Enquête - Yverdon-les-Bains

Leclanché, ou comment foncer malgré une panne de liquidités

L’entreprise mythique d’Yverdon, leader mondial de solutions de stockage de l’énergie, peut compter sur de bons clients mais peine à assurer financièrement son développement.

Le site vaudois de Leclanché, où travaillent 155 personnes
Le site vaudois de Leclanché, où travaillent 155 personnes - Copyright (c) LDD
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Les industriels le savent bien: ils peuvent s’enorgueillir de fabriquer les meilleurs produits du monde tout en tirant la langue sur le plan financier. Dans les années 1980, de nombreuses firmes suisses ont passé le cap des crises industrielles en vendant – ou bradant selon les cas – leur patrimoine immobilier. Aujourd’hui, la plupart d’entre elles ne possèdent plus les murs de leurs usines, consacrant leurs capitaux pour le développement de leurs produits et leur commercialisation.

C’est le cas de Leclanché, mythique compagnie vaudoise. Cette firme centenaire a toujours négocié tant bien que mal les virages technologiques auxquels sont confrontés la plupart des industriels. Cette entreprise qui a bâti son histoire sur la production de piles, puis sur les batteries et le stockage d’énergie, a décroché de très prometteurs contrats dans le domaine des transports et de la gestion globale d’énergie «verte». En revanche, ses liquidités posent un problème. Après avoir reçu en automne dernier de ses principaux actionnaires une rallonge de près de 30 millions de francs suite à la conversion de dettes en capital, la société yverdonnoise prépare un nouveau renflouement. Mais elle dépend de ses actionnaires de poids, regroupés au sein d’une complexe entité de fonds d’investissements (lire ci-dessous).

Baisse de la valeur boursière

Leclanché propose plusieurs technologies de systèmes de gestion de batteriesdiaporama
Leclanché propose plusieurs technologies de systèmes de gestion de batteries

En septembre, l’opération a été motivée par une raison assez simple: ses activités sont centrées dans des domaines coûteux en termes de développement technologique et d’acquisition de grande clientèle. Malgré son âge vénérable, l’entreprise Leclanché a tout de la start-up: taille modeste, axée sur l’innovation dans des segments porteurs, soutenue par une cohorte d’ingénieurs. Mais la success story reste fragile. Précisément à cause d’un besoin continu de moyens financiers. En Bourse, le titre fait du sur-place. En septembre 2011, il y a un peu plus de dix ans, son action valait encore 17,45 francs avant de dévisser et se stabiliser à 2,70 francs, cinq ans plus tard, le 1er septembre 2016. Le 10 janvier dernier, un titre de cette société valait 0,63 frs, la valorisant à environ 212 millions de francs. Le 30 août, il valait encore 0,86 francs.

Début septembre, l’entrée d’argent frais n’a donc nullement fouetté le cours de la société et des projets commencent à battre de l’aile. En juin 2020, le groupe polonais Eneris prenait l’allure d’un preux chevalier blanc en promettant un investissement d’environ 100 millions de francs contre le contrôle des deux sites de production de Leclanché, en Allemagne et à Yverdon. Ensemble, les deux sociétés avaient alors affiché d’ambitieux projets permettant notamment à la firme vaudoise de réduire de 20% ses coûts salariaux. Mais, pour l’heure, ils se sont enlisés.

Un carnet de commandes dodu

Si la firme yverdonnoise doit encore imaginer comment consolider ses liquidités, ses collaborateurs se concentrent sur- tout sur ses activités phares. «Notre principale division est spécialisée dans les transports maritime, ferroviaire et routier (poids-lourds ou véhicules spéciaux), détaille Hubert Angleys, directeur financier de l’entreprise. Nous proposons notre technologie basée sur des cellules fabriquées en Allemagne puis assemblées en modules à Yverdon. Ces systèmes équipent ensuite principalement des bateaux et des trains, moyens de transport ayant besoin de batteries performantes sur des dizaines d’années.» Nous proposons à nos clients, ajoute le patron des finances, la conception, le développement, l’ingénierie et la fabrication de batteries à haute performance. Dans un registre au parfum plus exotique, Leclanché mise sur des projets d’énergie renouvelable à l’exemple de la construction d’un parc solaire à Saint Kitts & Nevis, un micro Etat de 50'000 habitants situé dans les Caraïbes, loin au sud-est de Porto Rico.

Plus un carnet de commandes est dodu, plus un actionnaire sera d’accord d’ouvrir son portefeuille. Hubert Angleys se montre optimiste sur ce terrain névralgique pour tout industriel. «Nous avons signé des accords de partenariat ces trois dernières années pour 400 millions de francs de commandes ou de projets, à livrer sur cinq à six ans, dont des commandes fermes à hauteur de 50 millions de francs ».

De la clientèle et des employés

De grands noms de l’industrie font confiance à Leclanché, à l’exemple du géant canadien Bombardier dont la division transport est passée l’an dernier – pour un prix tutoyant 6 milliards de francs – dans les mains d’un autre titan du secteur, le constructeur ferroviaire français Alstom. L’armateur norvégien Kongsberg ou le fabricant de bus tchèque Skoda comptent aussi parmi ses clients. Patron de l’entreprise depuis juin 2014, Anil Srivastava, d’origine indienne, s’est par ailleurs démené pour trouver de gros fournisseurs, à l’exemple de Exide Industries, considéré comme un grand fabricant indien de batteries. Leclanché compte sur un effectif de 350 employés, dont 155 à Yverdon (60 ingénieurs), 120 en Allemagne (20 ingénieurs), 30 aux Etats-Unis et le solde éparpillé dans plusieurs autres pays. En 2022, l’effectif pourrait encore s’agrandir de 20 personnes. «Nous avons recruté près de 100 personnes ces deux dernières années», rappelle Hubert Angleys. Leclanché possède donc les ressources humaines, les capacités à innover et à se lier à de gros clients. Bref, cette compagnie est belle comme un camion mais peine à trouver du carburant et une solide station-service. A Yverdon, berceau d’autres entreprises mythiques comme Hermes Precisa (machines à écrire, imprimantes) qui comptait plus de 4000 salariés dans le Nord vaudois dans les années 1960, on prie pour que Leclanché parvienne à négocier ses nouveaux virages. Chaque région a besoin de s’appuyer sur d’anciens fleurons rappelant une tradition industrielle. Cela justifie et explique l’intérêt toujours marqué pour Leclanché. Contre vents et marées.

A QUI APPARTIENT LA SOCIÉTÉ?

Après une rallonge du capital de près de 30 millions de francs l’automne dernier, la société yverdonnoise prépare un nouveau renflouementdiaporama
Après une rallonge du capital de près de 30 millions de francs l’automne dernier, la société yverdonnoise prépare un nouveau renflouement

Pas facile de comprendre qui contrôle in fine la société. En 2015, des financiers, emmenés par le Luxembourgeois Christian Denizon, prennent le contrôle de la majorité du capital de Leclanché. Les fonds luxembourgeois SEFAM représentent aujourd’hui le principal actionnaire de la compagnie. Son conseiller financier est la société genevoise Golden Partner. Après une augmentation de capital effectuée en septembre 2021, ces fonds alimentés entre autres par des family offices chinois détiennent 80% de Leclanché. Le deuxième plus gros actionnaire après SEFAM est le gérant de patrimoine genevois Bruellan, qui possède 2,5% du capital. Bruellan est un actionnaire fidèle de la firme vaudoise: il y a quatre ans, un de ses fonds détenait près de 14% du groupe yverdonnois. Aujourd’hui, les autres 17,5% sont répartis entre 3500 petits actionnaires. Leclanché parvient donc encore à séduire un actionnariat populaire.

Mouvements de fonds opaques

Mais qui est le bénéficiaire économique de Golden Partner, très actif dans la gestion financière de la compagnie? Président de la holding Golden Partner, et administrateur de Leclanché, l’avocat genevois Bénédict Fontanet n’a pas souhaité répondre à cette question. Ni réagir à un article du journal luxembourgeois «Land» qui, en mai dernier, s’étonnait du «spectaculaire montage de sociétés couvrant d’opacité les mouvements de fonds», opérés par Golden Partner, entre le Luxembourg et la Chine, en passant par les Iles Caïmans. Enfin, Leclanché a aussi compté parmi ses actionnaires importants le groupe Logistable, dont dépend, à Lausanne, la société de gestion immobilière du même nom. Créé en 1992 dans le paradis fiscal de Gibraltar, Logistable est contrôlée par l’homme d’affaires français Pierre Lavie. Ce groupe est monté à hauteur de 11,5% du capital de Leclanché (en détenant 7,3% des actions). Pourquoi Pierre Lavie a-t-il cédé ce portefeuille? Le Français n’a pas souhaité fournir de réponse.