Interview

Vers un boom des audits techniques en Suisse

Jusque-là méconnue du grand public, l’étude des aspects techniques d’un bâtiment est en phase de devenir un incontournable des transactions immobilières, tout comme chez nos voisins britanniques. Interview.

Projet des Hauts-du-Château d’Allianz, à Bellevue, pour lequel CBRE a effectué un audit technique de pré-acquisition
Projet des Hauts-du-Château d’Allianz, à Bellevue, pour lequel CBRE a effectué un audit technique de pré-acquisition - Copyright (c) Construction Perret
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Force est de constater que la plupart des biens immobiliers présentent des défauts ou des défaillances susceptibles d’affecter leurs performances à court, moyen ou long terme. Afin de prévenir ce type de contraintes, les audits techniques sont devenus la règle dans les pays anglo-saxons et commencent à se généraliser en Suisse. Les explications de Christophe Malbec, responsable du département Building Consultancy chez CBRE Switzerland.

Qu’est-ce que l’audit technique en deux mots?

C’est une photographie d’un bâtiment à un instant T qui décrit son état du point de vue de la technique. Souvent accompagné d’un audit juridique, il peut intervenir dans différents contextes mais la plupart du temps, cela se fait dans le cadre d’une transaction. De manière plus détaillée, l’audit technique est une présentation du contexte dans lequel se situe le bien examiné (quartier, environnement voisin, parking) puis une description de son enveloppe (façades, murs, volets, toiture), de son architecture intérieure et de ses installations techniques que l’on passe en revue de manière détaillée depuis les installations principales (chaudière, ventilation) jusqu’au plus détaillées (interrupteurs, luminaires, régulateur).

L'audit technique permet de décrire l'état dans lequel se trouve un bâtiment et à un futur acquéreur de comprendre ce qu'il achète

A quoi sert ce type d’étude?

Grâce à ces examens plus ou moins poussés, nous pouvons déterminer les installations qui sont obsolètes ou pas. Et ce, en termes techniques mais aussi réglementaires (exemple des fenêtres avec simple vitrage qui ne sont plus aux normes actuelles). L’audit technique permet donc de décrire l’état dans lequel se trouve un bâtiment et à un futur acquéreur de comprendre ce qu’il achète. Nous pouvons identifier aussi les potentiels frais qu’il va devoir engager pour remettre le bâtiment à un niveau standard. Véritable outil de projection, il permet également de planifier des transformations. Typiquement, pour une surélévation d’immeuble comme on en voit fréquemment en Ville de Genève, cela nécessite une connaissance détaillée de la structure du bâtiment.

Est-ce l’acquéreur ou le vendeur qui vous mandate?

D’une manière générale, c’est l’acquéreur qui a à charge d’effectuer l’audit technique avant d’investir. Dans le cas du vendeur, soit son bâtiment est un peu particulier soit hors marché et l’audit technique se place alors en argument de vente. Je dirai qu’il y a une proportion de 10% de propriétaires qui nous mandatent et 90% de futurs acquéreurs. Il y a aussi des audits techniques commandés par des institutionnels, propriétaires de parcs immobiliers conséquents, qui souhaitent avoir une meilleure connaissance des biens qu’ils possèdent et des investissements à réaliser sur le court-moyen terme. C’est un réel outil d’aide à la décision pour les propriétaires.

Les cantons utilisent d’ailleurs des outils pour parfaire la connaissance de leurs parcs immobiliers (ImmOBA, Stratus...).

Effectivement, ils auditent les composantes environnementales afin d’évaluer les priorités d’action. Investisseurs, institutionnels et grandes entreprises, tous parlent des critères ESG aujourd’hui, cela devient incontournable et pour nous, c’est un axe de développement majeur. Via nos audits techniques nous réalisons déjà des plans de maintenance préventive afin de prévoir les investissements et travaux futurs, ce qui va dans ce sens.

Quel est le public-cible de ce service?

Christophe Malbec, responsable du département Building Consultancy chez CBRE Switzerlanddiaporama
Christophe Malbec, responsable du département Building Consultancy chez CBRE Switzerland

Toute personne qui a la capacité d’investir sur un bâtiment. D’abord les investisseurs et propriétaire institutionnels, ce sont aussi des family office ou des particuliers qui ont un fort pouvoir d’achat et qui décident de placer leur argent dans l’immobilier. En clair, les individus qui ont les moyens d’investir mais pas forcément les connaissances techniques pour le faire. L’audit technique est là pour les rassurer et les assister.

Face à tant d’avantages, comment expliquez-vous que cette pratique soit très répandue dans les pays anglo-saxons mais moins en Suisse?

La Royal Institution of Chartered Surveyors (RICS), l’organisation professionnelle britannique qui propose des normes reconnues sur les marchés de l’immobilier, a joué un grand rôle dans le développement de ces outils d’analyses détaillées. Je dirai même qu’ils en sont les initiateurs. En tant qu’entreprise accréditée, nous nous basons sur certaines de leurs trames pour une partie de nos audits car ils ont une réelle longueur d’avance sur la Suisse. Néanmoins, la demande et l’offre sur le marché helvétique progressent et des outils sont élaborés, des systématiques sont mises en place comme chez CBRE.

Depuis combien d’années la demande se fait-elle ressentir en Suisse?

Lorsque je suis arrivé chez CBRE, il y a dix ans, nous ne recevions que des demandes de clients internationaux qui venaient investir en Suisse et qui réclamaient des audits techniques. Depuis cinq ans, le besoin de comprendre l’état des bâtiments est grandissant ici aussi. Les problématiques énergétiques y sont pour beaucoup et on sent qu’on se dirige vers un boom au niveau de ce service. Preuve en est: des formations universitaires sont maintenant disponibles en Suisse. Par exemple l’EPFL propose un CAS (Certificate of Advanced Studies) spécialisé dans l’expertise technique des bâtiments. C’est un sujet, à priori de niche, qui prend suffisamment d’ampleur aujourd’hui pour se développer dans l’enseignement.

Comment voyez-vous l’évolution de ce type d’offre?

Au niveau Suisse, la demande étant croissante, on se rend compte qu’il y a une concurrence qui se met en place avec de nouveaux acteurs spécialisés dans ces audits techniques. Chez CBRE, nous espérons passer de 10-20 mandats annuels à 40-50 en 2022 pour la Suisse romande. Il faudra s’attendre également à ce que la partie environnementale prennent de l’ampleur car c’est l’avenir de ces outils d’analyse. De la même manière que les clients veulent aujourd’hui des analyses de l’état du bâtiment, ils voudront aussi une confirmation que les critères ESG de leur entreprise peuvent être respectés en investissant dans un bien immobilier.