Urbanisme

Les multiples enjeux des rez-de-chaussée

Aujourd'hui, les collectivités souhaitent avoir la maîtrise des rez-de-chaussée. L'enjeu étant de favoriser les liens sociaux. Cela peut-il fonctionner? Le projet pilote du Rolliet à Plan-les-Ouates (GE) le dira.

Le nouveau quartier de l'Etang à Vernier ayant été réalisé par un seul maître d'ouvrage, celui-ci a pu gérer les rez-de-chaussée comme il le voulait
Le nouveau quartier de l'Etang à Vernier ayant été réalisé par un seul maître d'ouvrage, celui-ci a pu gérer les rez-de-chaussée comme il le voulait - Copyright (c) Urban Project CCHE © Vincent Jendly
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Les politiques publiques ont évolué. A l’heure du réchauffement climatique, on encourage désormais les citoyens à se déplacer à pied ou à vélo et à renoncer à l’automobile. A Genève, le règlement relatif aux places de stationnement sur fonds privés (RFSFP) a été modifié il y a un an. Cela a provoqué le triplement des besoins en surfaces dédiées aux vélos dans des locaux fermés au rez-de-chaussée. Dans le même temps, afin de répondre à la croissance de la population, il faut accélérer la construction de nouveaux logements. A ce propos, depuis deux ans, Genève en met davantage sur le marché que son voisin vaudois, aussi surprenant soit-il.

Dans les nouveaux quartiers, se pose la question de l’affectation des rez-de- chaussée. Faut-il y mettre des commerces? Si oui, de quelle taille et de quelle sorte? Les pouvoirs publics commencent à vouloir contrôler l’usage de ces arcades, pas seulement pour pouvoir y caser une crèche, mais aussi des activités «en faveur de la vie de quartier, du développement de liens sociaux entre les habitants et d'une offre de loisir locale permettant d’éviter d’avoir à se déplacer loin». Dans notre dossier, nous revenons sur quelques exemples: le quartier de l’Etang (Vernier), le quartier de Belle-Terre (Thônex) et le futur quartier du Rolliet (Plan-les-Ouates).

Quartier de l’Etang

Robert Curzon Pricediaporama
Robert Curzon Price

Le plus grand nouveau quartier à être sorti de terre en Suisse romande ces dernières années reste sans conteste le quartier de l’Etang construit à quelques minutes de l’Aéroport International de Genève, sur le territoire de la ville de Vernier (environ 37’000 habitants, ce qui la place entre Fribourg et La Chaux-de-Fonds). En effet, ce sont environ 2500 nouveaux habitants qui viennent d’y emménager.

«Comme ce nouveau quartier a été entièrement réalisé par un seul maître d’ouvrage, ce dernier a pu gérer les rez-de-chaussée comme il le voulait. Xavier Jeanneret, directeur général d’Urban Project, et Jean-Bernard Buchs, à la tête du développement de ce quartier, sont très impliqués dans le processus du choix des activités et des locataires des arcades afin de créer une dynamique globale pour la vie de quartier. Ils veulent que cela tourne», nous résume Robert Curzon Price, à la tête de Barnes Commercial Realty. «Pour générer cette dynamique, il faut une arcade de destination, comme Coop ou Migros. A côté de ce type d’arcade, les commercialisateurs vont placer, par exemple, un fitness, une pharmacie, des restaurants et une boulangerie. Puis on remplit les vides grâce aux équipes dédiées qui amènent des idées».

Le projet pilote

Romain Lavizzaridiaporama
Romain Lavizzari

A Genève, le Conseil d’État a signé le 7 novembre 2022 une convention avec les autorités de Plan-les-Ouates et les opérateurs du futur écoquartier du Rolliet, aux Cherpines. Celle-ci prévoit la création d’une coopérative qui sera chargée de gérer 40% des futures arcades, ainsi que les rares places de parking.

Les pouvoirs publics voulaient consacrer 5500 m2 du Rolliet à des activités en faveur de la vie de quartier. «Ce projet pilote vise à faire du Rolliet un quartier exemplaire. Si le modèle fonctionne, il pourra être repris pour la 2e étape du projet des Cherpines (sur Confignon cette fois-ci) et peut-être par les différents acteurs concernés par le fameux Praille-Acacias-Vernets (un périmètre d’environ 230 hectares affecté initialement en zone industrielle et artisanale et qui a été modifié en zones urbaines d’affectation mixte)», explique Romain Lavizzari, président de l’Association des Promoteurs et Constructeurs Genevois (APCG).

Le quartier sera réalisé d’une seule traite et offrira environ 1000 nouveaux logements, ainsi que des équipements publics et sportifs. En ligne de mire, une livraison entre fin 2026 et début 2027.

Bonus surfacique

Valentine Pilletdiaporama
Valentine Pillet

«Aujourd’hui, les rez représentent un enjeu majeur. Sauf que l’on veut tout y mettre, alors que l’on manque de place. Cela devient très compliqué. Entre les locaux à vélos, les buanderies, les locaux techniques, etc, il faudra sans doute procéder à des arbitrages», insiste Romain Lavizzari. Au Rolliet, la commune a établi un plan localisé de quartier en 2018 dans lequel elle a souhaité accorder un bonus surfacique pour les développeurs, dans la perspective de mettre les rez-de-chaussée à disposition de la vie de quartier. «C’était optionnel et dans des zones précises où un certain flux piétonnier est prévu». Ce travail est en cours.

Activités pérennes

«Des services seront mis à disposition dans les surfaces dédiées à la vie de quartier. Il s’agira, par exemple, de louer ces surfaces à des associations locales et culturelles, à une épicerie communautaire, etc. Les loyers seront différenciés en fonction des types d’activités. La gestion de ces espaces sera confiée à une coopérative de quartier et financée à la fois par les futurs habitants et par les promoteurs. Le but est que ces activités parviennent à être pérennes», complète Romain Lavizzari. Mais comme le dit très justement la vice-présidente de l’APCG, Valentine Pillet, «au-delà de la phase de planification et d’un financement adéquat, il reste encore que l’attractivité de ces espaces dépendra également de l’attitude des habitants. Implémenter une épicerie participative est une idée louable, faut-il encore que les habitants du quartier deviennent des clients réguliers pour assurer sa pérennité». C’est grâce à une bonne collaboration et planification entre les différents acteurs que certaines charges des activités ont pu être intégrées dans les plans financiers.

Quelques doutes

Robert Curzon Price émet néanmoins quelques doutes: «Édicter des conventions ou des règlements est une idée pour permettre à des entrepreneurs-commerçants de se lancer dans des projets innovants. Mais à l’heure du développement du commerce en ligne, finalement c’est de toute façon l’économie qui va sans cesse se réinventer. Dans certaines villes trendy, on voit une laverie se transformer en bibliothèque et en salon de thé.

Quand bien même l’État dispose parfois de leviers pour contraindre à baisser les loyers des arcades au rez-de-chaussée, reste à savoir quoi en faire. «L’économie est un très bon régulateur du système. Personne ne souhaite ouvrir une arcade qui ne trouve pas son public».