Gastronomie

Voyager à "La Table" de Franck et Sarah

Récompensé de deux étoiles par le prestigieux guide Michelin, le chef Franck Pelux fait parcourir le monde aux gourmets du restaurant « La Table », pendant que son épouse Sarah Benahmed, cheffe de salle, leur explique les secrets de chaque « escale ». Interview d’un artiste et de sa muse.

Franck Pelux et Sarah Benahmed
Franck Pelux et Sarah Benahmed - Copyright (c) Anthony Demière
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Les vacances, d’un avis général, sont toujours très courtes et passent trop vite. Mais il y a une adresse où l’on peut les reprendre. Ne serait-ce que pour deux heures. Le temps d’un voyage gustatif autour du globe. Niché au cœur du Lausanne Palace, refuge suisse de Coco Chanel, ce restaurant gastronomique est géré, depuis cinq ans, par un couple de globe-trotteurs. Lui aux fourneaux, elle en salle, Franck et Sarah, font, depuis 2020, partie des célébrités de la capitale olympique. Après avoir goûté à leur succulent festin, Prestige a voulu comprendre les ressorts du processus créatif de ces deux infatigables explorateurs.

Franck Pelux, vos menus sont de véritables brassages culturels. Quel est le dénominateur commun de tous ces plats ?

F.P.Nos expériences de voyages. Ceux qu’avec Sarah, mon épouse, nous avons faits en Europe et en Asie. Ces explorations sont à l’origine de mon style gastronomique qui se veut traducteur de nos émotions à travers chaque plat. Tandis que Sarah, elle, en vraie conteuse, les explique aux clients.

Pourtant, vos œufs en meurette que l’on a dégustés semblent 100% français ?

Dans l’assiette, les produits locaux se voient sublimés dans le plus grand respect de leurs origines et de leurs producteursdiaporama
Dans l’assiette, les produits locaux se voient sublimés dans le plus grand respect de leurs origines et de leurs producteurs

F.P.Absolument ! Tous mes clients y ont droit depuis que je suis chef. Servis en apéritif, ils signent ma bienvenue par l’émotion de la joie. Celle que je ressentais entre mes 6 et 15 ans en dégustant les œufs en meurette, cuisinés dans la sauce d’un bœuf bourguignon du lendemain. Autant dire un souvenir d’enfance inoubliable, lié à ma région natale, la Bourgogne.

Et que raconte votre « Bijou de tomates, hommage à la tchoutchouka de mon enfance » ?

F.P.La tomate est le produit umami par excellence. C’est-à-dire l’incarnation même de cette 5e saveur inimitable, après le sucré, le salé, l’acide et l’amer. Avec ce plat, j’honore ma mère, algérienne, à l’origine de ma vocation de cuisinier, car elle-même est une cheffe. Sans oublier les producteurs locaux des anciennes sortes de tomates.

J’imagine que vos sublimes gyozas au tourteau sont, eux, un clin d’œil à l’Asie…

F.P.Oui, et plus exactement à Hong-Kong ! Avec Sarah, nous avons travaillé quatre ans en Chine. Et, par la même occasion, sillonné le continent asiatique. Parmi tous les pays visités, l’Empire du Milieu est celui qui se rapproche davantage de la France par l’immense variété de sa culture gastronomique régionale. De plus, nous avons été conquis par la Street-Food asiatique. Avec peu d’espace et pas grand-chose, sortir des plats de telles saveurs ne peut que susciter l’éblouissement.

Finaliste, en 2017, de l’émission Top Chef et donc, rompu à l’improvisation, cela doit être un jeu d’enfant que de créer vos menus…

La salle du restaurantdiaporama
La salle du restaurant

F.P.Pas tant que cela. Le plus dur, c’est de proposer quelque chose de très personnel, très inédit, très différent. En gastronomie comme ailleurs, l’enjeu, c’est d’avoir son identité propre, son style bien reconnaissable. Et à chaque fois que je crée une nouvelle carte, c’est le stress et l’angoisse. Je ne dors pas pendant 2-3 semaines. Des nuits blanches, partagées avec Sarah, et remplies d’interrogations : « Est-ce que cette proposition nous ressemble ? Est-elle fidèle à nos parcours ? Transmet-elle l’émotion exacte que nous ressentons ? ». Et ainsi de suite…

Sarah Benahmed, vous qui êtes récompensée de deux étoiles Michelin en tant que cheffe de salle, avez-vous noté des différences entre vos clientèles européenne et asiatique ?

S.B.Sans nul doute. Par exemple, en Chine, les tablées sont souvent multigénérationnelles, car les valeurs de famille et d’entraide demeurent très présentes dans cette culture plusieurs fois millénaire.

Est-ce la seule grande spécificité ?

S.B.Il y a encore une autre particularité de taille qui différencie les Chinois des Européens : l’opulence. C’est-à-dire, qu’une table pleine de mets variés est, là-bas, un témoignage de respect pour ses invités. L’idée est que si, après le repas, il ne reste plus rien dans les assiettes, c’est qu’il n’y en avait pas assez. En Europe, cette opulence serait vue comme du gaspillage.

Et que diriez-vous de votre public suisse ?

S.B.À « La Table », nous avons une clientèle très avertie, très voyageuse et qui connaît les goûts du monde entier. En ce sens, c’est un public assez facile, car très curieux et sans préjugés.

Franck, Sarah, quel serait votre plus grand rêve ?

F.P.Créer, un jour, notre propre restaurant ! Pour avoir vraiment une expérience la plus aboutie possible, c’est d’être chez nous. Et, pourquoi pas, en Suisse. De toute façon, que cela soit en Suisse, en France, ou ailleurs, l’important, ce n’est pas le lieu, mais les gens qui l’habitent et ceux qui le fréquentent. En attendant, chez nous, c’est chez « La Table ».