Genève

Le trader devenu fromager-crémier

Martin Burrus a quitté son job de trader pour assouvir sa passion. Il vient d’ouvrir sa troisième «fromagerie fine» à Genève. L’histoire d’une reconversion.

Martin Burrus dans sa «fromagerie fine» à Carouge.
Martin Burrus dans sa «fromagerie fine» à Carouge. - Copyright (c) F. Haller
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Qui n’a pas rêvé de lâcher son travail pour se consacrer pleinement à sa passion? Certains garderont le regret ne n’avoir pas osé, d’autres se lancent corps et âme. C’est le cas de Martin Burrus, âgé de 31 ans. «J’avais un rêve d’enfant gravé dans ma tête: c’était d’ouvrir une fromagerie», explique les yeux émerveillés ce diplômé de l’Ecole hôtelière de Lausanne devenu trader en matières premières et qui vient d’ouvrir sa troisième arcade De Bleu! En 2018, une fromagerie à Vésenaz ferme. Convaincu qu’il existe un marché autour de cette localité aisée du canton de Genève, il décide de franchir le pas et d’ouvrir la sienne. «Si tu ne le fais pas maintenant tu ne le feras jamais. Qu’as-tu à perdre?» lui lance sa mère. Il contacte Linda, une ancienne responsable de fromagerie avec qui il avait des contacts, une «perle» dans le domaine. Pendant un an, Martin Burrus est «trader la semaine et fromager le week-end». Linda travaillait «à 200%. Mais j’adorais ça!» «Sans elle, je serais peut-être toujours trader à m’ennuyer dans un bureau», reconnaît Martin.

Une des «pépites» de De Bleu! est le Vieux Gruyère de Jean-Baptiste Grand, vieilli durant dix-huit mois dans le fort de la Tine.diaporama
Une des «pépites» de De Bleu! est le Vieux Gruyère de Jean-Baptiste Grand, vieilli durant dix-huit mois dans le fort de la Tine.

A l’arrivée du Covid en mars 2020, avec en corollaire le confinement et les magasins fermés, que faire avec sa chambre froide pleine? D’autant que Linda, pour raison de santé, ne pouvait être présente. Martin Burrus décide d’informer ses clients sur les réseaux sociaux qu’il va ouvrir les après-midis pour écouler son stock, en attendant des jours meilleurs. «De cinq personnes à la première heure, la file d’attente devant mon arcade s’est allongée à 60 mètres tous les jours», s’émerveille celui qui n’avait qu’une hâte: «Fermer mon ordi pour retrouver mes fromages.» Cela a fait tilt: il décide de donner sa démission pour se consacrer pleinement à sa passion.

Le succès aidant, il a tout de suite l’ambition d’ouvrir une deuxième «fromagerie fine». Il jette son dévolu sur Carouge, trouve une arcade remise par un marchand de vin et engage en mars 2021 Raphaëlle, une amoureuse des fromages. Depuis, «c’est un carton»! Tout récemment, Martin Burrus a ouvert un troisième magasin en ville, aux Eaux-Vives, en partenariat cette fois avec le supermarché bio de proximité Kiss the Ground. A la découpe derrière le comptoir, c’est encore une femme, Mathilde. «Un fromage vendu par une personne passionnée par son métier n’en sera que meilleur», pointe-t-il en parlant d’une équipe «fantastique», au nombre de six personnes.

Pieds dans les pâturages

Martin Burrus vient d'ouvrir sa troisième enseigne.diaporama
Martin Burrus vient d'ouvrir sa troisième enseigne.

L’ex-trader devenu fromager aime aussi «mettre les mains dans le cambouis», glisse Linda. De Fribourg au Valais, de St-Gall à Glaris, en passant les Grisons et le Tessin, il n’a eu de cesse d’aller à la rencontre de ses producteurs pour connaître leur labeur, chausser les bottes pour traire les vaches aux aurores, sortir les bêtes, suivre toutes les étapes de la fabrication jusqu’à l’affinage. Et finalement de gagner leur confiance, voire leur amitié. «Je connais au moins le producteur ou l’affineur pour chaque fromage que je propose dans mes magasins», tranche Martin qui s’efforce de mettre en lumière ces «métiers de l’ombre» pour ainsi raconter à ses clients l’histoire de chaque fromage. Ce que font très bien ses trois responsables d’arcades. «Elles connaissent les produits par cœur, les bichonnent, les soignent, les parent et les vendent», reconnaît-il en précisant sa fonction à mille lieues de la ferme et des pâturages: le management, le souci du développement de sa société, la stratégie de vente et la quête de nouveaux produits. «Un fidèle client considérera, s’il n’y a aucune évolution, que la qualité d’un produit, pourtant identique, est moins bonne. Même si cela n’est pas vrai.»

Vieilli dans un fort

Les «pépites» de De Bleu! sont le Vieux Gruyère de Jean-Baptiste Grand, vieilli durant dix-huit mois dans le fort de la Tine, situé à cheval sur les cantons de Vaud et Fribourg, où le fromage a remplacé munitions et obus; le mélange secret de fondue, composé de sept fromages, élaboré en partenariat avec Sébastien Piller de la Laiterie de Charmey (FR), et son onctueux fromage à raclette produit au bout du lac de Sarnen, à Giswill, dans le canton d’Obwald. Des produits et un savoir-faire suisses et aussi d’ailleurs: Martin Burrus collabore notamment avec un Meilleur ouvrier de France. En tout, il propose quelque 150 fromages.

«Contrairement à un bon vin dans une cave, un vieux fromage reçoit régulièrement un traitement manuel tout au long de son affinage»

Martin Burrus

La concurrence des grandes surfaces, qui vendent aussi des produits de qualité et à la coupe, ne l’effraie pas. «Elles proposent de la qualité à prix cassés. Notre philosophie est d’offrir des fromages à des prix conforme à leur qualité», rectifie Martin Burrus qui reconnaît que le fromage est bien un «produit de luxe». Et dresse cette comparaison avec le vin: «Contrairement à un bon cru que l’on stocke dans une cave, un vieux fromage reçoit régulièrement un traitement manuel tout au long de son affinage. Il est frotté, retourné, remonté dans les étagères, goûté, sondé.» Certes, des robots remplacent parfois le travail humain. Mais cela a un coût.

Ses fromages préférés? «Cela dépend du moment de la journée où j’ai envie d’un bon fromage, mais un peu tous les jours», répond Martin Burrus cintré de son tablier blanc immaculé au moment où se présente un client dans l’arcade de Carouge. Le sexagénaire demande s’il peut goûter des pâtes dures. «Bien volontiers», répond-il avec un large sourire. Après le fameux gruyère du fort et l’unique Etivaz, le commerçant demande ce qu’il désire acheter. «De toute façon, je n’ai pas d’argent», répond tout de go le visiteur qui s’en va non sans avoir goûté un dernier produit. Martin n’en a pas fait tout un fromage.

Le fromage a la cote

«Les références de fromage dans le monde sont infinies, affirme Martin Burrus, fondateur de l’enseigne De Bleu! Les gens associent le nom d’un fromage à une appellation. Toutefois, il existe une quantité de producteurs fermiers qui produisent leur propre fromage et l’appellent comme ils le veulent.» La Suisse en compte quelque 700 variétés.

La consommation annuelle en Suisse est de 23,2 kilos par personne

Selon l’organe faîtier Switzerland Cheese Marketing SA (SCM), les ménages consacrent 7% de leur budget alimentaire à ce produit et le marché croît de 2% par an en moyenne. Si les grandes surfaces représentent 80% des achats, les crémiers-fromagers de quartier ont le vent en poupe.

En chiffres

Consommation: 203 896 tonnes de fromage indigène ou étranger (2021), soit 23,2 kilos par personne

Production: 203’791 tonnes (2020, + 4,4% par rapport à 2019)

Exportation: 82’470 tonnes pour 756,7 millions de francs

Importation: 75’774 tonnes. Essentiellement d’Italie (26’744 t), d’Allemagne (20’535 t) et de France (13’580 t)