Le plus grand port lacustre d'Europe a terminé sa mue
Certains disent que le port de Chevroux est une ville au milieu du lac de Neuchâtel. Le plus grand port lacustre d’Europe conjugue exigences des plaisanciers et protection de la nature.
Une famille de cinq jeunes cygnes et leur mère se prélassent au milieu des voiliers de 14 mètres de long. Plus loin, des habitués prennent le café sur la pelouse, à côté de leur maison flottante. Au même moment, un homme d’affaires accoste avec son bateau à moteur en provenance de la rive neuchâteloise. Près de 1100 embarcations sont amarrées ici alors que le village compte à peine plus de 500 habitants. Le port de Chevroux se dessine sur 28’500 m2 de surface sur l’eau, soit l’équivalent de cinq terrains de football. Un écrin calme dédié à la détente, rien à voir avec certaines marinas bruyantes de la Méditerranée.
Impossible de l’oublier, on est au cœur de la Grande Cariçaie. La réserve naturelle abrite un quart de la flore et la faune suisse, dont plus de 10’000 espèces animales. Le célèbre photographe Yann Arthus Bertrand a immortalisé le site vue du ciel en 2014; un îlot de coques blanches au milieu des roseaux. Depuis la capitainerie, la forêt de mats contraste avec une plage à l’eau translucide, juste de l’autre côté de la digue qui s’étire sur plusieurs centaines de mètres.
«L’histoire du Port de Chevroux, c’est celle de tous les ports du lac de Neuchâtel, liée à la première correction des eaux du Jura: 23 ans de travaux entre 1868 et 1891», rappelait Olivier Duruz, l’archiviste de Chevroux, lors de l’inauguration l’an dernier. Le port a terminé sa dernière mue après des transformations de près de deux ans.
Liste d'attente de dix ans
Une soixantaine de places ont été ajoutées, la digue de protection réhaussée, les sanitaires rénovés, un système d’accès automatisé avec caméras de surveillance, un terrain de beachvolley et un long espace de détente en bois aménagés pour les baigneurs. «Il n’y a plus de places d’amarrage et une liste d’attente de dix ans» observe Charles-Edouard Bonny, le syndic de Chevroux. L’endroit est retiré, mais prisé.
Une Argovienne, y passant chaque été depuis 20 ans, apprécie toujours autant Chevroux, mais glisse en parlant du nouvel aménagement: «c’était mieux avant. Les places d’amarrage sont plus étroites aujourd’hui. Et on est désormais au ponton 16, tout au fond. C’est si grand qu’on marche beaucoup, mais on a le temps et tout le monde se connaît ou presque.»
Plus de 14 millions
Le budget de 11,4 millions de francs a vite été dépassé. La facture totale s’élève à 14 millions, dont une partie absorbée par le canton de Vaud, notamment pour le nouveau débarcadère. Dans les années 1970, les installations avaient coûté 2,6 millions; une autre époque. «Nous n’avons pas coulé de ciment, mais réutilisé l’enrochement de l’ancien site. Par ailleurs, nous n’avons pas pris de surface à la Cariçaie, signale le syndic. Nous coexistons depuis plus d’un siècle avec cet espace naturel sans s’étendre sur celui-ci, même si parfois on aimerait s’agrandir.»
Ces liens très étroits se confirment par la présence d’un mirador d’observation des oiseaux, ainsi que la visite régulière de deux ambassadeurs de l’Association la Grande Cariçaie. Ils sensibilisent marcheurs, vélos, baigneurs ou plaisanciers, à la fragilité de cet équilibre entre la nature et l’homme.
Le plus grand d'Europe?
À savoir si le port de Chevroux est toujours le plus grand port d’Europe en eau fermée? Le sourire est de mise. Le syndic de préciser: «nous sommes certainement le plus grand en eau fermée sur un seul site. Je n’ai toutefois pas de confirmation récente.» Contactés, les grands ports confirment: Lausanne-Vidy talonne Chevroux avec 936 places, Evian et Thonon affichent 800 places tout comme Portalban à quelques kilomètres seulement de Chevroux, vient ensuite Lausanne-Ouchy avec 745 places. Grand mais discret, c’est sans doute là toute la différence.