Peut-on être féministe et engager une femme de ménage?
Quand on se libère de ses tâches ménagères, à qui incombent-elles? De quoi donner des insomnies aux féministes. Pour se donner bonne conscience, certaines ont recours à des entreprises de nettoyage, mais l’éthique professionnelle n’y est pas toujours au rendez-vous. Décryptage.

Peut-on être féministe et déléguer nos tâches domestiques? C’est la question que s’est posée la journaliste Rose-Aimée Morin. Tout commence avec la lecture d’un livre, Là où je me terre (Ed. du remue-ménage). L’autrice, Caroline Dawson, y raconte l’immigration canadienne d’une famille qui fuit le Chili de Pinochet. Si le quotidien est dur pour tous, c’est surtout celui de la mère de famille, réduite à faire des ménages, qui bouleverse. Et pour cause. Derrière ce récit se cache une histoire vraie. Celle de la mère de l’autrice qui, toute sa vie, a travaillé pour des femmes célèbres. «Des écrivaines et des politiciennes, confie Caroline Dawson. Dans l’ombre, elle leur permettait de se libérer de leurs tâches domestiques pour effectuer leur travail. Mais pendant ce temps-là, si ma mère tombait malade, elle perdait son salaire. Si elle devait rester à la maison pour ses enfants, elle n’avait pas de congé payé. Si sa cliente partait en vacances pour un mois, elle n’avait plus de revenus.» Ses employeuses étaient pourtant des féministes engagées.
«Il y a quelque chose qui ne va pas si, du haut de nos diplômes et de nos privilèges, on juge que notre temps est assez important pour embaucher une femme moins privilégiée que nous, question qu’elle exécute ce qu’on n’a pas envie de faire», s’indigne Camille Robert, autrice de Toutes les femmes sont d’abord ménagères (Ed. Somme toute).
Dysfonctionnements
Instable, irascible, inéquitable: le dirigeant crée une atmosphère délétère
Pour résoudre ce dilemme, Caroline Dawson a eu recours à une entreprise qui s’occupe de verser des salaires stables aux employées, de leur offrir des vacances et des congés maladie. «Ne pas être l’employeuse directe était la seule façon de me réconcilier avec l’entretien domestique», explique-t-elle. Cette solution est, bien entendu, imparfaite. On le sait, il arrive qu’une entreprise se comporte aussi mal qu’un particulier. Ainsi, une enquête du Blick a récemment dénoncé les dysfonctionnements d’une plateforme spécialisée dans les ménages privés. Horaires de travail expansifs, heures supplémentaires non payées, demandes répétées de venir au bureau lors d’arrêts maladie figuraient parmi les griefs soulevés.
Comment s’assurer de l’éthique des entreprises qui emploient nos agents de propreté? «Le poisson pourrit toujours par la tête», dit un proverbe chinois. Autrement dit, à l’origine d’un dysfonctionnement au sein d’une organisation, on trouve toujours ses dirigeants et managers. Ceux-ci donnent le ton. Posés, équilibrés, justes: ils fédèrent et génèrent un climat positif. Instables, irascibles, inéquitables: ils créent une atmosphère délétère. Il y a ainsi un véritable trickle-down effect (effet de ruissellement) des valeurs. Lorsque le sommet de la pyramide est bienveillant, l’attitude du dirigeant se répand chez les cadres intermédiaires qui se montrent à leurs tours bienveillants envers leurs équipes, lesquelles mettent ensuite du cœur à l’ouvrage.
Ces renseignements peuvent être facilement obtenus en consultant les avis déposés sur des sites web tels que Glassdoor, où les anciens employés évaluent sans langue de bois leur environnement de travail. C’est en consultant ces avis – et non les communiqués des directeurs Marketing qui martèlent les «valeurs» de l’entreprise – que l’on découvre le vrai ADN d’un employeur.
Le plus beau métier du monde
Certains argueront que l’on ne devient pas agent de propreté par plaisir et que ce travail reste ingrat, même lorsque l’employeur est bienveillant. Thierry Pick balaye ces idées reçues. «Lorsque les conditions sont bonnes, les agents de nettoyage tirent une grande satisfaction et fierté de leur travail.» Avant de fonder en France son entreprise de nettoyage Clinitex en 1980, Thierry Pick a commencé par laver des sols et nettoyer des toilettes. «C’est le plus beau métier du monde», clame-t-il. «Etonnant, non?», dirait Pierre Desproges. Pourtant, à y regarder de plus près, cela fait sens. Véritable tornade blanche, Thierry Pick a très vite été reconnu par ses clients qui lui ont témoigné considération. Le bouche-à-oreille, la meilleure des mesures de marketing, a fait le reste. Unique salarié de son entreprise, il s’est rapidement trouvé débordé. La suite est connue des professionnels du management. La croissance de Clinitex, véritable référence du «management libéré», a été fulgurante.
«Chez nous, il n’y a que deux catégories de salariés: les «seigneurs», soit ceux qui nettoient, et les autres, qui sont à leur service»
Aujourd’hui à la tête d’une équipe de plusieurs milliers de collaborateurs, Thierry Pick assure que son succès – 98% des salariés se déclarent heureux ou très heureux – tient à deux conseils prodigués par son père, lui-même entrepreneur: «On ne peut pas travailler comme on avale une purge (médecine infecte à ingérer)» et «Tu fais semblant de me payer, je fais semblant de travailler». «Dans sa première image, papa voulait me dire que la notion de plaisir au travail est un prérequis pour la qualité du travail fourni. Dans la seconde, il m’invitait à me pencher sur le sujet de la reconnaissance», étant précisé que celle-ci n’est pas que pécuniaire. «J’ai compris très tôt que la clé du succès de l’entreprise serait le bien-être de mes agents de propreté, raison pour laquelle il n’y a que deux catégories de salariés chez Clinitex: les «seigneurs», soit ceux qui nettoient, et les autres, qui sont à leur service.»
A noter que Thierry Pick, ex-cancre diplômé de l’école de la vie, comprend la nature du travail de ses équipes. Difficile d’exiger des journées à rallonge et de refuser le paiement des heures supplémentaires lorsque l’on a soi-même parcouru «une lieue dans les mocassins» de l’autre, comme l’indique la prière sioux... De quoi rassurer les féministes qui font appel à ses services.