Karl-Friedrich Scheufele

"Nous avons construit la manufacture dans le plus grand secret"

22.02.2022 à 12:38/ Prestige immobilier

La manufacture Chopard de Fleurier vient de fêter ses 25 ans. Elle est le résultat d’une longue restauration d’un bâtiment industriel racheté par étapes. Interview de Karl-Friedrich Scheufele, coprésident de Chopard.

Chopard Manufacture, à Fleurier a 25 ans. Elle fut construite par étapes.
Chopard Manufacture, à Fleurier a 25 ans. Elle fut construite par étapes.
diaporama

Lorsqu’en 1996, une poignée de journalistes ont découvert la manufacture Chopard à Fleurier, personne ne s’attendait à se retrouver devant un immeuble industriel de plusieurs étages, posé au milieu du village. Chopard, à l’époque, en louait un demi-étage : ce n’était pas l’idée que l’on se faisait d’une manufacture. Vingt-cinq ans plus tard, la maison possède l’immeuble tout entier. Ce bâtiment a été entièrement restauré, en respectant à la fois le passé et le présent, notamment la nécessité d’y abriter les ateliers de la manufacture. Il s’agit d’un lieu hybride avec une partie historique construite en 1903 qui fut étendue en 1947 ainsi qu’une aile sud, plus récente, datant de 1966. La partie moderne pouvait recevoir des machines lourdes. Idéal pour une manufacture horlogère. Sous les poutraisons, qui ressemblent à un navire à l’envers, les visiteurs peuvent découvrir le L.U.Ceum, un néologisme créé à partir de Louis Ulysse Chopard et Museum, un musée où l’on peut suivre l’évolution des inventions qui ont servi à calculer le temps depuis les origines. La restauration de l’immeuble, qui totalise 3300 m2, a duré environ cinq ans. « Nous avons créé une double peau tout autour de la structure, qui est à la fois esthétiquement intéressante et qui permet une meilleure isolation », confie le coprésident de Chopard.

En 2009, Chopard a agrandi son fief à Fleurier en ouvrant un nouveau site industriel - Fleurier Ebauches - dédié à la production de mouvements en grande série, sur une ancienne friche industrielle laissée à l’abandon et un an après, le Chopard Forum fut inauguré au sein d’une bâtisse du XVIIIesiècle que le coprésident de Chopard avait acquise en 2004.

Lorsque vous avez décidé de créer la manufacture, le Swatch Group n’avait pas encore décidé d’encourager les entreprises à l’indépendance. Avez-vous eu l’intuition d’un changement radical de l’industrie horlogère ?

Karl-Friedrich Scheufele, co-président de Choparddiaporama
Karl-Friedrich Scheufele, co-président de Chopard

Je ne vais pas prétendre que j’avais eu cette vision-là, mais j’avais le sentiment que le marché allait se rétrécir et que l’on n’allait peut-être plus pouvoir trouver les mouvements que l’on aurait souhaité obtenir. Mais avant toute chose, je voulais que notre marque fasse preuve d’authenticité pour convaincre nos clients de s’offrir un beau garde-temps Chopard aussi pour son mouvement. J’avais le souci de réintégrer tous les métiers horlogers dans cette manufacture.

Vous avez décidé de concevoir un mouvement avec Michel Parmigiani, d’où le choix de vous implanter à Fleurier. Comment tout a commencé ?

Dans le plus grand secret! Avec Michel, nous organisions des meetings de conspirateurs à Fleurier. L’un de mes souhaits était de surprendre le public avec un mouvement terminé et livrable. Comme nous avons commencé en 1993 et que le parcours a duré 3 ans et demi, il fallait prendre quelques précautions. On ne s’est pas rencontrés comme dans les films de James Bond avec un trench et des lunettes noires, mais presque ! Michel Parmigiani nous a livré un premier prototype du mouvement, que nous avons gardé dans le musée. Il nous satisfaisait visuellement, mais il y avait un décalage entre notre vision et la sienne : il travaillait sur de toutes petites séries alors que nous avions projeté des séries plus importantes. Nous avons donc repris le projet et l’avons intégré chez nous. Le mot start-up convient parfaitement à nos débuts.

Au cœur du L.U.CEum, le musée dédié à la mesure du tempsdiaporama
Au cœur du L.U.CEum, le musée dédié à la mesure du temps

Au départ, vous avez investi un demi-étage de l’immeuble. Vous souvenez-vous de ce que vous avez ressenti le jour de l’inauguration de la manufacture en 1996 ?

C’était un moment formidable, mais j’étais aussi très nerveux de voir la réaction des journalistes que nous avions conviés. Parmi eux, il y avait quelques voix critiques, notamment un journaliste allemand qui s’est demandé si nous avions réalisé ce premier calibre Chopard Manufacture L.U.C 96.01-L nous-mêmes. Entre- temps nous lui avons prouvé que oui.

Pensiez-vous qu’un jour la manufacture investirait tout l’immeuble et qu’il ferait des petits, comme Fleurier Ebauches et Ferdinand Berthoud, la marque que vous avez relancée en 2015 ?

Je n’avais pas la moindre idée que l’on allait finir avec tout cela. Nous avons toujours pensé à la prochaine étape, or à l’époque, il s’agissait du prochain mouvement. Quand les locaux sont devenus trop petits, j’ai eu l’idée de racheter tout l’immeuble. Le développement de Chopard à Fleurier s’est fait par étapes.

L’immeuble était la propriété de Swatch Group. Comment s’est passé le rachat ?

Le Chopard forum est situé dans une bâtisse du XVIIIe sièclediaporama
Le Chopard forum est situé dans une bâtisse du XVIIIe siècle

Le bâtiment était entièrement loué à différentes sociétés, parmi lesquelles un fabriquant de bouchons, un fabricant de vélos, un mécanicien qui n’était jamais là, une guggenmusik, et même une secte qui se réunissait les après-midi et le soir ! Une fois le rachat effectué, il a fallu faire partir tout ce petit monde.

Quels sont vos plus grands moments de fierté au fil de ces 25 dernières années ?

C’est indéniablement la sortie du premier mouvement manufacture. Chaque fois qu’un mouvement fait son premier tic-tac, c’est un grand moment. Vous l’observez pour connaître ses performances, comment il fonctionne dans la durée...

Fleurier Ebauches et Ferdinand Berthoud auraient-ils pu exister sans L.U.C Manufacture ?

Oui, mais Ferdinand Berthoud serait resté dans l’histoire horlogère un peu plus profondément caché. J’avais hérité quelques pièces anciennes de mon grand-père et de mon arrière-grand-père et j’avais l’idée d’aménager un musée à Fleurier sur le thème de la mesure du temps. Un jour, j’ai pu acquérir un chronomètre de marine de Ferdinand Berthoud et c’est comme cela qu’il est entré dans ma vie. Par la suite, j’ai pu acquérir la marque. Techniquement parlant, nous n’aurions jamais pu imaginer construire un mouvement Berthoud sans l’équipe de la manufacture. Cela serait resté un rêve.