Œnologie - Neuchâtel

Quand le vin est une mélodie

Le compositeur et critique musical Jean-Philippe Bauermeister tient depuis presque cinquante ans un commerce de vins au centre-ville de Neuchâtel. Etabli dans une cave datant du XVe siècle, il rend ainsi hommage à la longue tradition viticole du canton.

Au milieu de la cave trône un piano, avec ses partitions prêtes à être interprétées
Au milieu de la cave trône un piano, avec ses partitions prêtes à être interprétées - Copyright (c) Guillaume Perret/Lundi13
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C’est au 21 rue des Moulins, dans le centre-ville de Neuchâtel, que se trouve le commerce de vins de Jean-Philippe Bauermeister. En quittant la rue, il faut s’engager dans un couloir tout de pierre et de voûtes, datant du XVIe siècle. Alors que l’on s’avance, un air de musique classique emplit tout l’espace. Et puis, on pousse la porte, et l’on se retrouve dans une cave à vin au milieu de laquelle trône un piano, avec ses partitions prêtes à être interprétées. La boutique existe depuis 1972. «Je suis parti de rien, témoigne l’occupant des lieux. Mon épouse est française, je me rendais ainsi souvent en France. En grand amateur de vin, j’en ramenais régulièrement de bonnes bouteilles et je les distribuais dans mon entourage. Un jour, elle m’a dit: pourquoi tu n’en vendrais pas? C’est ainsi que tout a commencé.» A l’époque, Jean-Philippe Bauermeister vit de son activité de professeur de piano et de critique musical, puis d’enseignant de musique au gymnase. Avec le temps, il prend goût au commerce et développe cette activité. «Et puis, je suis arrivé à l’âge de la retraite. Mais cela ne m’intéressait pas, d’être retraité.»

La musique en toile de fond

Pour concilier ses deux passions, le mélomane se met à organiser des concerts dans la cave à vin qui lui fait office de boutique. Chant et piano, jazz, musique folklorique: avant la pandémie, Jean-Philippe Bauermeister organise huit soirées musicales par année pouvant accueillir une trentaine de personnes, en faisant venir des musiciens de son réseau ou en acceptant des demandes spontanées d’artistes cherchant un lieu pour se produire.

Quand il n'y a pas de clients, je me mets au piano

A côté de la vente de vins, il s’occupe par ailleurs toujours des Chambristes, un «orchestre de chambre à géométrie variable», qui joue en trio d’anches ou en quatuor à cordes en fonction des projets. Dans sa cave, même si les soirées musicales sont à l’arrêt depuis bientôt deux ans, le piano garde son utilité, au milieu des bouteilles. «Vous savez, je ne reçois pas de clients en permanence. Alors, quand il n’y a personne, je joue quelques morceaux ou j’en compose de nouveaux.»

Jean-Philippe Bauermeister favorise les producteurs de petite et moyenne taille pour proposer à la clientèle des exclusivitésdiaporama
Jean-Philippe Bauermeister favorise les producteurs de petite et moyenne taille pour proposer à la clientèle des exclusivités

Les bouteilles que l’on trouve dans la cave de Bauermeister Vins viennent essentiellement de France, mais aussi un peu de Suisse et d’Italie. «Je n’ai aucun intérêt à vendre des vins neuchâtelois. Ici, les gens se rendent directement chez le vigneron.» Chaque cru français est sélectionné après visite chez le fournisseur, avec l’optique de favoriser les producteurs de taille petite et moyenne et pouvoir ainsi proposer à la clientèle des exclusivités. Le respect du terroir, des cépages et de la personnalité du vin est son principal critère de choix. Les gammes de prix s’échelonnent de 10 à 100 francs, avec quelques crus à acquérir pour plusieurs centaines de francs, comme les grands châteaux de Bordeaux, du Lafitte-Rothschild par exemple.

«Ce lieu a une longue histoire», raconte Jean-Philippe Bauermeister. La cave en tant que telle date du XVe siècle, et la réserve attenante du XIVe. Sur l’une des voûtes en pierre, une échancrure fait deviner la présence d’un pressoir, dont le bras avait nécessité de tailler un peu la roche pour donner suffisamment de place au dispositif. «J’en déduis que ce lieu était déjà un caveau il y a plusieurs siècles.» Et de préciser que le couloir en pierre reliant la cave à la rue, contenant deux arches aujourd’hui condamnées, donnait auparavant accès aux jardins attenants à la propriété. Avec l’urbanisation, une maison a été construite à l’avant – la façade actuelle date du XVIIIe siècle.

«Toute la rue des Moulins a progressé ainsi, depuis la colline du Château jusqu’à la rue du Seyon.» Le Seyon étant un torrent prenant sa source dans le Val-deRuz et arrosant Neuchâtel, il provoquait à l’époque de fréquentes inondations. Il a finalement été dévié, notamment grâce au notable David de Pury, qui a consacré une partie de sa fortune pour protéger la ville de ces crues fréquentes. Un couloir toujours visible constitue alors le reste d’un passage à l’intérieur des maisons qui permettait de circuler les pieds au sec.

Le respect du terroir, des cépages et de la personnalité du vin est son principal critère de choix

Apéritifs gourmands

A l’époque, les collines au nord de la ville étaient d’ailleurs entièrement recouvertes de vigne. Avant la forte urbanisation du XIXe siècle, les moines cisterciens y travaillaient, défrichaient la vigne pour en faire du vin de messe ou pour abreuver les pèlerins qui passaient par là. En effet, un chemin reliant Saint-Jacques de Compostelle sillonnait alors la région. Quoi de plus naturel donc de conserver dans ces vieux murs la tradition viticole riche de plusieurs siècles d’histoire. Et l’histoire se poursuit puisque père et fils travaillent ensemble depuis une dizaine d’années. Avec une formation de caviste, le descendant Alexandre Bauermeister fait le lien avec l’entreprise de sa femme Véronique, Aperotime, un service traiteur spécialisé dans les apéritifs gourmands, dont les saveurs se marient parfaitement avec les vins importés par son père.