Transactions

Un vent de folie souffle sur les biens de prestige

Tous les records ont été battus en 2021, grâce ou malgré la pandémie. Pas moins de 124 transactions se sont déroulées à Genève avec des maisons à plus de 5 millions de francs, dont trois supérieures à 50 millions de francs. Notre analyse.

Propriété vendue durant l'été 2021 entre 5 et 6 millions de francs dans la région de Morges
Propriété vendue durant l'été 2021 entre 5 et 6 millions de francs dans la région de Morges - Copyright (c) SPG One
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Tous les spécialistes ont le sourire jusqu’aux oreilles. Il faut dire qu’il n’y a jamais eu autant de ventes de biens immobiliers, quel que soit le segment (voir le graphique réalisé par Naef Knight Frank), à Genève. Trois ventes ont même dépassé la barre symbolique des 50 millions: 60,5 millions en août pour la propriété sise route de La Capite à Cologny acquise par le family office d’Ernesto Bertarelli pour Kirsty Bertarelli; 56,84 millions pour l’ancienne demeure du conseiller fédéral Gustave Ador qui appartenait à une des filles du roi Fahd d’Arabie Saoudite (qui elle-même l’avait payée 57,5 millions en 2013) et que s’est offert le banquier Jacob Safra; enfin, 52 millions pour une belle propriété à Conches que souhaitait le propriétaire de Patek Philippe, Thierry Stern.

Propriété vendue au printemps 2021 entre 8 et 9 millions au centre de Genèvediaporama
Propriété vendue au printemps 2021 entre 8 et 9 millions au centre de Genève

En 2020, la transaction record avait été celle de Damir Akhmetov qui s’était offert un pied-à-terre à Vésenaz pour 60 millions. Mais le record genevois absolu reste l’acquisition par Dinara Kulibayeva du Château de Bellerive et de ses terres via trois transactions distinctes intervenues en 2019 qui ont atteint le montant global de 126 millions de francs! Il s’agissait de l’ancienne demeure de feu Sadruddin Aga Khan. Pour l’anecdote, avant 2013 et l’achat de la villa Hauterive à Cologny par Latifa Bint Fahd bin Abdul Aziz Al Saud, il n’y avait eu qu’une seule transaction ayant dépassé les 50 millions: une belle propriété le long de la route d’Hermance à Anières. Dinara Kulibayeva, déjà elle, avait versé 74,7 millions en 2009 à Rustam Aksenenko, lequel se l’était offerte 4 ans plus tôt pour «seulement» 19 millions.

Constat unanime

«A Genève, nous avions été impactés par la crise financière de 2008 à partir de 2012, jusqu’en 2017», résume Jacques Emery, depuis sept ans à la tête de Naef Prestige. Un constat que confirment nos chiffres: effectivement, alors que Genève comptait environ 45 transactions de résidences de prestige à plus de 5 millions par année entre 2007 et 2010, ce chiffre avait chuté à 34 en 2013. Suivirent encore trois années plus difficiles: 41 transactions en 2014, 34 en 2015 et 35 en 2016. Dès 2017, la tendance s’est inversée avec 45 transactions, puis 55 en 2018, 43 en 2019, 71 en 2020 et enfin, 124 (!) l’an dernier.

Autre constat: «Ce sont toujours les mêmes communes avec en tête du palmarès Cologny, suivie par Collonge-Bellerive, Vandoeuvres, Anières et Chêne-Bougeries», observe Pierre Hagmann, administrateur délégué chez Pilet & Renaud. D’après nos statistiques, en 2021, Cologny arrive toujours largement en tête (28 transactions), devant Vandoeuvres (20), Collonge-Bellerive (18), Anières (16) et Chêne-Bougeries (13). Suivent bien plus loin: la Ville de Genève, Corsier et Genthod.

Nombre de transactions prestige par segmentdiaporama
Nombre de transactions prestige par segment

Comme le relève Jacques Emery, la rive gauche «reste le must»: «Beaucoup de gens aiment le coucher de soleil sur le Jura et pas l’ombre sur leur terrasse.» A cela s’ajoute le fait que la rive droite cumule quelques nuisances sonores: la route Suisse, l’aéroport et le train, selon les emplacements.

Multiples raisons

Quelles sont les raisons de cette année record? «Il y a un cumul de raisons. Le fait de vouloir être bien chez soi avec la crise de la pandémie, la force du franc suisse et le retour de l’inflation qui favorise les placements dans la pierre», résume Léonard Cohen, fondateur de l’agence Leonard Properties. «Nous avons fait une année record depuis la création de notre structure en 2010, pourtant 2010 et 2011 avaient été des années exceptionnelles et je n’avais pas encore la concurrence de Barnes ou John Taylor alors», ajoute ce dernier.

Ce sont toujours les mêmes communes en tête du palmarès: Cologny, suivie par Collonge- Bellerive, Vandoeuvres, Anières et Chêne- Bougeries.

Jacques Emery relève que le maintien de taux d’intérêt bas encourage d’autant plus les gens à investir encore et toujours dans la pierre. Cela se reflètent particulièrement avec les nouvelles promotions dont les lots partent comme des petits pains. Autre fait qui contribue à expliquer ces résultats particulièrement impressionnants: «La demande reste supérieure à l’offre car les marchés boursiers ont été excellents, que les résultats des sociétés actives dans le négoce des matières premières sont excellents, et que les rémunérations variables ont été importantes», argumente Pierre Hagmann. «Beaucoup de traders ont réalisé la meilleure année de leur vie en 2021», constate Léonard Cohen. Et cela se reflète dans le niveau et le volume des acquisitions.

Pierre Hagmann, administrateur délégué chez Pilet & Renauddiaporama
Pierre Hagmann, administrateur délégué chez Pilet & Renaud

Quel avenir ?

Reste à savoir si 2022 pourra suivre le même chemin. «Je suis personnellement optimiste, même si nous commençons à manquer d’objets», relève le patron de Leonard Properties. Il estime que les lots en PPE et les maisons individuelles vont voir leur prix continuer de monter. «La tendance pour 2022 va continuer. Les transactions publiées en janvier dans la Feuille d’Avis Officielle confirment cette tendance. Très actifs sur le marché du prestige, nous avons eu de très nombreuses visites déjà en janvier et n’avons jamais vu cela où d’habitude, les mois de janvier étaient des mois avec peu de visites. La demande reste concentrée sur certaines communes de la rive gauche. Nous sommes convaincus qu’une bonne analyse des prix et stratégies de commercialisation vont être la clef pour réussir des transactions de prestige en Suisse romande», détaille l’administrateur délégué de Pilet & Renaud. Chez Naef, on estime que les lots en PPE et les maisons individuelles vont voir leur prix continuer de monter.

L’optimisme est plus modéré chez SPG One Christie’s International Real Estate. Son directeur, Maxime Dubus, suit de près l’impact des annonces de la Banque Nationale Suisse faites voici quelques jours visant à réactiver le volant anticyclique des fonds propres des banques. «Il y a encore quelques inconnues sur l’évolution des taux hypothécaires, même si la région a indéniablement regagné en attractivité internationale». Le fait que la demande dépasse de plus en plus l’offre ne l’effraie par contre pas: «Dans l’immobilier de luxe, le courtier a un rôle fort à jouer de par sa connaissance et sa capacité à trouver des objets pour ses clients acheteurs».