Étude

Quand la rénovation n'est plus une option

Une analyse inédite a observé l’impact des nouvelles lois énergétiques sur le parc immobilier des cantons de Vaud et de Genève. Chiffres à l’appui, les conclusions démontrent l’intérêt d’agir vite pour les propriétaires.

En l’absence de stratégie claire, jusqu’à 10% des immeubles résidentiels pourraient être mis en vente sur 20 ans
En l’absence de stratégie claire, jusqu’à 10% des immeubles résidentiels pourraient être mis en vente sur 20 ans - Copyright (c) BN Conseils
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« Vendre ou assainir, il faut choisir », tel pourrait êtrele nouveau credo des propriétaires de l’Arc lémanique. Mis sous pression par des réglementations environnementales toujours plus strictes, certains se sont mis en quête de la bonne stratégie à adopter. D’autres attendent de voir ce qu’il pourrait se passer, faute de plan concret à appliquer. De leur côté, les cantons ont accéléré la cadence. Tandis qu’à Genève, le nouveau Règlement d’application de la loi sur l’énergie fixe des seuils d’indices de dépense de chaleur aux biens immobiliers résidentiels, dans le canton de Vaud, la législation en cours d’élaboration prévoit le remplacement progressif des étiquettes énergétiques minimales du CECB d’ici 2040.

Deux modes opératoires mais un seul but visé: diminuer les émissions de carbone de nos bâtiments énergivores (60% sont encore chauffés aux énergies fossiles en Suisse). Dans ce contexte mouvant et quelque peu incertain, le cabinet BNConseils a souhaité faire le point avec une étude inédite, parue fin mai, afin d’aiguiller les propriétaires sur ce que ces changements impliquent véritablement. Voici ce qu’il faut retenir.

Qui est concerné?

Près de 26’000 immeubles devront être rénovés dans le canton de Vaud en 20 ans, ce qui correspond à plus de 76% du parc immobilier cantonal. Concrètement, environ quatre rénovations par jour devraient être réalisées, pour un coût quotidien avoisinant les 4,2 millions de francs si l’on souhaite tenir les objectifs. À Genève, ce sont environ 12’000 immeubles qui sont concernés (81 % du parc immobilier) pour unmontant de 2,1 millions de francs et deux rénovations à effectuer par jour sur 20 ans.

Quelles options s’offrent aux propriétaires?

«Certains immeubles pourront se satisfaire de quelques opérations d’optimisation très légères pour passer du bon côté de la barrière mais d’autres devront faire face à des investissements beaucoup plus lourds. Dans tous les cas, il n’y a pas de recette magique et la stratégie doit se décider au cas par cas», précise Romain Nicod, directeur adjoint de BN Conseils. Les propriétaires vont néanmoins devoir choisir entre quatre scénarios d’adaptation d’après les auteurs de l’analyse:

  1. L’ENTRETIEN MINIMAL: avec le risque d’une dévaluation progressive du bien et, à terme, d’une liquidation. Ce scénario consiste à assurer une maintenance courante sans amélioration énergétique mais l’absence de modernisation réduit l’attractivité du bâtiment, prolonge les périodes de relocation et augmente le risque de vacance. Les experts recommandent donc ce scénario pour les immeubles construits après les années 2000 (uniquement dans un horizon fixé à un cycle de rénovation pour éviter toute perte de liquidité).

  1. DES TRAVAUX CIBLÉS: rénovations d'entretien significatives, permettant de maintenir la valeur locative sans viser une performance énergétique optimale. Les experts recommandent ce scénario pour les immeubles construits entre 1980 et 2000 et étant aux énergies fossiles.

  1. LA RÉNOVATION COMPLÈTE: amélioration énergétique en profondeur, valorisation du bien et renforcement de sa compétitivité à long terme. Les experts recommandent ce scénario pour les immeubles construits avant 1980 et étant aux énergies fossiles.

  1. LA CESSION DE L’ACTIF: décision stratégique visant à optimiser la rentabilité et limiter les risques. Ce scénario est à recommander pour les propriétaires qui ne peuvent pas porter eux-mêmes la transition écologique.

Combien cela va-t-il coûter?

Coût d'assainissement des parcs immobiliers (en milliards)diaporama
Coût d'assainissement des parcs immobiliers (en milliards)

Les rénovations énergétiques des immeubles de plus de trois logements, rendues obligatoires par les nouvelles lois à l’horizon 2040, représenteront un coût total estimé à 15 milliards de francs pour Genève et 30 milliards pour le canton de Vaud. BN Conseils rappelle que les subventions couvrent 29% des rénovations en Suisse à l’heure actuelle, avec de fortes disparités selon les cantons. Pour les propriétaires vaudois typiquement, en 2025, le budget alloué aux rénovations énergétiques s’est élevé à 61 millions de francs (27 millions de francs provenant du Canton et 34 millions de la Confédération). À Genève, la grande majorité des subventions pour la rénovation énergétique des bâtiments a augmenté au 1er juin 2024 à la suite de l’approbation d’une enveloppe extraordinaire de 500 millions de francs financée par le Canton et le Programme Bâtiments de la Confédération.

«Il faut toutefois faire attention. Bien que ces aides diminuent les coûts pour les investisseurs et restent un levier indispensable pour rendre ces rénovations économiquement viables, ces subventions ne sont pas là pour compenser une absence de rentabilité. C’est un levier d’activation pour réduire le risque initial, accélérer la décision et éviter une fracture entre grands et petits propriétaires, mais ce n’est pas une béquille», souligne Emanuel von Graffenried, directeur et associé de BN Conseils. Autre incitatif: la baisse du taux directeur de la BNS à 0,25% en mars 2025 qui a amélioré les conditions de financement des rénovations énergétiques et renforcé l’attractivité du secteur immobilier. Les auteurs de l’étude recommandent ainsi aux investisseurs d’anticiper les évolutions, de tirer parti des subventions disponibles et d’aligner leurs actifs sur les standards ESG afin de préserver la valeur de leur patrimoine.

Est-ce que rénover vaut le coup?

L’investissement dans cette transition énergétique sera effectivement significatif et nécessitera un capital disponible pour le propriétaire. En revanche, à long terme, la valeur du parc immobilier passerait de 155 à 195 milliards de francs dans le canton de Vaud et de 125 à 150 milliards à Genève. Ce qui représenterait un retour sur investissement des travaux d’environ 3 à 5%. La rentabilité des investissements dépendra toutefois fortement des caractéristiques du bien: plus un bâtiment est grand, moins les coûts au mètre carré seront importants.

Les petits propriétaires sont-ils condamnés à vendre?

En l’absence de stratégie claire, jusqu’à 10% des immeubles résidentiels pourraient être mis en vente, faute de moyens pour engager les travaux nécessaires. L’étude souligne un écart de préparation entre les propriétaires privés, plus exposés aux pressions du marché, et les institutionnels, souvent mieux armés pour anticiper les nouvelles exigences. Pour les institutionnels, les rénovations se justifient souvent par l’augmentation de la valeur locative et de la valeur de marché des biens après travaux. A contrario, pour certains petits propriétaires, copropriétaires de PPE ou bâtiments situés dans des régions périphériques, ces rénovations ne s’avèrent pas nécessairement toujours rentables. «Il y a un réel risque de désengagement des petits propriétaires. Faute de moyens, par manque de visibilité réglementaire ou de soutien administratif et en raison de la complexité technique de la gestion de ces travaux (souvent plus redoutée que le coût lui-même), nombre d’entre eux seront contraints de se séparer de leur bien», commente Romain Nicod.

Et les locataires dans tout ça?

Indirectement, l’étude nous éclaire sur les conséquences possibles des rénovations sur les loyers et les conditions de vie. Elle aborde le sujet des tensions sociales et opérationnelles croissantes auxquelles il faudra s’attendre à l’avenir. En effet, les rénovations massives génèrent des nuisances, des hausses de loyers, et une pression sur les entreprises du bâtiment. Cela risque d’entraîner des résistances de la part des locataires et des retards dans les chantiers.

En conclusion?

Le message central véhiculé à travers cette étude est celui d’un appel à la lucidité et à l’anticipation. BN Conseils tente d’alerter les propriétaires sur l’ampleur des transformations réglementaires en cours, tout en leur fournissant des outils pour y faire face. Puisque la transition énergétique impose aux propriétaires d’anticiper les évolutions légales, de repenser leur stratégie et d’adapter leur parc immobilier afin d’assurer sa pérennité et sa valorisation. Une approche proactive de leur part sera attendue et composée de piliers fondamentaux que nous énumère Emanuel von Graffenried: «Faire estimer son immeuble, réaliser une expertise, obtenir sa note énergétique ou son IDC, collecter les données nécessaires et se faire accompagner par un professionnel pour comprendre l’ampleur potentielle attendue des travaux. À noter qu’un chantier, la consolidation de l’état locatif et l’atteinte des loyers du marché peuvent prendre jusqu’à dix ans donc il faut pouvoir se projeter loin.» Reste que les experts sont unanimes sur le fait que la transition est souhaitable et réalisable mais pas à n’importe quel prix, ni à n’importe quelles conditions.

D’où sortent les chiffres de l’étude?

Les résultats de l’étude s’appuient sur des données consolidées durant quatre mois, issues du parc immobilier géré par le Groupe Bernard Nicod (plus de 2400 immeubles), ainsi que sur l’analyse de 73’000 permis de construire et de plus de 181’000 annonces de location, en collaboration avec Quanthome SA (pour la partie quantitative) et la société MLL Legal (pour les aspects légaux).