Livre photo

Les maisons de l'inachevé

A travers des structures en suspens du Salento (Italie), Gabriel Mauron nous dévoile une architecture atypique mais esthétique, lourde de sens pour les locaux.

Chaque construction est unique
Chaque construction est unique - Gabriel Mauron

Plutôt connu des touristes pour ses côtes, son climat et son eau turquoise, le Salento, une péninsule tout au sud de l’Italie regorge de trésors architecturaux. Une richesse que le photographe genevois Gabriel Mauron s’est mis à explorer il y a vingt ans. «En venant visiter la famille de ma femme chaque été, j’ai découvert toute une série de maisons abandonnées, au style absolument à part, parsemées sur des terrains qui ne bougeaient pas ou très peu au fil des années», se remémore-t-il.

Repenser l’acte de construire

Commence alors sa quête, village après village, pour capturer l’esthétisme de ces maisons inachevées. Près de dix ans (ou dix séjours) seront nécessaires à Gabriel Mauron pour récolter une centaine de clichés et en faire un livre: «Homes on Hold», paru le mois dernier. Les séquences de maisons qui y sont publiées se suivent mais ne se ressemblent jamais... Tandis que l’une arbore le côté massif, le gigantisme et la folie des grandeurs, la suivante joue sur le mélange des matières avec de la brique, du béton, de la pierre naturelle et finalement du cuivre pour parfaire le tout. «Ces structures m’ont parlé graphiquement car elles ont toutes une identité différente. Je ne cherchais rien de classique, il fallait un investissement personnel de la personne, la vision de quelque chose qui va évoluer», décrit le photographe. Sachant qu’en Italie plus de 40% des habitations sont construites par les propriétaires eux-mêmes, il n’est alors pas rare de tomber quelques fois sur un donjon accolé à une petite bâtisse ou une villa modeste pourtant composée de quinze arches. «Sur vingt ans, la mode architecturale change totalement et c’est intéressant de voir ces constructions où seule la créativité prévaut et donne un résultat inédit», ajoute-t-il. Une conception de la construction qui a marqué l’artiste suisse, plus habitué aux livraisons de projets clé en main, en un temps record.

Considérées par les touristes que nous sommes comme des «erreurs» ou des «échecs», ces maisons inachevées ont finalement un sens réel que Gabriel Mauron s’est attelé à expliquer dans son ouvrage photographique. «Je ne suis jamais parti à la rencontre des propriétaires, ni rentré à l’intérieur de ces édifices, seule leur allure me questionnait. J’ai préféré demander à des locaux quel était leur regard porté sur ces biens à l’architecture atypique», souligne-t-il. De nombreuses générations se sont alors succédé devant l’œil du photographe. Des ouvriers de chantiers à la vision très rationnelle: «il n’y a plus d’argent, on ne construit plus, ça s’arrête là». Des adolescents qui y voyaient une aire de jeux et d’aventure ou encore un père de famille qui concevait ces biens comme un cadeau, le travail d’une vie à léguer à ses enfants un jour, sans en connaître l’échéance. Une interprétation qui ne se veut jamais négative.

Et puis Gabriel Mauron s’est finalement habitué lui aussi. Y prenant goût, il a changé sa propre perception, y voyant une totale liberté que nous avons perdue en Suisse, une façon de construire «ce qui nous fait envie» et une source d’inspiration, tout simplement.