Quand une ex-start-up se prétend plus éthique…
Menacée de nombreuses plaintes, Neho a retiré les 43'000 biens immobiliers qu’elle avait «pompé» sur différentes plateformes immobilières (dont celle d’immobilier.ch) sans avoir le droit d’agir de la sorte. Un comportement qui semble indiquer une certaine fébrilité coupable selon plusieurs observateurs.

Le 12 juillet dernier, la société vaudoise Neho a mis en ligne plus de 43'000 biens immobiliers pompés sur des plateformes concurrentes. Cette opération «pirate», prétendument nommée «nouvelle fonctionnalité» par le management de cette société fondée voici six ans, a été dénoncée comme étant une pratique commerciale déloyale et illicite par divers avocats. Il s’agit là en fait du dernier dérapage d’une ancienne start-up fondée entre autres par le milliardaire valaisan Stéphane Bonvin et l’homme d’affaires Patrick Delarive, deux entrepreneurs qui paradoxalement doivent en partie leur fortune au courtage traditionnel.
En effet, la société s’est fait connaître par un marketing très agressif, allant quasiment jusqu’à traiter les courtiers traditionnels d’escrocs. Son système? Elle a commencé par proposer un forfait fixe à CHF 7500.-, une somme revue depuis régulièrement à la hausse. Elle s’élève actuellement à CHF 12'000.-. A ce montant, il faut néanmoins ajouter un coût additionnel de CHF 2500.- pour «la tenue de l’ensemble des visites des acheteurs intéressés».
Autrement dit, que votre bien se vende CHF 800'000.- ou CHF 2'000'000.-, il faudra débourser CHF 14'500.- pour que l’ex-start-up vantant son système «sans commission» s’occupe de trouver un acheteur pour votre bien. Relevons encore à ce propos que le 22 juin 2021, Eric Corradin, cofondateur de Neho et CEO, affirmait pourtant lors du REM Fribourg que le forfait à CHF 9500.- n’avait pas vocation à augmenter encore. «C’est le fruit d’un bon équilibre entre le vendeur, les agents et la société».
Comme le résume Bernard Nicod, le fondateur et CEO du groupe éponyme: «Avec un prix de vente moyen de 900’000 francs (villas et appartements confondus), cela signifie que Neho encaisse 1,6% du prix de vente. C’est certes un peu moins que la moyenne des régies traditionnelles qui se situe aux alentours de 2,5%, mais il faut surtout relever que c’est une fausse économie. Car la plupart du temps, les courtiers professionnels et expérimentés obtiennent un meilleur prix que des sympathiques amateurs». Précisons qu’en Valais, la commission est généralement à 5%, du fait des prix des biens très inférieurs à ceux des cantons de Vaud et Genève.
Ecart considérable
«Neho a l'outrecuidance de se présenter comme l'agence numéro 1 en Suisse. Dans la réalité, avec seulement 700 objets à la vente, elle est tout juste comparable à une agence régionale de taille moyenne. Sa part effective de marché en Suisse est inférieure à 0,1%. Ces chiffres révèlent l'écart considérable entre le slogan de cette société et sa véritable position sur le marché immobilier suisse», commente Grégoire Schmidt, fondateur de Schmidt Immobilier à Martigny. «La direction de Neho a reconnu publiquement que son système digital n'a absolument rien de révolutionnaire et que les courtiers traditionnels disposent des mêmes technologies. Elle a aussi finalement admis qu’elle jouait avec les mots «sans commission», une formulation qui induit le client en erreur», relève le dirigeant valaisan.
Enfin, il constate encore que lors des événements REM, «la direction de Neho a également affirmé publiquement que ses actionnaires principaux étaient impliqués dans le contrôle des bonnes pratiques de la société. On constate que ces personnes cautionnent ces comportements inacceptables qui sont unanimement condamnés par l’ensemble de la corporation.»
Ligne rouge franchie

Comme l’a relevé Philippe Angelozzi, le secrétaire général sortant de l’Union suisse des professionnels de l’immobilier Genève, «en reprenant les annonces des biens à vendre sans y être autorisée, elle augmente son catalogue avec des biens qu’elle n’a pas. Mis à part les questions éthiques que cela soulève, cette pratique trompeuse viole à notre sens la loi fédérale sur la concurrence déloyale. Qu’est-ce qui a bien pu pousser cette plateforme de courtage à franchir la ligne rouge? La réponse se situe probablement dans les durcissements du marché, avec la remontée des taux hypothécaires. (…) Conséquence: le catalogue des biens à vendre des plateformes se réduit.»
L’avocat regrette qu’avec cette façon de faire, on estime que plus rien n’a de valeur: ni le travail d’accompagnement et de conseil du courtier, ni la propriété intellectuelle des photos qui ont été prises pour valoriser le bien, ni la formation continue que doivent suivre les collaborateurs».
Pour sa part, Me Bertrand Demierre, mandaté par le Groupe Bernard Nicod, est immédiatement intervenu auprès de PropTech Partners (propriétaire de Neho) afin que cette dernière cesse cette pratique. «Votre société ne dispose pour ces immeubles d’aucun mandat de vente alors qu’en agissant de la sorte, elle fait croire qu’ils figurent dans un catalogue qu’elle maîtriserait, aux fins d’en gonfler artificiellement l’ampleur. Et, ce qui est tout aussi inacceptable, est que pour pouvoir accéder à ces annonces piratées, vous exigiez que les internautes vous fournissent leurs coordonnées, vous permettant ainsi de disposer d’un fichier d’adresses vous permettant par la suite de les démarcher».
Mandaté par la société Immobilier.ch, Me Paul Hanna précisait notamment que «pareils procédés contreviennent à la loi, notamment à la loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins, la loi fédérale contre la concurrence déloyale et la loi fédérale sur la protection des marques et des indications de provenance».
Bernard Nicod relève pour sa part que cette dernière action de Neho «dessert toute l’industrie immobilière, un métier que l’on doit faire avec sérieux et professionnalisme». Affaire à suivre.