Le marché jurassien, cet "ovni" romand
Longtemps mis de côté par ses homologues francophones, le Jura demeure l’un des rares cantons suisses à ne pas souffrir de l’actuelle pénurie de logements. Reflet d’une demande aux abonnés absents ou signe d’un développement rapide, voici ce qu’il faut savoir sur cet eldorado foncier trop souvent ignoré.

Beaucoup pensent que nous allons chercher l’eau du puit et que nous n’avons pas de wifi», ironise Benoît Brêchet, président de la Chambre immobilière jurassienne (CIJ). Une association qui compte près de 400 membres touchant de près ou de loin à la vaste branche de l’immobilier (du Jura) et qui peut, malgré tout, paraître dérisoire comparée aux 6600 adhérents de son homologue genevoise. Pourtant, son développement est à l’image de celui de son canton: lent mais significatif.
Septième plus petit canton de Suisse (839 km2), majoritairement rural et volontiers qualifié de «bout du monde» par l’Arc lémanique, le Jura était autrefois principalement attrayant pour les suisses allemands, notamment les Bâlois et Zurichois qui, dès les années 90, ont investi régulièrement dans la pierre jurassienne pour les nombreux atouts dont elle dispose et surtout pour venir y trouver un havre de paix loin de l’excitation urbaine. Puis, durant la pandémie, l’horizon du Jura s’est soudain mis à rayonner davantage auprès de nouveaux visiteurs et futurs acquéreurs. «Les Romands qui étaient confinés ont découvert les régions aux alentours, tel que le territoire jurassien qui était et reste réellement méconnu. Il n’y a qu’à voir le nombre de reportages qui nous sont consacrés dans le téléjournal chaque semaine», constate Loïc Chapuis, directeur de l’agence L’instant Immo à Porrentruy.
Des préjugés à contrebalancer

En jetant un coup d’oeil aux chiffres de l’Office fédéral de la statistique, on se rend alors compte que la population du canton du Jura s’est accrue de 274 personnes en 2024, pour s’établir à un total de 74'822 habitants. Preuve que cette mise en lumière forcée provoquée par le coronavirus aura été bénéfique. «Nous le remarquons avec les investisseurs d’autres villes romandes qui sont systématiquement surpris par nos infrastructures et par notre qualité de vie. Nous n’avons pas de bouchons, le pouvoir d’achat est extrêmement intéressant et puis on donne l’impression que le Jura est éloigné de tout mais nous sommes en réalité à 30 minutes de Bâle, 35 minutes de l’aéroport de Bâle-Mulhouse et 2h30 de Paris en TGV», souligne Benoît Brêchet, président de la CIJ. Autre avantage dont le marché immobilier jurassien peut se targuer sans vergogne: ses prix attractifs. En effet, si l’an dernier le prix moyen au m2 d’un appartement dans le canton du Jura s’élevait à 4690 francs et celui d’une maison à 4709 francs, l’équivalent s’est échangé à Genève contre respectivement 13'548 et 15'259 francs le m2 en moyenne. «L’acquisition de résidentiel sur notre territoire est d’autant plus pertinent pour les jeunes investisseurs qui se lancent car les risques sont limités. Vous pouvez acheter ici un petit immeuble de trois ou quatre appartements pour le prix d’un logement de 3,5 pièces à Lausanne», assure Loïc Chapuis du haut de ses dix ans d’expérience.
Quand l’offre dépasse la demande
Une accessibilité à la propriété facilitée qui a su doper la demande sans forcément que cela ne se fasse au détriment d’une qualité de l’offre, comme en témoigne le président de la CIJ (également notaire): «Énormément de constructions et de transformations ont été effectuées dans le canton depuis 2010, mettant à disposition de la population pléthore de biens aux standards modernes et au confort énergétique.» Des quartiers entiers ont ainsi été érigés autour des villes de Delémont, Porrentruy et Saignelégier.
Parmi eux, citons celui de La Poste, achevé en 2022 dans le centre delémontain, représentant 19'000 m2, 89 logements, des surfaces commerciales, des bureaux, un restaurant ainsi qu’un hôtel. Plus récemment, la résidence du Parc de la Sorne, projet qui s’étendra sur 24'300 m2 et proposera prochainement 9 immeubles d’appartements en PPE, de la location et une résidence pour seniors. Un écoquartier démarré dans le centre de Delémont qui figure pourtant déjà parmi les villes de suisse présentant le plus grand nombre de logements inoccupés (5,8% dans le chef-lieu, soit 429 logements). «De base, nous étions un canton de propriétaires de maisons familiales mais depuis 2010, les investisseurs ont construit quantité de propriétés par étages et d’immeubles locatifs, faisant exploser l’offre. Et par conséquent, le taux de vacance aussi qui est, pour rappel, largement sous le seuil de pénurie dans la plupart des autres cantons romands», décrypte Benoît Brêchet.
Une ruralité qui se verdit encore

Corollaire de cette situation, «le marché s’est modifié, délaissant les appartements de 4 pièces au profit des studios et 2 pièces et se veut aujourd’hui plus favorable aux locataires. Une certaine concurrence entre propriétaires s’est même instaurée pour attirer ces résidents à l’aide de loyers gratuits et tenter de limiter cette vacance. Dans le Jura, un locataire peut visiter dix biens dans une journée et se montrer exigeant, ce qui paraît forcément utopique chez certains de nos voisins», confirme Jean-Louis Gogniat, directeur de Juraimmobilier, une agence immobilière fondée en 2001. Une sorte d’opération séduction qui touche également aux aspects énergétiques, poussant les propriétaires à entretenir leur bâtiment pour en limiter les charges et paraître toujours plus désirable. Loïc
Chapuis de L’instant Immo commente: «Le Jura est avant tout un canton très rural, composé en majorité de vieilles bâtisses. Cependant, les autorités ont instauré dès 2019 un paquet d’aides pour troquer les chauffages fossiles pour du renouvelable et nous étions un des premiers cantons à l’époque à avoir autant de corps de fermes et d’écuries recouverts de panneaux solaires dans les petits villages.» Effectivement, déclarée en septembre 2019 par le Parlement jurassien, l’urgence climatique a découlé sur un plan climat fixant des objectifs pour le moins ambitieux au territoire jurassien.
Si, actuellement, une personne habitant dans le Jura est à l’origine de l’émission de 16 tonnes de gaz à effet de serre par année, il faudra, pour se conformer aux objectifs du pays, abaisser ce nombre à 2 tonnes de CO2-éq/an d’ici 2050. Dans les priorités à mettre en place, le Jura souhaite donc que ses bâtiments soient chauffés à 100% aux énergies renouvelables d’ici 2045 et réduire drastiquement sa mobilité routière (80% des trajets sont pour l’heure effectués en voiture du fait de la ruralité évidente). Pour ce faire, le Canton verse par le biais du Programme Bâtiments environ 21 millions de francs par an.
Et maintenant?

«Le marché immobilier est donc en pleine évolution, on voit depuis quelques années que l’on vit une période de transition, où l’on gagne en attractivité, et qu’il évolue dans tous les sens. Typiquement, notre petite structure concrétise désormais à peu près une vente toutes les deux semaines et il s’agit dans la moitié des cas d’un acquéreur qui n’est pas jurassien», soutient Loïc Chappuis. Unanimes, nos interlocuteurs s’expriment du même son de cloche: le marché va continuer sa transformation et ne cessera pas de plaire de sitôt avec sa douceur de vivre et son offre diversifiée (et ce, malgré une fiscalité pas forcément avantageuse). «Un rapprochement de plus en plus étroit entre notre canton et celui de Bâle, poumon économique et culturel, se renforce à nouveau et permettra de palier certains de nos manques», conclut le président de la CIJ. Alors rendez-vous dans cinq ans pour faire le point.
Le saviez-vous?
Juracool.ch est une société d’aide à l’implantation de nouveaux résidents dans le canton du Jura, que ce soit sur le plan immobilier, professionnel, administratif ou fiscal, elle sert d’intermédiaire avec les autorités jurassiennes pour guider les arrivants dans les multiples démarches à entamer.
Pas d’exception pour le commercial
«Dans le Jura, les surfaces commerciales souffrent comme partout ailleurs mais cela se ressent de façon marquée dans le centre-ville de Delémont, où de nombreuses vitrines se sont vidées et de grandes enseignes nous ont quitté. Ce qui donne une mauvaise image de nos localités et c’est bien dommage», déplore Jean-Louis Gogniat, fondateur de Juraimmobilier. Comme dans le reste du pays, les arcades commerciales n’ont pas la cote actuellement, bien que dans le Jura, il soit possible d’avoir pignon sur rue avec un local de 200 m2 et places de parking pour moins de 2000 francs de loyer. Côté bureaux, «le Jura n’a jamais été un gros marché donc nous n’avons pas perçu les effets du télétravail», complète le président de la CIJ. Pas plus épargné que ses voisins par le phénomène de désertification des commerces, le Jura devra donc lui aussi commencer à repenser la transformation de ces espaces pour ne pas se retrouver déserté...