Aventure

"Personne n'arrive au sommet tout seul"

Thomas Budendorfer et Karl-Friedrich Scheufele sont deux personnalités qui ne craignent pas de prendre des risques dans leur métier respectif. Interview croisée dans la manufacture Chopard à Meyrin (GE).

Thomas Budendorfer et Karl-Friedrich Scheufele
Thomas Budendorfer et Karl-Friedrich Scheufele - Copyright (c) DR
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Le co-propriétaire de Chopard Karl-Friedrich Scheufele et l’alpiniste Thomas Budendorfer ont la même passion pour la montagne et la nature. Alors que le premier soutient la fondation Alpine Eagle dont le but est la préservation de l’aigle royal dans la région du Léman, le second a révolutionné la grimpe extrême au début des années 1980 en réalisant des ascensions en solitaire sans corde, notamment dans les Alpes, dans les Andes et en Alaska. Il fut également le premier à escalader la face nord de l’Eiger sans corde. En 2019, les deux hommes faisaient connaissance grâce à leur ami en commun, l’ancien pilote automobile Jacky Ickx. Depuis lors, l’alpiniste autrichien porte au poignet le modèle Alpine Eagle de Chopard durant tous ses exploits sportifs. Et les deux personnalités échangent régulièrement sur les notions de prise de risques et de goût de l’effort.

Thomas, vous êtes pionnier de l’escalade en solo libre (sans corde), l’une des disciplines les plus dangereuses au monde. Vous arrive- t-il d’avoir peur ?

Je ressens parfois de la peur avant mes exploits mais je la surmonte en me concentrant sur le présent et en écoutant mon cœur qui me dit d’aller de l’avant. Quand je grimpe, je n’ai presque jamais peur car je me focalise sur le moment présent. La seule chose dont je crains, c’est d’avoir de moins en moins de force. Et c’est stupide car c’est inéluctable.

Que recherchez-vous concrètement durant vos exploits ?

Je cherche à remplir mon potentiel physique et psychologique.

D’où vous êtes venue cette passion de la montagne ? Et du free solo ?

C’est une passion divine. À l’âge de 12 ans, je me suis fixé l’objectif de grimper sur une montagne au fond d’une vallée. Je savais que je devais y aller.

Vous êtes tombé et vous vous êtes blessé plusieurs fois. Comment fait-on pour ne jamais abandonner ? Pour toujours recommencer sans avoir peur ?

On ne peut pas jouer la carte de la sécurité toute sa vie. Il y a toujours un prix à payer si l’on prend des risques. Je considère que prendre des risques m’élève, alors que si je n’en prenais pas, je régresse- rais. Le plus grand risque, pour moi, est de ne pas prendre de risques.

Qu’avez-vous appris de vos accidents ?

Thomas Budendorfer est un pionnier mondial de l'escalade sans corde et un conférencier de premier plandiaporama
Thomas Budendorfer est un pionnier mondial de l'escalade sans corde et un conférencier de premier plan

Mes deux accidents sont survenus bêtement car ils n’étaient pas liés à un grand challenge... La première fois, je posais pour une photo et j’ai fait une chute de 20 mètres. Et la deuxième fois, en 2017, c’est à cause d’un burn-out. Je descendais une cascade en rappel et je n’ai pas vu le danger. J’ai appris que je n’étais pas immortel. Et surtout qu’il ne fallait pas faire des choses pour briller dans la lumière, pour son ego. Il faut s’écouter et écouter son corps.

Êtes-vous quelqu’un de très discipliné ?

Si je suis motivé, je peux faire les choses à fond, comme me documenter durant mes entraînements. Si un projet ne m’intéresse pas, je ne le fais pas.

Quel est votre rapport aux risques ?

En règle générale, je sens si je fais un pas de trop. Je ne prends pas de risques.

Qu’est-ce que vous rêveriez de réaliser encore ? Un exploit sportif ou autre ?

J’aimerais terminer mon 7ème livre, le premier en anglais. Il s’agit d’une réflexion sur la vie et sur toutes mes différentes expériences vécues.

Vous parlez de l’importance de vos amis et mentors. Que vous apportent-ils ?

Personne n’arrive au sommet tout seul.

Qu’est-ce qui vous motive encore aujourd’hui ?

J’ai l’impression que je peux toujours faire mieux, que je n’ai pas réalisé tout mon potentiel. Cela me rend curieux, me titille. J’aimerais toujours faire mieux.

Vous êtes aujourd’hui conférencier dans le monde entier. Qu’aimez-vous enseigner aux autres ?

J’aimerais que les propriétaires d’entreprise soignent aussi bien leurs employés que leurs machines.

Vous portez une montre Chopard à chacun de vos exploits. Quel rapport entretenez-vous avec le temps ?

Je prends le temps qu’il faut. J’ai souvent réalisé des records en temps mais ce n’était jamais le but en soi. Le temps est, certes, important mais on ne grimpe jamais contre le temps. Il faut l’observer. Le temps est mon ami, pas mon ennemi.

Vous avez commencé à grimper à l’âge de 14 ans, comment est-ce que ce sport a évolué ces quarante dernières années ?

Les jeunes vont escalader dans les salles et moins dans les montagnes. Ils prennent moins de risques. Leur esprit n’est plus entraîné à faire face à l’aventure et aux aléas de la nature et de la montagne. Ils sont très forts physiquement, mais il leur manque le côté spirituel, créatif, expérientiel.

Karl-Friedrich Scheufele, quel est votre rapport à la montagne ?

J’ai toujours aimé la montagne, elle me ressource, m’inspire. Je skiais enfant et cela fait plus de trente ans que je pratique du ski de randonnée. Cela me permet de méditer et de trouver des idées pour le travail. Je passe de plus en plus de temps dans notre chalet de Lauenen (BE).

Sur quels autres points rejoignez-vous Thomas ?

Dans mon métier, j’essaye constamment de me dépasser. Je ne le fais pas tout seul, mais avec toute l’équipe. Quand une montre sort, je pense tout de suite à la prochaine. Je veux toujours faire mieux. Je ne suis pas celui qui va contempler ses exploits. Je suis à la recherche d’une nouvelle performance, d’un détail esthétique ou autre. C’est la passion, le plaisir de le faire.

THOMAS : nous ne sommes pas faits pour nous reposer sur nos succès. Ce sont les chemins qui nous intéressent.

Qu’admirez-vous le plus chez lui ?

La version chronographe automatique de l'Alpine Eagle XL Chrono en Lucent Steel a été réalisée dans la manufacture Chopard à Fleurier, après dix ans de développementdiaporama
La version chronographe automatique de l'Alpine Eagle XL Chrono en Lucent Steel a été réalisée dans la manufacture Chopard à Fleurier, après dix ans de développement

La consistance, la régularité avec laquelle il semble s’entraîner. J’aimerais juste pouvoir faire un dixième de cela. Je n’ai pas cette discipline pour le faire. Cela me manque. Je me trouve toujours des excuses. Et ensuite je regrette. Je devrais faire plus attention à ma santé.

THOMAS : J’ai eu un coup decœur en voyant une photo de la Alpine Eagle dans la vitrine du magasin Chopard à la Bahnofstrasse à Zürich. Je me suis dit que cette montre était faite pour moi. J’admire la créativité de la marque, cela parait simple alors que c’est techniquement très compliqué. J’admire aussi sa vision et les risques qu’il prend. Quand il prend une décision, elle impacte toute une entreprise et deux milles collaborateurs. Ce n’est pas mon cas, quand je prends un risque, je suis le seul impacté.

Quels sont les plus grands risques que vous aillez pris ?

Probablement lorsque j’ai créé la manufacture à Fleurier avec la conviction qu’il fallait faire fabriquer nos propres mouvements chez Chopard. Nous nous sommes lancés avec quelques personnes et quelques machines. Je me suis posé beaucoup de questions, j’ai eu quelques déceptions, mais le risque a payé.

Prenez-vous des risques différemment aujourd’hui ?

Je réfléchis plus aujourd’hui. Je calcule, prévois et tiens un budget. Mais il y a toujours une décision finale à prendre. Et là, on ne peut pas tout prévoir.

Comment gérez-vous le stress ?

Je m’échappe à la montagne pour marcher. Je me mets au volant d’une vieille voiture. Cela me permet de ne penser à rien d’autre car je dois me concentrer. Je suis dans le ici et maintenant, ça me calme.

Qu’est-ce qui vous motive encore aujourd’hui ?

La découverte. Avancer. Trouver de nouvelles idées. Une complication que nous n’avons pas encore réalisée. J’ai toute une liste dans ma tête que je ne partage pas forcément. Certaines personnes auraient trop tendance à vouloir me freiner. Je travaille aussi pour une prochainegénération, pour assurer une continuité.

Avez-vous connu des échecs ? Et comment les gérez-vous ?

Quand nous développons des mouvements de montres, je calcule automatiquement avec des difficultés ou des échecs. Il y en a parfois au niveau de la mécanique et des délais qui ne suivent pas. On a dû fermer aussi quelques boutiques qui ne fonctionnaient pas. Mais j’ai appris à relativiser et à vivre avec. Il faut juste motiver les employés à trouver des solutions.