Durabilité

Matériaux biosourcés: des projets pionniers incitatifs

Présentées lors d'une conférence, des initiatives basées sur l'usage de matériaux biosourcés plutôt qu'usuels (ciment, etc.) permettraient de réduire drastiquement le CO2 émis par nos constructions.

Murs isolant d'Arbio Sa en béton de chaux-chanvre brut de décoffrage
Murs isolant d'Arbio Sa en béton de chaux-chanvre brut de décoffrage - Copyright (c) DR
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L’auditorium de la FER faisait salle comble le 1er février dernier pour entendre six intervenants invités par le Groupe professionnel environnement de la section genevoise de la SIA (Société suisse des ingénieurs et des architectes) s’exprimer sur les matériaux biosourcés «bas carbone» destinés à l’isolation de l’enveloppe des bâtiments. Objectif: inspirer par des exemples et inciter entrepreneurs/maîtres d’ouvrage à recourir à ces isolants encore sous-utilisés pour améliorer le bilan climatique des bâtiments.

De la paille plutôt que du ciment

Les biosourcés sont des matériaux d’origine végétale ou animale comme la paille, le chanvre, l’herbe ou la laine de mouton, les matériaux usuels étant représentés par le béton, le ciment, le verre, les métaux et tous les matériaux d’origine synthétique. Parmi les questions soulevées: comment favoriser les biosourcés par des dérogations aux règlements et/ou via des subventions ou des incitations fiscales? Comment créer un vrai marché local des biosourcés? Le prix est-il compétitif? Car les fournisseurs étrangers sont souvent moins chers.

Les professionnels s’accordent pour considérer qu’il ne s’agit nullement de diaboliser le béton et les matériaux usuels, qui demeurent indispensables, mais de parvenir à une combinaison appropriée de ces matériaux en recourant de manière accrue aux biosourcés, comme le prescrit le nouvel article 113 de la LCI (Loi sur les constructions et les installations diverses) qui, sans chiffrer les valeurs-cibles (voir encadré), exige de «minimiser l’empreinte carbone sur l’ensemble du cycle de vie», les matériaux «à faibles émissions de carbone ou capables de stocker du carbone» devant être privilégiés.

Anticiper grâce aux biosourcés

Modératrice de la soirée, Audanne Comment est l’initiatrice de Matilda, la matériauthèque qui doit devenir un centre de compétence sur l’art de bâtir et proposer une collection de plus d’un millier d’échantillons. Puisque la matière parle si bien aux sens, le public dans la salle est invité à s’emparer des échantillons pour les humer, les soupeser, les gratter... Pierre Mollier, ingénieur en physique des bâtiments auprès de BIFF SA, explique quant à lui que l’impact climatique lié aux matériaux augmente de plus en plus par rapport à l’impact lié à l’énergie d’exploitation des bâtiments. Ce changement de paradigme prend en compte désormais la performance environnementale globale: matériaux et exploitation. Appliqués au bon endroit, à performance thermique égale, il convient de privilégier dès à pré- sent les biosourcés afin d’anticiper l’entrée en vigueur du prochain règlement.

Alia Bengana, experte en matériaux bio/géosourcés, enseignante au Laboratoire ALICE à l’EPFL et à l’HEIA, précise qu’un kilo d’un panneau isolant Gramitherm à base d’herbe absorbe 1,5 kg d’équivalent CO2 au lieu de 14 kg pour un isolant de type Sagex. Elle souligne les avantages de l’hybridation: le chanvre par exemple, pousse en 4 à 5 mois seulement. Le béton de chanvre mêlé à de la chaux permet de réduire nettement l’écobilan en produisant des façades isolantes et perspirantes. Elle relève que dans un bâtiment en béton armé, c’est la multiplication des dalles pleines et des murs de refend qui alourdit le plus le bilan climatique.

«C’est en amont, dès le premier coup de crayon, que l’architecte devrait penser à intégrer les biosourcés, comme par exemple recourir à des bottes de paille ou à du chanvre comme isolant», note Stéphane Fuchs, architecte biologiste de l’habitat chez ATBA. «Pour la construction, dans notre projet de 38 logements à Soubeyran, l’intégration de bottes de paille nécessitait une épaisseur plus importante de l’enveloppe. Le service de l’urbanisme et le service de l’énergie étaient très ouverts et ont permis d’obtenir une dérogation dans le calcul de la surface brute de plancher».

Du chanvre pour le Musée du CICR

Pascal Favre, artisan et maçon de formation, a fondé Arbio SA en 1992, entreprise pionnière spécialisée dans l’application de matériaux naturels et écologiques. Pour le mur en béton de chanvre qu’il a construit pour le Musée du CICR, il n’a utilisé que 40 litres d’eau pour 200 litres de chanvre. Arbio développe un crépi à base de terre crue locale qui devrait remplacer la chaux ou le ciment. Comme le montrent ces exemples pionniers, élargir l’éventail des ressources afin de mieux combiner matériaux usuels et biosourcés est donc possible. Relevons qu’entrepreneurs et maîtres d’ouvrage ont eu le courage de sortir des sentiers battus: ils sont de plus en plus nombreux à montrer l’exemple en expérimentant l’hybridation avec des matériaux biosourcés.

Dizaines d’associations consultées: valeurs-cibles ou tendances d’ici fin 2023

«Personne ne met en doute le bien-fondé de l’objectif: diviser par deux notre empreinte carbone. Nous sommes dans la concertation avec l’ensemble des acteurs (plusieurs dizaines d’associations professionnelles), et je suis optimiste, car je sens chez elles la volonté d’aller dans le même sens. Un groupe technique issu du comité de pilotage du projet fera une proposition, qui devra ensuite être validée par l’ensemble des acteurs. Le Département du territoire s’est engagé à parvenir à un consensus sur le chiffrage des valeurs-cibles ou sur des tendances d’ici la fin de l’année». Francesco Della Casa, architecte cantonal genevois