Urbanisme - La Chaux-de-Fonds

Vivre en silos et moulins

Sur une parcelle industrielle désaffectée depuis 1990, rachetée en 2015, le plus gros propriétaire privé du canton de Neuchâtel, Raffaelo Radicchi, réhabilite deux anciens silos à grain et deux anciens moulins en immeubles locatifs. En tout, quelque 90 appartements sont créés. Lever de rideau.

La situation actuelle. À droite, le silo à grain de 1942 reconverti en logements, à côté le silo de 1928 en travaux. À gauche, le moulin de 1896 et derrière celui de 1968.
La situation actuelle. À droite, le silo à grain de 1942 reconverti en logements, à côté le silo de 1928 en travaux. À gauche, le moulin de 1896 et derrière celui de 1968. - JB Vuillème

Une reconversion réussie

En chantier pendant près de trois ans, le navire amiral de cette friche est habité depuis 2019. C’est le plus emblématique des quatre édifices, un imposant silo à grain situé au pied du Grand-Pont qui enjambe les voies de chemin de fer, à l’intersection de l’avenue Léopold-Robert. Il a fait peau neuve tout en gardant la silhouette caractéristique du bâtiment originel, datant de 1941. Et cela n’a pas été une mince affaire, un « chantier très spécial », convient Alexandre Sorrentino, directeur technique et commercial d’Insulae, la holding qui coiffe les sociétés de Rafaello Radicchi. Cet entrepreneur, venu en Suisse en 1970 travailler comme maçon sur le chantier routier du tunnel du Gothard, possède aujourd’hui de très nombreux immeubles à La Chaux-de-Fonds.

Soucieux de respecter les façades de ce bâtiment, classé au patrimoine architectural, il a tout mis en œuvre, avec les architectes de sa société Sareg, pour relever le défi. Le résultat est impressionnant ; cette ancienne structure borgne abrite aujourd’hui 19 appartements sur huit étages (un 4 pièces modulable et un 3 pièces par étage), trois étages d’attiques, la base de l’immeuble, encore inoccupée, étant prévue pour des surfaces commerciales ou de services. Des fenêtres ont été ouvertes au sud, façade dotée de généreuses terrasses offrant une vue imprenable par-dessus les lignes de chemin de fer.

Un défi technique

La difficulté tenait à la nécessité de préserver les arrondis des façades. Cette structure était composée de quatre rangées de quatre silos, soit 16 cylindres, dont quatre au centre et douze autour, « collés les uns aux autres comme des cigarettes dans un paquet », image M. Sorrentino. Il a fallu les « grignoter de l’intérieur », depuis le haut de l’édifice, opération nécessitant la construction d’un exosquelette métallique extérieur enserrant les éléments, afin d’éviter l’effondrement. Un noyau porteur a ensuite été reconstitué à l’intérieur, depuis le bas, soutenant les dalles auxquelles l’enveloppe existante a été fixée. Clin d’œil à l’histoire du bâtiment, seuls deux fûts marquant ses angles nord ont été maintenus intégralement, ce qui implique des chambres rondes à ces endroits-là. Ailleurs les espaces sont partiellement agrémentés par les courbes de l’enveloppe.

Une technique identique de ceinturage a été mise en œuvre sur le chantier du second silo actuellement en travaux, lequel date de 1928, avec usage de la même gaine métallique extérieure provisoire. Les opérations étaient un peu moins délicates dans cet immeuble octogonal. Sur le même modèle (moins les murs courbes), douze appartements et un attique en duplex sont aménagés sur six étages, comprenant eux aussi des balcons au sud. Ces appartements devraient être mis en location au printemps 2022.

Horizon 2025

Insulae se donne jusqu’en 2024-25 pour achever les chantiers de reconversion de cette friche. Raffaelo Radicchi et son équipe vont s’attaquer ensuite au bâtiment le plus récent du site, dont la construction remonte à 1968. A cette époque, grâce à cet édifice doté d’équipements de pointe, les Grands Moulins de La Chaux-de-Fonds figuraient parmi les plus importantes minoteries de Suisse avec une production de 600 quintaux de céréales panifiables par jour et une capacité de stockage de 5000 tonnes de céréales. En 1990, les Minoteries de Plainpalais, alors propriétaires du site, décidaient de cesser la production dans la Métropole horlogère, un silo géant venant d’être inauguré à Granges-Marnand (VD). Les Grands Moulins assumèrent encore pendant quelques années un rôle secondaire de stockage, celui-ci allant diminuant jusqu’à l’arrêt total des activités à l’an 2000.

Appartements protégés

Dans ce bâtiment datant des sixties, situé au nord du site, sur l’avenue Léopold-Robert, Insulae prévoit de mettre dix-huit appartements sur le marché à l’horizon 2023. Une nouvelle façade recouvrira l’ancienne, de manière à lui conférer un aspect contemporain, et un restaurant ou des services s’installeront dans l’espace commercial du rez-de-chaussée.

Un puits de lumière et des espaces communs devraient relier ce bâtiment au quatrième, le plus ancien, soit le vieux moulin à structure intérieure en bois datant de 1896. Ce vieil édifice réhabilité abritera des appartements protégés de 2 pièces ½, destinés à des personnes âgées. Historiquement, cet immeuble de cinq étages est l’un des premiers à avoir reçu un toit plat à La Chaux-de-Fonds, ce qui n’était pas allé sans problèmes d’étanchéité, si bien qu’un toit traditionnel à quatre pans l’avait remplacé. La réhabilitation sera l’occasion de renouer avec ses origines, en le coiffant d’un toit plat certainement plus efficient que le premier.

Des rêves à la réalité

Les Grands Moulins ont assuré l’approvisionnement en farines diverses pour toute une région pendant un siècle, jusqu’en 2000. Proche de la gare et des commerces, au pied de la future rue verte qui reliera un jour La Chaux-de-Fonds et Le Locle, cette friche a fait rêver quelques architectes et urbanistes. Son bâtiment le plus emblématique, le silo datant de 1942, avait par exemple été pressenti un temps pour abriter les archives cantonales. Dans son travail de master publié en 2015, l’architecte Yvan Mattenberger y voyait des potentialités comme des espaces d’exposition et un musée, un centre d’accueil et diverses activités fonctionnant de manière organique entre les quatre édifices. Finalement, seul Raffaelo Radicchi a eu les moyens de réaliser ses rêves. Il faut convenir que la première pièce a de l’allure. Et tout laisse penser que les suivantes seront à la hauteur de ce site historique.