Genève

Sissi, l’impératrice de la solitude et du voyage

La rédaction d’immobilier.ch vous propose de découvrir ou redécouvrir la diversité de l’architecture suisse à travers des personnages illustres. Une fois par mois, nous vous emmenons à travers des bâtisses et des édifices connus ou moins connus de Suisse. Dans ce numéro, place aux rives du Léman avec Sissi l’Impératrice et l’Hôtel Beau-Rivage.

La Suite Sissi, qui peut accueillir deux personnes, vous transportera aux temps glorieux de l'Impératrice.
La Suite Sissi, qui peut accueillir deux personnes, vous transportera aux temps glorieux de l'Impératrice. - Copyright (c) Beau-Rivage
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« En vain, sous le ciel bleu, je languis en prison. Les barreaux rudes et froids insultent ma nostalgie. Je suis comme un oiseau de tempête. » Ces vers empreints de spleen baudelairien ne sont pas l'œuvre d'un poète neurasthénique mais d'une tête couronnée : Élisabeth de Wittelsbach, impératrice d'Autriche et reine de Hongrie, dite Sissi (1837-1898). Tenus secrets et déposés aux Archives fédérales suisses, le public n'en a eu connaissance qu'en 1951, soit 53 ans après son décès. Que pouvait-il bien se passer à la cour de Vienne pour que la jeune femme se livre à une écriture si sombre ?

Grâce au travail des historiens, on sait aujourd'hui que la vraie Sissi était bien plus intéressante et complexe que le portrait mièvre laissé par Romy Schneider dans les films d'Ernst Marischka. « Sissi était timide et mélancolique, note Giorgia Marras, qui lui a été attribué en 2019 un ouvrage intitulé Sissi : une femme au-delà du conte de fées (Ed. Steinkis). Sa vie durant, elle a dû composer avec une grande fragilité psychologique. » Sujette à la dépression, elle avait aussi un rapport obsessionnel avec son corps, qu'elle soumettait à une rude épreuve en le sculptant sans répit dans ses salles de gymnastiques privées.

Style et ambiance reflètent les époques où l’on fait toujours ce qu’il y a de mieux.diaporama
Style et ambiance reflètent les époques où l’on fait toujours ce qu’il y a de mieux.

Pour conserver à tout prix un poids qu'elle avait fixé une fois pour toutes à 50 kilos, elle allait jusqu'à se peser trois fois par jour. « Le tour de la taille, des cuisses, des mollets, était aussi mesuré avec précision, écrit l'autrice Erika Bestenreiner dans Sissi, ses frères et sœurs, valse tragique en Bavière (Ed. Pygmalion). Les femmes de chambre passaient une heure à lacer son corset, malgré la minceur de sa taille, qui ne devait pas mesurer plus de cinquante centimètres ! Il arrivait aussi que ses robes soient cousues directement sur elle pour être parfaitement ajustées à son corps. Sous sa tenue de cheval, elle ne portait pas de lingerie mais une tunique en cuir de cerf extrêmement haché. Elle devait être humide pour lui aller comme une seconde peau. »

Ouverte sur l'extérieur, la superbe terrasse aménagée et privative domine les rives du Léman.diaporama
Ouverte sur l'extérieur, la superbe terrasse aménagée et privative domine les rives du Léman.

En cage à Vienne

De façon quelque peu paradoxale, Sissi - dont le corps était en permanence en cage - n’a cessé de fuir tout ce qui pouvait entraver sa liberté. Cavalière émérite, aventureuse éprise des grands espaces, elle détestait le mariage et ses contraintes. « Je me suis réveillée dans une prison, les mains chargées de chaînes », écrit-elle quelques jours seulement après ses noces. Le confort de son palais ? Elle n’en avait cure. « Sissi voulait être libre, s’affranchir de l’étiquette, poursuit Giorgia Marras. Très vite, elle a refusé de se plier aux obligations de la cour de Vienne. » Commence alors une vie de continuels voyages.

Où se réfugiait-elle lorsqu’elle étouffait sous le poids des contraintes liées à son rang ? « Dès 1880, Elisabeth a passé de longs mois à Madère (Portugal), puis sur l'île grecque de Corfou où elle s’était fait construire un palais.» Cette quête incessante d’un asile de paix l’a également conduite en Suisse. Sissi faisait-elle références aux eaux cristallines du Léman lorsqu’elle écrit : « Et chaque vague clapotant me murmurait doucement : laisse ton corps trouver le calme, le repos bienfaisant dans le sein de ces eaux. Car de ces flots d’azur, de topaze et de jade, ton âme enfin s’envolera plus haut » ? La question reste ouverte. Une chose est sûre : l’Impératrice, qui n’aimait rien tant que cingler les flots sur son yacht (elle s’était fait tatouer une ancre sur son épaule), ressentait les bienfaits psychologiques de l’eau.

Un poème prémonitoire

Hélas, sa poésie n’était pas qu’un exutoire. Elle était aussi prémonitoire. Poignardée en plein coeur par un anarchiste italien au moment où elle allait monter en bateau, c’est sur les rives du Léman qu’elle a rejoint le ciel. A quoi ressemblait sa dernière demeure ? L’Hôtel Beau-Rivage de Genève conserve un document d’archive unique au monde : le registre des Étrangers, sur lequel le concierge avait inscrit de sa plus belle écriture les noms de l’Impératrice et de sa suite. On y apprend que Sissi séjournait dans les chambres 34 et 36. Depuis la terrasse située à l’angle sud-ouest du bâtiment, elle voyait la chaîne des Alpes, le Mont Blanc et, bien entendu, le lac. A noter que ce bâtiment d’exception est classé au registre des monuments et sites de Genève et entre dans le plan de la rade imposé par les autorités. Chaque année, un certain nombre de chambres sont rénovées. Style et ambiance reflètent les époques où l’on fait toujours ce qu’il y a de mieux.

Souvenirs précieux et mobilier d'époque.diaporama
Souvenirs précieux et mobilier d'époque.

Ici, une lampe Art déco enveloppe de son halo un cheval de bronze. Là, une petite commode aux pieds galbés porte une statuette asiatique. Ailleurs, des guéridons se disputent des serre-livres baroques où se lovent quelques ouvrages à la reliure dorée. A noter que l'atrium a quant à lui conservé son cachet d'antan ainsi que son envolée vers le ciel et la lumière. Détail amusant : joufflus, dodus ou élancés, les chérubins et les angelots ont élu domicile dans la Maison. Dissimulés sous des plafonds, statufiés dans la pierre ou le bronze, ils ont même choisi la cheminée du bar pour s'assoupir… ces êtres célestes seraient au nombre de 160. En comptant Sissi, leur nombre s'élève à 161.