les orateurs se sont succédé le temps d’une soirée, démontrant les uns après les autres le rôle qu’ont à jouer les professionnels du secteur dès la conception des bâtiments afin de réduire leur empreinte environnementale.

L’essor de la solution Terrabloc

Le Terrabloc fabriqué à partir de déchets terreux.diaporama
Le Terrabloc fabriqué à partir de déchets terreux.

L’architecte Laurent de Wurstemberger (LDW architectes) est le premier à s’être lancé devant l’assemblée en présentant son procédé nommé Terrabloc. «Nous fabriquons des blocs de terre compressée à partir des déchets terreux que nous revalorisons en matériau de construction», décrit-il. Outre l’aspect visuel et la niche que ce marché représente, le spécialiste et son associé Rodrigo Fernandez ont décidé de se concentrer en particulier sur les déchets d’excavation car ils représentent pas moins de 3,5 millions de m3 par année rien que pour Genève, dont seul un tiers est ensuite valorisé sur le canton. «La plupart des sous-sols de la ville que nous creusons partent ensuite ailleurs, cela pollue en transport et on se débarrasse d’un déchet qui, comparé aux matériaux de constructions usuels, apporte une meilleure isolation thermique et une régulation d’humidité naturelle inégalable», poursuit-il.

Inspiré des 40% de constructions mondiales qui sont en terre crue, principalement dans les pays en développement, le duo n’a pourtant rien inventé mais cherche depuis dix ans à introduire ce matériau dans la construction contemporaine et locale. Laurent de Wurstemberger est revenu sur leurs débuts: «Nous avons d’abord testé nos Terrabloc sur des réalisations telles que la Maison du futur à Vessy ou encore avec le foyer du Grand-Théâtre à Genève puis ensuite nous avons essayé de collaborer avec un industriel à Allaman et c’est là que nous avons décollé.» Passant de 1000 briques à 30'000 fabriquées par jour, la cadence a pu enfin augmenter et les projets se diversifier.

«Chez les constructeurs, les changements ont du mal à s’enclencher»

François Guisan, fondateur et directeur d’Osmia Advisors

Présent désormais aussi du côté alémanique, Terrabloc construit des écoles, des fermes et des logements sur cinq étages en terre compressée. De quoi convaincre les maîtres d’ouvrage encore réticents. «Ça n’a pas toujours été facile à vendre auprès des acteurs du milieu car c’était un peu plus cher et nous n’avions pas encore beaucoup de recul sur ce matériau en Suisse, mais nous commençons à avoir des références. Nous avons été contactés par de bons architectes, cela rassure», indique le spécialiste. Ce qu’il manquerait selon lui pour construire plus durablement: une exemplarité forte. Trop de têtes d’affiches continueraient encore à construire en 100% béton.

Réapprendre à être durable

Parois en Terrabloc dans une école à Genève.diaporama
Parois en Terrabloc dans une école à Genève.

A son tour, François Guisan, fondateur et directeur d’Osmia Advisors, un bureau de conseil spécialisé dans les projets immobiliers durables, a déploré le manque d’innovation dans le choix des matériaux utilisés aujourd’hui. Avec une consommation mondiale de trois tonnes par an et par personne (8 t/an/pers pour la Suisse), le béton est le deuxième matériau le plus consommé au monde, après l’eau. «On parle de plus en plus d’alternatives moins énergivores, comme le bois ou la terre, mais pour avoir travaillé dix ans avec de gros constructeurs, on voit que ces changements ont du mal à s’enclencher», témoigne l’expert. Une réactivité en plusieurs temps qui serait due selon François Guisan à l’abondance et la gratuité des ressources naturelles. Un contexte qui nous aurait amené à consommer de manière linéaire: «Dans notre pays, il y a seulement 13% de circularité des matières, ce qui est notamment causé par notre urbanisme qui n’intègre aucune circularité du cycle de l’eau par exemple.»

Ce biologiste de formation s’évertue quant à lui à reproduire et conseiller une vision organique de l’architecture où tout est connecté comme dans la nature. Seul bémol: le manque de connaissances dans ce domaine. «Le caractère infini des matériaux nous a permis de nous focaliser sur des constructions plus esthétiques pendant des décennies mais aujourd’hui que ces notions de biodiversité et de climat sont à intégrer, nos spécialistes et concepteurs d’aménagements urbains ne sont pas assez formés pour cela», pointe du doigt le consultant. Afin d’y remédier, les formations dites «durables» à destination des architectes, des paysagistes ou encore des ingénieurs éclosent petit à petit, à l’image de l’IPAC qui démarrera en septembre son nouveau master en design durable.

De la technologie à tout prix?

Dans la continuité, l’architecte Andrea Lombardo a rebondi sur cette question d’esthétisme au dépend d’une certaine fonctionnalité. Plus précisément, l’expert s’est intéressé aux façades qui la plupart du temps sont inutilisées alors qu’elles pourraient, grâce à des solutions innovantes, ne plus être seulement un design mais également se montrer utiles. A l’aide d’exemples de façades adaptatives, le jeune homme a fait la démonstration d’usages efficaces de ces surfaces bâties. Parmi eux: de la production d’énergie via des panneaux en micro-algues, de la ventilation naturelle mais aussi de la gestion de lumière grâce à des systèmes de pointe. Malgré tout, les trois experts se sont rejoints sur le fait que l’innovation technologique ne doit être une fin en soi et n’est pas toujours aussi «verte» et écologique qu’on le pense. Entre progrès et retour aux techniques ancestrales, la conception future de nos espaces urbains promet d’être plus que jamais complexe. Le tout sera de trouver, comme toujours, la bonne mesure.