Défi énergétique

Plongée en eaux troubles: la rénovation

Par peur de se noyer dans un océan de complexité juridique, financière et technique, les propriétaires sont encore nombreux à ne pas avoir rénové leur bien. Fin août, sept experts ont fait le point lors d'un séminaire CGI Conseils afin d'appréhender au mieux cette vague d'interventions.

Une approche pluridisciplinaire s'avère indispensable aujourd'hui pour rénover un bâtiment
Une approche pluridisciplinaire s'avère indispensable aujourd'hui pour rénover un bâtiment - Copyright (c) Freepik
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C’est le moment, il faut se lancer. Les subventions déferlent telles un tsunami et incitent les propriétaires à rénover leur bien, enlevant une partie du frein financier. Reste alors les contraintes législatives, administratives et techniques, mais là encore pas de panique: les spécialistes sont devenus de réels chaperons en la matière. Sept d’entre eux ont d’ailleurs été réunis fin août à Genève lors d’un séminaire immobilier organisé par CGI Conseils. Au menu de ce sprint oratoire, approches et solutions concernant les façades, les fenêtres, la toi- ture, le solaire, la ventilation, la production de chaleur ou encore le monitoring ont été exposées afin que tout passage à l’acte de rénovation se transforme en joli plongeon plutôt qu’en risque de plateau.

L’enjeu de la priorisation

Premier expert à prendre la parole, Raphaël Elio, directeur d’Hestera (société de conseils énergétiques), a pointé du doigt le facteur clé d’une rénovation réussie: la planification. «Si je fais un parallèle avec la médecine, avant toute intervention chirurgicale majeure, un médecin évalue d’abord l’état général de son patient. Il en va de même pour un bâtiment. Or, trop souvent nous observons des rénovations menées de manière ponctuelle, sans vue d’ensemble des besoins», indique- t-il. Ainsi, afin d’éviter de transplanter un cœur flambant neuf dans un corps malade (une pompe à chaleur dans un immeuble mal isolé/ventilé), Raphaël Elio préconise l’anticipation: «Avoir l’état général d’un bâtiment permet de déceler le potentiel d’amélioration, de prioriser les travaux du plus urgent au plus futile et de s’assurer de la synergie entre les interventions pour un investissement optimal.» Une rénovation effectuée dans les règles de l’art devrait donc se dérouler en quatre étapes.

Réaliser un pré-audit énergétique ou CECB+, soigner l’enveloppe du bien, optimiser ou remplacer les aspects techniques et enfin, mettre en place une surveillance continue (pour s’assurer des effets escomptés). Autrement dit, une approche pluridisciplinaire s’avère indispensable aujourd’hui pour rénover un bâtiment. Terminés les devis fournis par diverses entreprises en solitaire. Pour son projet, on s’entoure d’un pool de spécialistes qui travailleront ensemble pour définir les besoins.

Trois manières d’isoler sa façade

Les principales sources de déperdition de chaleurdiaporama
Les principales sources de déperdition de chaleur

Parmi eux, Jean-Michel Gros, directeur de Bertolit SA, est habitué à rénover bon nombre des enveloppes d’édifices genevois. Selon lui, trois périodes de construction vont déterminer le type d’intervention et le coût d’une isolation de façade. Tout d’abord, les immeubles du 19e siècle à la protection patrimoniale forte où l’on ne pourra agir que sur un seul élément de façade: le crépi. «L’unique option connue à ce jour pour isoler est le crépi isolant aérogel. Il est intéressant car les 2 premiers centimètres permettent déjà de diviser par deux les déperditions de chaleur», décrit-il.

En ce qui concerne les bâtiments construits en 1900-1950, qui se déclinent habituellement en répétition d’immeubles classiques avec des balcons côté rue et une façade simple côté cour, la protection patrimoniale est moindre, ce qui permet une isolation thermique par extérieur crépi (solution la plus adaptée). Finalement, on retrouve les immeubles datant de 1950-1990, une période caractérisée par la diversité architecturale qui implique des scénarios d’isolation multiples. «On peut faire à peu près tout ce que l’on veut mais une étude CECB est alors nécessaire pour donner des variantes, des directives et une estimation juste des coûts», conclut Jean-Michel Gros.

Le casse-tête des fenêtres

Si changer une fenêtre paraît simple au premier abord, c’est en réalité un des éléments importants à ne pas délaisser dans son projet de rénovation. «La faute à de nombreuses mises en conformité qu’il faut contrôler impérativement», souligne Thomas Gindraux, directeur commercial de Gindraux Fenêtres SA. Une liste longue comme le bras de contraintes qui peuvent rallonger la durée d’un chantier ou la facture finale du simple au double.

Avant d’installer un modèle de fenêtre, on s’assure donc que le bâtiment est conforme à l’article 56A, qu’il est protégé ou non, qu’il y’a ou pas des exigences phoniques, que les fenêtres ne contiennent pas de substances dangereuses (amiante, etc.), de la valeur thermique des fenêtres, de la sécurité (attention aux normes de garde-corps), on vérifie l’isolation des caissons de stores, on tient compte des besoins d’aération des locaux, de l’étanchéité, on prévoit une isolation périphérique dans l’embrasure des fenêtres et on n’oublie pas la sécurité sur les chantiers.

La toiture, une zone vulnérable

La toiture reste l'une des principales sources de déperdition de chaleurdiaporama
La toiture reste l'une des principales sources de déperdition de chaleur

Principale source de déperdition de chaleur dans un bâtiment, la toiture doit faire l’objet d’une attention particulière. A sa- voir qu’une toiture en pente ayant été refaite plus de quinze auparavant, a 9 chances sur 10 que son isolation ne soit plus aux normes actuelles. Quoiqu’il en soit, une analyse approfondie de la toiture est bénéfique lorsque l’on entame un vaste chantier de rénovation. Le propriétaire pourra alors être conscient des possibilités qui s’ouvrent à lui en matière de praticabilité (toiture plate), de solaire ou de végétalisation extensive.

Le directeur de Borga Toitures SA, Lucas Borga, émet néanmoins quelques craintes par rapport à ce champ des possibles: «Les toitures deviennent aujourd’hui de véritables usines à gaz avec plein de possibilités mais ce qui doit primer avant tout, même avant le prix, c’est l’étanchéité.» Trois critères essentiels sont à garder en tête en rénovant sa toiture: l’isolation thermique, l’épaisseur et la membrane d’étanchéité.

Et produire de l’énergie?

Lors d’une rénovation, on peut se contenter d’améliorer l’existant ou alors aller plus loin. Certaines réglementation ne laissent pas vraiment le choix, comme le remplacement de sa chaudière à mazout, mais qu’est-il possible de faire concrètement? Le premier outil technique disponible est le solaire thermique, des panneaux posés sur le toit qui utiliseront l’énergie solaire pour distribuer l’eau chaude sanitaire du bâtiment. Autrement, très en vogue, les panneaux photovoltaïques se servent quant à eux de l’énergie solaire pour la transformer en électricité. Plus complexe et onéreuse mais efficace, la ventilation avec récupération d’énergie a été présentée par Philippe Caparco, directeur de Services Plus Energies SA: «Ce type d’installation traite l’air extrait des logements par la ventilation qui traverse ensuite une pompe à chaleur qui revalorise ensuite cette énergie pour la production d’eau chaude.»

Son alternative, nommée «ventilation hygroréglable», fonctionne pour sa part en tenant compte de l’humidité des salles d’eau. Aussi, afin de substituer la production de chaleur fossile en renouvelable, les réseaux structurants sont en plein boom, centralisant la production de chaleur pour alimenter les bâtiments du réseau. Enfin l’option des pompes à chaleur se décline quant à elle en trois familles. Les air-eau (l’énergie est captée par l’air extérieur), eau-eau et géothermie (captent les calories dans le sol ou dans les nappes phréatiques). «Des nouveautés qui ont complètement chamboulé notre profession de chauffagiste, il faut donc être attentifs aux compétences revendiquées par les professionnels que vous engagez», met en garde Antoine Guigue, directeur commercial de CGC Energie SA.

Monitorer pour patienter

Pour finir, au vu des nombreux éléments concernés, rénover un bien semble prendre une éternité. Alors qu’abaisser son IDC (Indice de dépenses de chaleur) est urgent pour certains. L’optimisation rentre alors en jeu, «en tant que complément et non substitut», tient à rappeler Maël Perret, cofondateur d’E-nno Switzerland SA. L’idée étant de se servir des données d’un bâtiment, en le monitorant, pour bénéficier d’une aide à la décision au départ (être plus ambitieux par exemple), d’un accompagnement lors de la phase de travaux (permet de mieux dimensionner et prioriser) et d’un contrôle à posteriori (comparaison avec les objectifs). Une corde de plus à ajouter à son arc sur la voie de la transition énergétique. Place désormais à l’action, équipés et épaulés, les propriétaires n’ont donc plus qu’à se jeter à l’eau.