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Metin Arditi

Devenu écrivain à la cinquantaine, le Genevois Metin Arditi publie un roman qui émet une hypothèse à la fois audacieuse et pourtant si réaliste sur l’origine de Jésus. C’est en voulant lutter contre l’exclusion qu’il serait à l’origine du christianisme. Interview.

Le Genevois Metin Arditi.
Le Genevois Metin Arditi. - Copyright (c) Aline Kundig.
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Nous retrouvons celui qui est devenu un écrivain reconnu au restaurant d’un palace genevois. Son dernier roman, « Le bâtard de Nazareth » sorti en mars et rapidement classé dans les meilleures ventes, réinterprète la vie de Jésus. Écrit dans un souffle l’été dernier (en 31 jours…), Metin Arditi émet l’hypothèse qu’à Nazareth, Jésus ne pouvait qu’être considéré comme un bâtard, d’où son exclusion de la société. L’auteur prolonge ici un cheminement intellectuel entamé dès 2007 avec « La fille des Louganis ». L’auteur genevois publiera ensuite plusieurs romans, dont « Rachel et les siens » en 2020 où la colère qui l’habite est canalisée pour combattre ceux qui pervertissent le message d’amour de la Bible.

« Le bâtard de Nazareth », Metin Arditi, 193 pp, Ed. Grasset.diaporama
« Le bâtard de Nazareth », Metin Arditi, 193 pp, Ed. Grasset.

Quel est le message clé de votre nouveau roman ?

L’essence du christianisme, c’est Jésus sur la croix. C’est à cet instant que le message devient universel. Face à la croix, Judas comprend qu’une nouvelle religion va conquérir le monde entier, parce qu’elle s’ouvre à tout le monde. Y compris aux bâtards et aux handicapés. Et chacun de nous y sera attiré, dès lors que notre besoin de consolation est infini.

A vous lire, Judas aurait demandé aux quatre évangélistes d’enjoliver la réalité ?

Absolument. Tout est parti de l’Orient, où l’on embellit, on enjolive. Cela fait partie de la tradition. Tout cela est très oriental. Judas a saisi la portée universelle du sacrifice de Jésus. L’homme abandonné de tous, sur la croix, c’est le bâtard de Nazareth. Je défends l’idée que si le christianisme a conquis le monde, c’est parce que nous sommes tous des bâtards de Nazareth. Si Jésus a accueilli tout le monde et qu’il a fini sur la croix, c’est qu’il était profondément un bâtard de Nazareth. S’il ne l’était pas, il aurait eu une autre vie. Qu’elle qu’ait pu être la manière dont il a été conçu. Il a grandi à une époque où, bien sûr, le village ne pouvait pas ne pas le considérer comme un bâtard, un mamzer (quelqu’un d’illégitime selon la loi juive) ! D’ailleurs, qui a fait le christianisme ? Ce sont trois bâtards : Jésus, Judas et Elie (ndlr. dans son roman, Elie est un petit mamzer qui finit par être assassiné, ce qui va pousser Jésus à poursuivre son combat). Il y a une phrase d’Aharon Appelfeld, le grand écrivain israélien, qui est tellement juste : « Une blessure écoute toujours plus finement qu’une oreille ». L’acte fondateur du christianisme, c’est une immense douleur d’enfant.

Pourquoi ce titre ?

J’avais la possibilité de mettre un titre plus soft, mais j’ai repensé à cette phrase de Kafka : « si tu n’écris pas un livre pour briser de la glace, il ne faut pas l’écrire ». Mon christianisme part de la croix et il s’arrête à la croix. Il y a une phrase très forte dans la Bible : « Qu’as-tu fait de ton frère ? » Elle place le christianisme au pied de la croix. Sur la croix, il y a un mamzer. Et au pied de la croix, il y a la résurrection. Le pivot de la pensée chrétienne, c’est la vie, maintenant, aujourd’hui.

Vous délivrez un grand message d’amour en quelque sorte ?

Il n’y a que cela qui importe. J’imagine qu’il sera reçu par celui qui lira le texte et caché à celui qui s’arrêtera au titre. J’entends rendre à Jésus toute sa dimension humaine. Sur la croix, il est comme nous tous, un homme. Elie, Elie, lema sabaqqtani, dit-il en araméen, Seigneur, Seigneur, pourquoi m’as-tu abandonné ? Il appelle à l’aide et nous montre ainsi que lui, comme chacun de nous, a besoin de consolation.

Dans certains passages, vous critiquez l’aveuglement de certains rabbins.

Bien sûr. Pour être franc, c’est la partie autobiographique. Je ne peux pas supporter qu’on prenne en otage un texte sacré pour en faire un instrument politique. Le fondement de la religion juive, c’est l’amour, la charité et l’accueil de l’étranger. « Tu n’oublieras pas que tu étais étranger en terre d’Égypte», dit le Lévitique. Qu’est-ce que je vois aujourd’hui, dans le cadre de mon engagement au Proche-Orient ? Des ministres d’un État qui se disent missionnés par la religion et qui mènent des actions qui sont en contradiction frontale avec les principes fondamentaux du judaïsme. Comment ne pas être en colère ! Bien sûr que je suis en colère.

Cette colère que vous exprimez, il y a longtemps qu’elle est en vous ?

On forme sa pensée en écrivant. Cette colère date d’une quinzaine d’années, depuis que j’ai commencé à m’occuper avec mes fondations de ce qui se passe au Proche-Orient. Elle date d’octobre 2009. J’étais président de l’Orchestre de la Suisse Romande. L’OSR donnait un concert à l’ONU le 24. Et le lendemain nous partions à Jérusalem-Est avec Eva Aroutunian, directrice du Conservatoire Populaire de Musique, et Steve Roger, son administrateur général. Nous avons fait le voyage le 25. Le 26 octobre, nous nous rendons en Cisjordanie, passant par le check-point de Kallandia. Alors que nous sommes dans le taxi pour nous y rendre, nous longeons un mur, à droite, qui n’en finit pas. Au-dessus du mur, il y a des barbelés. De l’autre côté il y a des êtres humains, pas des bêtes. Je me suis retenu toute la journée, avec beaucoup de peine. Mais quand je rentre à l’hôtel le soir, seul dans ma chambre, j’éclate en sanglots. Quand certains m’attaquent et me traitent d’antisémite, je leur réponds ce que j’ai mis dans la bouche de Jésus répondant au Grand-prêtre du Sanhédrin, Caïphe : « Je suis meilleur juif que toi. »

A la fin de votre livre, vous remerciez deux professeurs de théologie, François Dermange, de la Faculté de théologie de l’université de Genève, et le professeur Daniel Marguerat, de la Faculté de théologie de l’université de Lausanne. Ont-ils relu votre manuscrit ?

Je connais François Dermange de longue date. Il m’a beaucoup soutenu dans ma démarche. Daniel Marguerat a écrit en 2019 le livre sur la vie et le destin de Jésus de Nazareth au Seuil. C’est en lisant un de ses livres que je me suis fait la réflexion : « Et si Jésus était mamzer ? » Cette hypothèse très plausible explique qu’il ait été autant ostracisé. A l’époque, le christianisme n’existait pas. Les gens du village ne pouvaient croire qu’à ce qu’ils voyaient : une jeune fille enceinte hors mariage.

Est-ce que vous vous êtes posé la question de savoir si en rédigeant ce roman, cela pouvait avoir un impact sur vos actions au Proche-Orient ?

L’écriture de ce roman n’a fait qu’affermir mon engagement. A mes yeux, Jésus est l’exemple absolu. Sur la croix, ses bras sont ouverts face à l’injustice des hommes et à la misère. Il montre ce que c’est que d’engager sa responsabilité. Je ne crois qu’en la responsabilité de chaque être.

Un parcours unique

Né le 2 février 1945 à Ankara, Metin Arditi a fondé sa société en 1972, qu’il rebaptisera Financière Arditi par la suite. A partir de 1985, il s’aventure dans l’immobilier. C’est ainsi qu’il est à l’origine du Centre d’affaires Paris-Nord, près de Roissy, du Centre commercial d’Etrembières en France voisine, de l’aménagement du nouveau quartier Gustave-Doret à Lutry en 2000-2002 ou encore du sauvetage de l’ancien cinéma Manhattan. Finalement, la pandémie du Covid l’a convaincu de céder début 2021 la quasi-totalité de son parc d’immeubles locatifs à Genève pour environ 700 millions de francs à des institutionnels.