Architecture

« Nous aimerions construire une fondation d’art en suisse »

Mené par les Français Reda Amalou et Stéphanie Ledoux, le bureau d’architecture AW2 vient de terminer le chantier de l’Hôtel Six Senses à Crans-Montana. Les deux associés ont décidé d’ouvrir une antenne à Genève afin de se développer en Suisse. Interview.

La piscine intérieure du Six-Senses de Crans- Montana, pensée comme un plan d’eau au cœur d’une grotte de montagne.
La piscine intérieure du Six-Senses de Crans- Montana, pensée comme un plan d’eau au cœur d’une grotte de montagne. - Copyright (c) Mikael Bénard
diaporama

Cela fait vingt-cinq ans que Reda Amalou et Stéphanie Ledoux collaborent au sein de l’agence parisienne d’architecture et d’architecture d’intérieur AW2. Les deux associés ont mené des dizaines de projets majeurs à travers le monde. Parmi ceux-ci, l’Hôtel Banyan Tree à AlUla (Arabie saoudite), la Maison de Famille Krug à Reims, ou, encore, le lycée français d’Amman (Jordanie). En Suisse, AW2 vient de terminer la construction de l’Hôtel Six Senses à Crans-Montana et mène, en ce moment, la réalisation du Ritz-Carlton à Zermatt.

Projet Nivalia à Zermatt, ce sont des chalets inspirés par le style architectural des Walser, mêlant pierre et bois.diaporama
Projet Nivalia à Zermatt, ce sont des chalets inspirés par le style architectural des Walser, mêlant pierre et bois.

Vous venez d’ouvrir une antenne en Suisse. Quels sont vos projets dans le pays ?

Aujourd’hui, 25% de notre activité se passe en Suisse. Le projet du Six Senses a, dans son ensemble, pris presque dix ans. Aujourd’hui, nous menons d’autres projets tels que le Ritz Carlton à Zermatt ainsi qu’un autre projet hôtelier, les chalets Nivalia Zermatt, qui est en plein développement. C’est un véritable village dans le village. Notre projet s’insère dans une zone réputée pour maintenir un lien fort entre la nature et ses habitants. Nous travaillons aussi pour des particuliers sur des projets plus ponctuels à Genève et dans les Grisons, à Saint-Moritz et Flims notamment où nous sommes en train de construire des logements.

Quels ont été les plus gros challenges à mener lors de la réalisation du Six Senses de Crans-Montana ?

L’espace de réception du Six Senses de Crans-Montana.diaporama
L’espace de réception du Six Senses de Crans-Montana.

L’un des plus gros challenges a été au niveau du recours à l’énergie. En effet, la charte des Six Senses prévoit d’avoir 50% d’énergie renouvelable dans chaque établissement. La marque se concentre aussi sur le bien-être à l’intérieur de l’hôtel. Tous les matériaux sont contrôlés en termes de potentielle toxicité. Les cuirs sont, ainsi, en tannage naturelle, les tissus sont 100% en coton, les peintures doivent être naturelles et les moquettes 100% en laine. L’établissement ne doit, par ailleurs, pas utiliser de plastique. C’est contraignant, mais assez satisfaisant.

Six Senses est connu pour ses magnifiques spas. Comment est celui de Crans-Montana ?

La piscine de 25 mètres est le cœur du spa, dont une partie est intérieure et l’autre extérieure. Le plafond en bois est majestueux avec 14’000 stalactites qui se réfléchissent dans l’eau. Cela offre un jeu de reflets qui s’ouvre sur la cour intérieure. Nous avons créé à chaque niveau de l’hôtel un contact avec la nature, avec les pistes de ski et la montagne. L’idée était d’amener la nature au cœur du bâtiment. Le cheminement à travers l’hôtel est pensé comme un bisse. Nous avons repris le langage local des passerelles en bois qui servent à l’irrigation en montagne. Cela offre une perception différente du luxe à la montagne. On le perçoit comme un rapport à la nature, pas comme quelque chose de clinquant. On s’approche de l’hôtel expérientiel plutôt que de services.

Quelles sont les plus grandes difficultés quand on construit de tels objets, notamment à la montagne ?

La saisonnalité joue beaucoup. Par exemple, nous ne pouvions pas réaliser certains travaux selon la saison. Nous avons aussi connu des intempéries. L’accessibilité au site fut aussi compliquée puisqu’il est situé sur les pistes de ski. Cependant, nous avons apprécié le fait de pouvoir avoir accès à tous les matériaux nécessaires et aux savoir-faire locaux. C’était un vrai bonheur. Cela a contribué à la qualité et à la richesse du projet.

Lycée français d’Amman en Jordanie, dont l’architecture s’exprime en grande colonnade en pierre d’Ajlun.diaporama
Lycée français d’Amman en Jordanie, dont l’architecture s’exprime en grande colonnade en pierre d’Ajlun.

Quelle est votre plus grande fierté ?

Difficile de choisir parmi «nos enfants». Nous aimons tout ce que nous avons construit. Nous avons toutefois un petit coup de coeur pour le Banyan Tree d’AlUla en Arabie saoudite, construit en plein désert. Mais nous sommes aussi très fiers de l’Hôtel Kasiiya Papagayo réalisé en pleine forêt du Costa Rica.

Vous avez construit aussi des lycées, des bureaux, des logements et le chai des champagnes Krug ? Rien ne vous arrête ?

Non, rien. Nous sommes capables de tout construire. Nous partons à chaque fois de l’idée de faire vivre un lieu. On le contextualise, on utilise les éléments naturels du lieu afin d’y ancrer au mieux le bâtiment.

Qu’aimeriez-vous encore construire ?

Une fondation d’art, et, pourquoi pas, en Suisse. Nous pensons que des bâtiments doivent être hybrides et proposer des expériences. Les bâtiments seront de plus en plus fluides et de moins en moins figés car nos modes de vie sont comme cela. C’est l’avenir de l’architecture.

Comment a évolué votre architecture en trente ans de métier ?

Nous sommes de plus en plus influencés par nos voyages. A chaque projet, nous apportons une part de nous, mais nous apprenons aussi des lieux que nous visitons. C’est ce que nous définissons comme «l’architecture fusion». On renforce à chaque fois la lecture du contexte et l’utilisation de ce contexte pour nourrir notre projet. Ces dix dernières années, cela est devenu de plus en plus visible dans notre démarche professionnelle.

Reda Amalou et Stéphanie Ledoux, du bureau d’architecture AW2.diaporama
Reda Amalou et Stéphanie Ledoux, du bureau d’architecture AW2.

Quelle a été la plus belle reconnaissance pour votre travail ?

Les prix offrent une énorme satisfaction, c’est la reconnaissance et le regard des autres sur notre travail. En revanche, on ne travaille jamais dans
l’objectif d’aller chercher un prix. Le prix intervient souvent très longtemps après la fin de nos projets. Cela nous touche, mais nous sommes souvent sur d’autres projets à ce moment-là.

Comment définiriez-vous votre philosophie ?

Nous cherchons toujours à comprendre le sens du lieu. Nous souhaitons, ensuite, offrir un bâtiment en phase avec l’environnement local.

Qu’est-ce qui fait un bon architecte ?

C’est quelqu’un de sensible qui a envie de travailler pour des personnes et qui, en même temps, respecte les lieux dans lesquels il travaille. C’est une personne qui travaille le vide et non pas le plein. Qui travaille l’espace et non pas l’objet.

15 Nombre d’hôtels construits

2Nombre de Six Senses construits (Vietnam et Crans-Montana)

40Nombre de pays où l’agence AW2 a travaillé

54Collaborateurs

2018Pose de la première pierre du Six Senses de Crans-Montana

30Projets en cours dans le monde