Sur les traces d'Henry Dunant
Le cofondateur de la Croix-Rouge y a passé ses étés à cueillir des fruits. Cette maison de campagne sise à Avully a longtemps appartenu au grand-père d’Henry Dunant, Henri Colladon. Mais son histoire remonte à un certain Jean-Louis de Normandie, au service de la garnison de Genève au début du XVIIIe siècle.

Ce domaine, plutôt discret, se niche au cœur de la campagne genevoise, à Avully, un village d’environ 1750 habitants, situé à l’extrême ouest de la Suisse. Il est surnommé «Domaine de Normandie» du nom de son premier propriétaire célèbre : Jean-Louis de Normandie. D’après feu Pierre Bertrand (journaliste, historien et archéologue cantonal adjoint) qui a rédigé un livre sur Avully en 1952, cette demeure existait déjà en 1738 et appartenait à ce noble qui avait été major d’artillerie au service de Hesse et, depuis 1735, qui avait rempli les fonctions d’aide-major dans la garnison de Genève, «à côtés d’autres honneurs que lui avait conférés le Conseil». Son héritier, Jean-Antoine de Normandie sera en 1757, châtelain de Saint-Victor et Chapitre. Cette famille s’éteindra à Genève, et, vers la fin du XVIIIe siècle, la propriété passera aux Mestrezat. La fille de Samuel Mestrezat, Camille, l’apportera dans sa corbeille de noces à Ami de Chapeaurouge en 1776, une famille dont deux membres seront pour l'un, syndic et l'autre, conseiller d'Etat.

Inscrit à l'inventaire
Lorsque les bâtiments composant le Domaine ont été inscrits à l’inventaire des immeubles dignes d’être protégés par un arrêté pris par le Département genevois de l’aménagement le 31 août 2005, il avait été indiqué à l’appui de cette mesure que «la maison de maître avait été reconstruite partiellement vers 1880 (Ndlr. À la suite d’un incendie) tandis que les deux bâtiments de ferme implantés en parallèle et encadrant la cour, remonteraient à environ 1769.
Ayant pu consulter les fiches du Recensement architectural du canton de Genève rédigées en novembre 1980, on y mentionne les dates de 1780 pour les parties les plus anciennes : «Bâtiment formant un des côtés d’une cour remarquable. Façade cour avec une très belle série d’arcs en anse de panier. Deux fenêtres reliées aux arcs par des éléments de molasse».
Sous la Restauration
Les héritiers de dame Camille Chapeaurouge-Mestrezat, Jacques-Henry et Ami de Chapeaurouge, ainsi que Jacques Des Arts cédèrent cette terre en 1813 à Henri Colladon (1772-1856). Les Colladon sont arrivés du Berry en 1550 et sont devenus bourgeois de Genève dès 1555. Moins connu que son fils Daniel qui possède une rue à son nom et dont le buste est situé dans le parc des Bastions, Henri Colladon avait dirigé l’Hôpital général (rebaptisé Hospice Général en 1869), fut régent au Collège de Genève et maire d’Avully pendant 39 ans.
Dans ses Souvenirs et Mémoires, Daniel Colladon parle en termes attendris de ses longs séjours chez son père. «Vers 1818, il y invitait souvent Charles Sturm, son condisciple et ami de tous temps, son futur collaborateur pour les études sur la compressibilité des liquides et la transmission du son dans l’eau», écrit Antoine Barde dans son ouvrage «Anciennes maisons de campagne genevoises», édité en 1937. Rappelons que le physicien Daniel Colladon fut l’incontournable homme de science de Genève au XIXe siècle. Le domaine revint en 1856 à la sœur de Daniel Colladon, Anne-Antoinette, épouse de Jean-Jacques Dunant (négociant et député au Conseil représentatif) et mère d’Henri Dunant.

Récits d'enfance d'Henry Dunant
Le cofondateur de la Croix-Rouge a vu le jour à la rue Verdaine au centre de Genève le 8 mai 1828. Mais, comme tout bon membre des élites bourgeoises du XIXe et XXe siècle, à la belle saison, sa famille migrait dans sa résidence de campagne. Il a ainsi raconté les «heureux jours» de son enfance passés chez ses grands-parents Colladon à Avully. «Ce domaine avait alors tout le charme d’une belle propriété seigneuriale, avec la simplicité et les mérites d’une vaste exploitation agricole éloignée de la ville : des vaches de toute beauté, des bœufs de labour venus de Berne, des porcs anglais, de bons chevaux, des volatiles de tous genres (…). L’aïeul était si accueillant, si heureux de la joie de ses hôtes, laissant librement la petite famille dévaliser les jardins et les vergers des fruits les plus délicieux : fraises, groseilles, framboises, cassis, cerises et poires».
On peut encore lire ceci : «Chez le bon grand-père, l’abondance, la variété, étaient si grandes, le domaine si vaste et la liberté si complète, que c’étaient de véritables parties de plaisir (…). Dès l’arrivée à Avully, après deux heures de voiture, les cinq enfants se dispersaient de tous les côtés et le régal commençait». Une plaque a été inaugurée le 3 mai 1986 devant le Domaine : «Dans cette maison, Henry Colladon, maire d’Avully de 1815 à 1854, a reçu régulièrement son petit-fils Henry Dunant, qui devint fondateur de la Croix-Rouge».
Des Alsaciens
Dès 1857, ce fut l’un des frères d'Henry qui récupéra la propriété du domaine, Daniel Dunant (1831-1904). Quelques années après le décès de sa première épouse, il se remaria avec une Neuchâteloise et finit par s’y installer. Avant cela, en 1874, il céda ce domaine à un Alsacien, Gaspard Ziegler, ingénieur civil à Mulhouse. Cette famille avait pour habitude de passer ses étés à Avully. Lors de la Seconde Guerre, les Ziegler sont venus se réfugier en Suisse où ils sont restés. Mais lorsqu’ils ont voulu récupérer leur clinique en Alsace, celle-ci avait été bombardée et, pour financer sa reconstruction, ils finirent par vendre leur propriété genevoise.
Ce fut Victor Desbaillets, l’exploitant du domaine agricole jusqu’en 1962, qui décida alors de faire l’acquisition du domaine avec son beau-fils Jules Halff en 1954, lequel avait entre-temps épousé Renée Desbaillets. Depuis lors, cette belle propriété est restée au sein de la famille Halff.

Modernisée
Une piscine a été ajoutée dans les années 2000, tandis que l’intérieur a été entièrement rénové en 2009, tout en préservant son cachet. Cette belle demeure offre une surface habitable de 610 m2 répartis sur trois niveaux. Le rez-de-chaussée propose un hall d’entrée avec un escalier en pierre, deux salons en enfilade ouvrants sur un immense jardin de plus de deux hectares, à l’abri des regards. Le jardin d’hiver a été remis à neuf, tout comme la cuisine entièrement équipée et une salle d’eau. Au premier étage, on trouve deux chambres à coucher avec cheminée et salle de douche, ainsi qu’une grande master bedroom avec cheminée, salle de bain et bureau/dressing attenants. Enfin, les combles accueillent deux chambres à coucher, une pièce polyvalente pouvant faire office de salle de jeux et une bibliothèque. La grande cour, dotée d’un garage, peut accueillir de nombreux véhicules.
Prix et renseignements : Céline Cerino, Barnes Genève