François Chabanian

« Nous sommes des passeurs d'émotions »

François Chabanian est le fondateur de Bel-Air Fine Art, un réseau de 24 galeries d’art contemporain qui soufflera ses 20 bougies en 2024. Rencontre.

Carole A. Feuerman, Contemplations, 56x46x51 cm, sculpture peinte à l’huile sur résine, édition originale à 8 ex. + 3 E.A
Carole A. Feuerman, Contemplations, 56x46x51 cm, sculpture peinte à l’huile sur résine, édition originale à 8 ex. + 3 E.A
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On peut le dire, Bel-Air Fine Art est une véritable success story dans le monde des galeries d’art, et cela depuis deux décennies. N’en déplaise au microcosme des marchands d’art d’avant-garde qui le snobent, car considéré comme trop commercial puisqu’il défend, lui, depuis ses débuts, l’art figuratif. «La plupart des galeries s’adressent aux élites intellectuelles, estime François Chabanian. Depuis vingt ans, je propose des œuvres, des peintures, des sculptures et des photos contemporaines qui sont accessibles au grand public parce qu’elles procurent une émotion immédiate par leur esthétique.»

La galerie Bel-Air Fine Art Genève.diaporama
La galerie Bel-Air Fine Art Genève.

Avec 24 galeries – dont 7 en Suisse – à son compteur, 70 collaborateurs dont 35 «art advisors», près de 2500 œuvres vendues par année et 40’000 clients, Bel-Air Fine Art arrive dans le trio de tête des plus grands réseaux de galeries d’Europe. Cela ne lui a pourtant pas suffi à être accepté dans les grandes foires d’art telles qu’Art Basel, Frieze London ou le salon Artgenève. «Dans ces foires, les deux tiers des œuvres sont conceptuelles, ce sont des installations ou des vidéos. C’est intellectuellement intéressant, mais elles ne procurent pas d’émotions, elles provoquent plutôt une réflexion. Sans compter que l’art conceptuel ou l’avant-garde sont souvent un effet de mode comme le marché des NFT qui s’est dégonflé rapidement.» Chez Bel-Air Fine Art, cinq mouvements sont défendus : le post-pop art, le street art, l’art optique, le post-surréalisme et la photo contemporaine. Des courants accessibles à un large public d’amateurs. «Nous mettons en avant des œuvres mainstream dans lesquelles les gens peuvent se reconnaître. Ils achètent au «coup de cœur» et non dans un esprit purement spéculatif.»

François & Grégory Chabanian.diaporama
François & Grégory Chabanian.

Avec plus de 80 artistes qu’il représente en exclusivité territoriale et parfois mondiale, François Chabanian peut se targuer d’avoir réalisé un chiffre d’affaires de près de 35 millions de francs l’an dernier. Le panier moyen des galeries se situe autour des 15’000 francs pour des œuvres qui se vendent entre 3000 et 100’000 francs. «Avec la photo, nous avons rajeuni notre clientèle. Les prix sont plus accessibles», explique le fondateur. Ce dernier collabore depuis vingt ans avec son fils Gregory qui s’occupe à ses côtés de la direction des ventes et de la stratégie mais qui a également développé le pôle numérique et les ventes en ligne. Le duo poursuit ensemble le développement de l’enseigne avec l’ouverture prochaine d’un flagship à Bruxelles, d’une galerie à Milan et de la reprise de l’unique galerie d’art d’Annecy. Au total, l’entreprise vise une trentaine de galeries pour «finaliser» le maillage. «Nous avons boosté notre chiffre d’affaires depuis la fin de la pandémie, se réjouit François Chabanian. Cela a démontré notre force et celle de l’attrait de l’art contemporain en général.» Le marchand a par ailleurs l’intime conviction que les gens ont besoin d’un retour au réel avec des expériences en magasin. «Nos clients veulent discuter avec des conseillers en art, voir et toucher les oeuvres, passer un moment devant une photo. On ouvre des galeries car le marché est porteur. Les gens ont plus que jamais besoin d’émotions réelles dans un monde trop souvent virtuel.»

Un pop-up à Confédération Centre

Richard Orlinski et François Chabanian, lors du vernissage de l’exposition à Confédération Centre, Genève.diaporama
Richard Orlinski et François Chabanian, lors du vernissage de l’exposition à Confédération Centre, Genève.

Cet automne, les Genevois ont pu admirer pendant plus d’un mois trois énormes sculptures de l’artiste pop français Richard Orlinski exposées devant Confédération Centre. C’est là que Bel-Air Fine Art a ouvert un pop-up depuis quelques mois. «Nous avons vendu près de 50 œuvres d’artistes
exposées en quelques semaines seulement, se réjouit le fondateur qui souhaite déjà mener d’autres projets dans ce sens à Genève. Nous avons enregistré des milliers de visiteurs durant l’exposition d’Orlinski. Les deux tiers n’étaient jamais entrés chez Bel-Air Fine Art. Beaucoup n’osent malheureusement pas pousser la porte d’une galerie. Nous aimerions remédier à cela. Une galerie doit être un lieu vivant où l’on vient échanger, ressentir les œuvres et avoir une interaction avec elles. »

Jeff Koons et Damien Hirst

Les galeries Bel-Air Fine Art proposent pourtant des artistes pour pratiquement toutes les bourses. Certes, l’enseigne a quelques pièces de Jeff Koons en partenariat avec Bernardaud, des «spin paintings» de Damien Hirst et d’autres célébrités du monde de l’art comme Carole Feuerman et Patrick Hughes. Mais elle propose également des oeuvres d’artistes moins connus. «Je reçois près de 500 dossiers par an. Je n’en sélectionne qu’un ou deux maximum.» François Chabanian écume aussi la majorité des foires d’art contemporain à l’étranger. Et s’amuse à découvrir de jeunes talents tels que les street artists Mihoub ou encore le Suisse Być. Un autre artiste qui a explosé cette année : Peppone, passionné de pop culture, qui travaille sur l’univers de l’enfance, des BD et des dessins animés. Mais le récent coup de cœur du marchand genevois est Daniel Airam, un artiste de chevalet breton. «Il réalise une peinture avec une technicité à l’égal des maîtres flamands des XVIe et XVIIe siècles et de la peinture de la Renaissance italienne sur laquelle il rajoute des graffitis.» Son travail, impressionnant, est un véritable pont entre les siècles. François Chabanian précise : «Il n’y a pas que des rapports économiques entre un artiste et un galériste. Il s’agit d’une vraie rencontre, d’une osmose, d’une mise en commun des compétences. Eux savent peindre ou sculpter, moi je sais créer des espaces pour mettre en scène leurs œuvres.» Il les considère tous comme «ses enfants» malgré leur même défaut, qu’il reconnaît sourire en coin : celui d’avoir souvent un ego surdimensionné, qui serait toutefois intrinsèque à la qualité de leur travail. «La plupart de nos artistes sont comme des vedettes du show-business, mais sont aussi des patrons de PME qui gèrent des ateliers. Ils sont des acteurs à succès d’un modèle économique mondialisé qui s’appelle le marché international de l’art.»

Installé depuis 2007 en Suisse et dorénavant résident de Crans-Montana – où se trouve la holding du groupe –, François Chabanian a des origines arméniennes et italiennes. En 2019, il a obtenu la nationalité suisse. «Mes origines sont importantes, c’est pour cela que j’organise tous les trois ans une exposition d’artistes arméniens.»